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CHAPITRE 2. CADRE CONCEPTUEL, METHODOLOGIQUE, ET QUESTIONS DE RECHERCHE DE LA THESE

2. ANALYSE DES PERFORMANCES DE THINOPYRUM INTERMEDIUM : APPROCHE FONCTIONNELLE ET

L’étude des performances de Th. intermedium requiert, avant toute autre chose, de s’accorder sur la notion de performances. Le terme n’est pas employé ici comme indicateur unique des rendements produits par la culture, mais au sens de l’évaluation de son fonctionnement agronomique et écologique et de son utilité pour l’homme dans la gestion des agroécosystèmes. Pour parler et catégoriser ces performances, nous nous référons au concept désormais très utilisé des services

écosystémiques, employé dès le chapitre 1.

Popularisé depuis l’Evaluation des Ecosystèmes pour le Millénaire (Millennium Ecosystem Assessment, 2005), ce cadre d’analyse positionne les écosystèmes comme support des activités humaines via la production de leurs services, indispensables à notre développement et à notre survie. Ces services peuvent être divisés en trois catégories, respectivement services de régulation et maintenance (fonctionnement basique des écosystèmes et modulation des flux), de production (produits fournis : eau, alimentation, fibres, etc), et culturels (intérêt paysager, patrimonial, récréatif, etc. ; Haines-Young and Potschin, 2018 ; Zhang et al., 2007). Nous laisserons volontairement de côté les services culturels qui ne sont pas considérés ici comme des critères de performance d’une culture de Th. intermedium. D’un point de vue purement anthropocentré, la formulation de ce cadre d’analyse permet de mettre en relation les différents rôles que peut assurer la biodiversité et les écosystèmes pour maintenir les fonctions utiles aux sociétés humaines.

La définition de services écosystémiques fait de facto appel à la dimension fonctionnelle de la biodiversité. Contrairement aux approches taxinomique (quelles espèces ?) et phylogénétique (quels liens de parenté entre les individus ?) de la biodiversité, l’approche fonctionnelle s’intéresse aux fonctions remplies par les organismes vivants dans un écosystème. Ces fonctions déterminent le niveau de production des services écosystémiques rendus. Ces fonctions participent toutes aux capacités de croissance, de survie et de reproduction de l’individu ou des populations concernées. Elles sont relatives à tous les processus liés au fonctionnement de la plante : acquisition des ressources, exsudation racinaire, décomposition, croissance, dissémination des graines, etc. Dans de nombreux cas, lorsque les fonctions ne sont pas mesurables facilement, l’étude de ces fonctions passe par l’intermédiaire de traits fonctionnels. Par exemple, la capacité à intercepter la lumière peut être estimée par la hauteur végétative de la plante, sa compétitivité à l’installation par la phénologie, ou l’absorption de nutriments par la densité racinaire, etc. Les caractéristiques d’une plante liées à ses fonctions sont appelés traits (Fig. 2.1). Dans la suite de ce travail, la notion de traits renverra systématiquement à la définition telle que proposée dans Violle et al. (2007), où un trait correspond à

toute caractéristique morphologique, physiologique ou phénologique mesurable au niveau de l’individu, de la cellule à l’organisme entier, sans qu’il soit fait référence à aucun autre niveau d’organisation ni à aucun autre facteur du milieu. Cette définition exclue donc qu’une caractéristique

spécifiquement associée à un facteur du milieu soit définie comme un trait. La réponse au pâturage d’une graminée fourragère n’est, par exemple, pas un trait. Il s’agit bien d’une performance, au sens défini plus haut, correspondant à la réponse coordonnée de plusieurs traits de la plante (e.g. vitesse de croissance, etc.). Parmi les traits observés, les traits d’effet peuvent être considérés comme les traits déterminant l’effet du peuplement végétal sur l’agroécosystème ; alors que les traits de réponse sont définis comme les traits associés à la réponse du peuplement aux facteurs biotiques et abiotiques de son milieu de croissance (Lavorel et Garnier, 2002 ; Fig. 2.1).

