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S’ sans-abri

4. Analyse des données

4.1. Démarche d’analyse

La mise en œuvre de mon modèle d’analyse est tout aussi libre que celle de mon guide d’entretien (voir supra, 3.2.2.1). J’entends par là que si l’analyse de mes hypothèses est bien fonction des concepts que celles-ci mettent en jeu, la prise en compte des dimensions, composantes, voire sous-composantes, desdits concepts n’est pas obligatoirement exhaustive, dépendante qu’elle est des informations effectivement recueillies d’un entretien à l’autre. Dans mon analyse des entretiens, je me suis efforcé à la fois de dépasser les cas individuels, en mobilisant une approche systématiquement comparative, et de conserver malgré tout à ceux-ci une certaine spécificité. De plus, tout au long de l’analyse, aussi bien dans le cadre d’une hypothèse que d’une hypothèse à l’autre, j’ai essayé, au prix peut-être d’une certaine lourdeur, de restituer leur complexité aux phénomènes abordés en n’hésitant pas à faire régulièrement référence à des éléments d’analyse précédents et à apporter des compléments à leur propos. Dans le même ordre d’idées, j’ai tenté, d’une dimension à l’autre d’une même hypothèse et d’une hypothèse à l’autre, d’esquisser sans solution de continuité un ‘‘portrait’’ de plus en plus précis des personnes interrogées, alors même que leur regroupement sous l’égide de catégories les subsumant est sujet à variation.

4.2. Analyse par hypothèse

4.2.1. Hypothèse 1

Comme indiqué plus haut (voir supra, 3.1.2.1), ma première hypothèse établit une relation entre une partie du système de représentation des anciens sans-abri et leur reconstruction identitaire, postulant que celui-là informe celui-ci. Afin de confirmer, infirmer ou relativiser cette hypothèse, je procèderai en deux temps. Je commencerai par analyser les représentations en question (R1 et R2 en l’occurrence) en distinguant, conformément à mon modèle d’analyse (voir infra, Annexe B : Fig. 15), facteurs ayant occasionné l’entrée dans la rue et/ou dans une structure d’hébergement social, et ressources ayant permis sinon la sortie, du moins la mise en branle d’un processus de sortie des ‘‘lieux’’ susmentionnés ; dans ce cadre, je tenterai d’utiliser les outils d’analyse de la psychologie sociale et montrerai la difficulté qu’il y a à les mobiliser dans toute leur ampleur. J’essaierai ensuite d’établir si les personnes interrogées sont engagées ou non dans un processus de reconstruction identitaire, et si oui de quelle manière elles le sont et en quoi ce processus est lié à R1 et R2.

4.2.1.1. Analyse de R1 et R2

Je débuterai cette analyse par une mise en tableau (voir Fig. 11) d’une part des différents facteurs externes et internes identifiés par les personnes interrogées, et d’autre part des ressources internes que ces personnes disent explicitement avoir dû mettre en œuvre (ou dont il est manifeste qu’elles les ont mises en œuvre), ainsi que des ressources externes dont elles disent explicitement avoir pu disposer (ou dont il est manifeste qu’elles en ont disposé) . J’ai aussi mis en évidence l’importance relative accordée plus ou moins explicitement par les personnes aux différents facteurs ou ressources identifiés, ce que j’ai appelé la pondération dans mon modèle d’analyse. Pour cela, j’ai procédé comme suit : dans le cas des facteurs, j’ai essayé d’établir la séquence (chrono)logique d’intervention desdits facteurs, du ou des facteurs déclencheurs du processus de précarisation aux facteurs ayant abouti à l’entrée (voir chiffres entre parenthèses), les personnes relevant généralement les premiers avec davantage d’insistance ; dans le cas des ressources, dont la mobilisation ne relève pas d’une simple succession, je n’ai pas pu établir une telle séquence et me suis contenté d’indiquer (au moyen des signes « < » ou « > ») quel type de ressources (externes ou internes) était considéré comme plus important par la personne, indication absente dans le cas des personnes qui n’identifient qu’un seul type de ressources.

Figure 11. Identification et pondération des facteurs et ressources

Entretien Facteurs externes Facteurs internes Ressources externes Ressources internes

No. 1 (M.) perte du logement (2) addiction au jeu (1) structures de prise en charge personnes-ressources (autres

sans-abri, travailleurs sociaux) [ext. < int.]

connaissance préalable d’un milieu urbain élargissement de cette connaissance au

réseau social dudit milieu

capacité de nouer des liens avec d’autres sans-abri37

besoin de structurer ses journées relativisation de ses problèmes reconnaissance de ses erreurs No. 2 (D.) perte de l’emploi (1)

perte du logement (3)

dépression (2) alcoolisme (4)

structures de prise en charge personnes-ressources

(professionnels de la santé, travailleurs sociaux)

sentiment de fierté

travail sur l’estime de soi38 [int. < ext.]

No. 3 (L.) paternité (2)

mise sous tutelle (5)

alcoolisme (1/4)39 difficulté à concilier

famille et travail (3) ?40

structures de prise en charge (encadrement)

travail

Ø

No. 4 (G.) perte de l’emploi (3) perte du logement (4) (domicile maternel) dépression (1) alcoolisme (2) traitement médicamenteux travail Ø

37On remarquera que j’ai analysé cette relation aux autres sans-abri en termes de ressources aussi bien externes qu’internes. 38Ce travail, en tant qu’il est probablement suscité par des personnes-ressources, relève aussi des ressources externes.

39L. dit avoir été toujours alcoolique. Il identifie son alcoolisme comme facteur déclencheur et considère qu’il s’est encore aggravé suite à sa difficulté à concilier famille et travail. 40

L. fait allusion à un autre facteur qui lui semble important, mais qu’il ne parvient pas à identifier (« Mais quand même, il y a un truc qui cloche mais je sais pas où … Et je pense qu’il n’y a pas que ça… »), j’y reviendrai (voir infra, 4.2.1.2).

No. 5 (C.) perte de l’emploi (2) perte du logement (3) alcoolisme et toxicomanie (1) dépression (4) Ø volontarisme

activisme (recherche d’aide)

No. 6 (F.) absence d’emploi (1) perte du logement (2)41

coupure de tous les liens sociaux (1)

Ø force mentale

esprit positif No. 7 (P.) absence d’emploi (1)

perte du logement (2)

Ø structures de prise en charge personnes-ressources (ami, autre

sans-abri, travailleurs sociaux) [ext. ≈ int.]42

force mentale esprit positif

41Si F. identifie la perte de son logement comme le facteur déclencheur de l’entrée, cette perte ne fonctionne comme telle qu’en raison de l’absence préalable de liens sociaux et de travail. 42P. me semble considérer ces deux catégories de ressources comme aussi importantes l’une que l’autre, leur conjugaison faisant s’enclencher le processus de sortie : « celui qui veut s’en sortir, il y arrive. Comme on est épaulé là, on s’en sort… bien sûr ».

Ma démarche d’analyse étant qualitative, j’insisterai moins sur les récurrences constatées au sein des facteurs et ressources identifiés que sur la logique qui me semble présider au fonctionnement de leur représentation. Je vais maintenant, comme annoncé, décrire cette logique en recourant aux outils d’analyse de la psychologie sociale.