Nous voyons que le recours aux traits fonctionnels offre un outil très utile pour décrire et estimer les performances ou services réalisés par un peuplement végétal sans que ceux-ci aient été tous mesurés

directement, précisément et exhaustivement. Même si les traits les plus souvent mesurés (e.g. longueur racinaire) ne sont pas nécessairement toujours les plus capables de représenter les processus physiologiques sous-jacents (e.g. taux d’exsudation ; Freschet et al., 2020), cette approche a connu un développement très important dans les travaux d’écologie fonctionnelle, mais aussi en agronomie (e.g. Tribouillois et al., 2015 ; Wendling et al., 2016). Son intérêt repose essentiellement dans la conduite d’études comparatives, intégrant des gammes de variations des traits mesurés, et ancrées dans un contexte de croissance donné ; Frechet et al., 2020). Développée pour répondre au besoin de simplification et d’évaluation d’écosystèmes complexes, cette approche a nécessairement une volonté de réduction des paramètres quantifiés pour ne retenir que les déterminants principaux des processus étudiés, capables de justifier de la grandeur et l’importance de tel ou tel flux, de telle ou telle aptitude écologique, de telle ou telle interaction (Garnier and Navas, 2013).

Les travaux conduits ces quarante dernières années ont permis de s’accorder sur le fait que les propriétés fonctionnelles des espèces étaient les principales forces explicatives des propriétés des écosystèmes et des services générés (De Bello et al., 2010 ; Díaz et al., 2007 ; Dı́az and Cabido, 2001 ; Grime, 1977 ; Lavorel and Garnier, 2002). L’essor des recherches concernant les déterminants fonctionnels de la production des services ont notamment fourni une matrice de relations entre traits fonctionnels des plantes, processus et services écosystémiques (De Bello et al., 2010). Il est en effet remarquable que l’analyse comparative des traits fonctionnels chez les végétaux démontre un pouvoir de représentation et une capacité à inférer des propriétés des écosystèmes de manière aussi satisfaisante (e.g. Cornwell et al., 2008 ; Fort et al., 2015b, 2015a, 2015b ; Fort and Freschet, 2020 ; Henneron et al., 2020 ; Navas and Violle, 2009 ; Prieto et al., 2016), et avec autant de perspectives de développement (Faucon et al., 2017 ; Wood et al., 2015).

En accord avec les hypothèses de dominance (mass ratio effect ; Grime, 1998 ; Smith and Knapp, 2003) et de complémentarité (Petchey and Gaston, 2006) les propriétés des écosystèmes seraient largement reliées aux traits des espèces dominantes, et d’autre part, à la présence d’espèces différentes impliquant d’autres niches écologiques et d’autres capacités de capture et d’utilisation des ressources (divergence de traits). Dans les agroécosystèmes, l’optimisation des processus de complémentarité, proposant qu’une production de biomasse supérieure puisse être produite via l’optimisation de l’utilisation des ressources disponibles (et non par l’addition de nouvelles ressources) est un des principes phares de l’agroécologie (Malézieux et al., 2009).

Dans les agroécosystèmes, les objectifs de la sélection variétale et de l’agronomie du XXe siècle ont concentré leurs efforts sur l’optimisation d’un nombre restreint de traits, sur un nombre limité d’espèces, pour améliorer des paramètres essentiellement productifs et la valorisation des intrants de synthèse. Les progrès de la modélisation (e.g. Artru et al., 2018 ; Coucheney et al., 2015 ; Newbery et al., 2016 ; Ruget et al., 2009 ; Tribouillois et al., 2018) sont révélateurs des capacités de compréhension mécaniste et de la précision de description atteinte pour quelques espèces cultivées dans un milieu de croissance particulier (un champ) – même si la prise en compte d’objets plus complexes (cultures associées, système de culture, paysage, territoire) soit encore une large voie de progrès (Doltra et al., 2019 ; Louarn and Song, 2020 ; Newbery et al., 2016).

représente une opportunité d’étudier les caractéristiques originales de la structure fonctionnelle de l’espèce. Cette compréhension est un prérequis fondamental pour faciliter la gestion de son intégration dans un système de grandes cultures.

Figure 2.1. Modèle conceptuel utilisé dans ce travail de thèse

Contexte de production

Sélection variétale + facteurs biotiques (adventices) et

abiotiques (disponibilité azotée et hydrique, température, rayonnement)

Services de Soutien

et de Régulation

Services de Production

Traits

Traits racinaires

longueur racinaire, biomasse, diamètre, distribution, …

Traits aériens

biomasse, hauteur, composantes du rendement, phénologie… Production fourragère, céréalière

Cycle du nutriments, stockage du carbone, régulation hydrique, contrôle de l’érosion, gestion des bioagresseurs …

Traits de réponse

Structure fonctionnelle,

forme de croissance et

performances

Traits d’effet

Liens conceptuels Processus

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