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CHAPITRE 4 : DISCUSSION ET PERSPECTIVES

4.2 Analyse de la relation dose-risque (approche fréquentiste)

4.2.1 Rappel des principaux résultats

Cette étude a examiné la mortalité dans une sous-cohorte de travailleurs de 5 usines du cycle du combustible nucléaire, elles-mêmes incluses dans la cohorte TRACY U. L’effet du travailleur sain (HWE) a été observé. En examinant les effets de l’exposition externe aux rayonnements ionisants sur la mortalité, nous avons observé des risques significativement plus élevés de décès par cancer de la prostate et du poumon (en considérant un lag de 15 ans uniquement) pour les travailleurs exposés à des doses cumulées supérieures à 50 mGy par rapport aux travailleurs non

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exposés, cependant ces résultats étaient basés sur seulement 3 cas chacun. Ces association n’étaient plus significatives après ajustement sur le statut tabagique, bien que leurs ordres de grandeurs demeurent similaires. Aucune autre association significative entre exposition aux rayonnements ionisants et causes de décès n’a été observée.

4.2.2 Forces et limites

Le suivi de la cohorte est là encore de très bonne qualité (moins de 1% des travailleurs perdus de vue). Des enregistrements individuels systématiques de doses externes étaient disponibles et les informations individuelles enregistrées dans les dossiers médicaux ont permis d'estimer les doses internes reçues par les travailleurs du fait de leurs expositions professionnelles (grâce à une collaboration étroite entre les laboratoires d’épidémiologie et le laboratoire d’évaluation de la dose interne de l’IRSN) et de prendre en compte dans les analyses statistiques plusieurs facteurs de confusion potentiels rarement documentés dans les cohortes de travailleurs du nucléaire (statut tabagique, glycémique, IMC, pression artérielle…). C'est la première fois en France qu'une telle étude est menée dans une cohorte de travailleurs de l'uranium avec une reconstruction complète de la dose interne absorbée par organe (une étude cas-témoin sur les pathologies du système circulatoire, basée sur un effectif plus limité d’environ 500 travailleurs (environ 100 cas et 400 témoins), avait toutefois été réalisée précédemment (Zhivin et al. 2018)).

L'analyse réalisée dans le cadre de cette thèse présente également certaines limites. A ce jour les mesures radiotoxicologiques de l’uranium n’ont pu être informatisées que jusqu’à la fin de l’année 2008, soit cinq ans avant la fin du suivi de la mortalité. Ceci ne constitue pas une limite dans l’objectif d’analyser les associations entre les doses internes cumulées et la plupart des causes de décès étudiées (cancers solides et maladies du système circulatoire) pour lesquelles il est classique de considérer un délai de latence minimum de 5 ans entre l’exposition aux

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rayonnements et le risque associé. (Richardson et al. 2018) En revanche, il s’agit d’une limite pour l’analyse de la mortalité par cancers lymphohématopoïétiques, pour laquelle les délais de latence minimaux généralement considérés suite à des expositions aux rayonnements ionisants sont de 2 ans.(Leuraud et al. 2015) Pour les périodes les plus anciennes, nous ne disposions que de données rares et possiblement parcellaires issues de mesures radiotoxicologiques, ce qui nous a conduit à choisir d'exclure de l'analyse principale les travailleurs embauchés avant certaines années sur les sites concernés. La même limite s'applique aux travailleurs pour lesquels seules des estimations de doses externes « à la peau » étaient renseignées pour certaines années.

Malgré ces restrictions de groupes d’analyse jugés nécessaires en fonction des objectifs spécifiques de différentes analyses dose-risque et dictés par la disponibilité ou la qualité des données, les caractéristiques des sujets étaient globalement similaires entre les différents sous-groupes d’analyses bien qu'en moyenne l'âge atteint soit plus bas dans ces sous-sous-groupes que dans la population entière (voir Tableau 12). Cela suggère que les sous-groupes pour les analyses dose-risque restent largement représentatifs de la population entière, même si l’exclusion de nombreux travailleurs parmi les plus anciens a nécessairement entraîné une perte de puissance statistique.

De manière générale, la puissance statistique de nos analyses était limitée. Les estimations de risque demeurent en effet très imprécises et nombreuses estimations n’ont pu être obtenues (faute de convergence de l’algorithme de maximisation de la vraisemblance utilisé). Cela fut notamment le cas des modèles prenant en compte à la fois la dose externe et la dose interne. Les données sur les facteurs de risques individuels provenant des dossiers médicaux (IMC, IG, PA et statut tabagique) n'étaient pas renseignés pendant toute la durée du suivi (en particulier, ils ne l’étaient plus après le départ des entreprises). Par conséquent, nous avons dû les simplifier

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pour construire nos variables. Cependant, ces facteurs étaient globalement associés aux risques de mortalité par différentes pathologies, de manière cohérente avec les connaissances établies dans la littérature (annexe 15), ce qui suggère qu'ils apportent une information pertinente.

A ce jour, les matrices emplois-expositions (MEEs) disponibles pour tous les travailleurs de l'étude ne couvrent pas encore les expositions professionnelles autres que l'uranium. Des travaux sont en cours pour intégrer ces informations dans ces MEEs. Les incertitudes sur les estimations de doses internes dues à des informations parfois incertaines ou manquantes (ex : sur certaines conditions d’exposition comme par exemple les temps exacts de contaminations ou les formes physicochimiques des composés uranifères, plus difficiles à déterminer dans certaines situations), à l'absence de lignes directrices normalisées sur la façon d'estimer les doses chroniques dans le cadre d’études épidémiologiques (par comparaison avec les exigences et conditions de la radioprotection opérationnelle (Davesne et al. 2018)), et aux mesures radiotoxicologiques et/ou anthroporadiométriques censurées (inférieures à un seuil) pourraient influencer les estimations des risques radio-induits réalisées dans le cadre de l’ étude.(Davesne et al. 2017; Laurent et al. 2016)

Les résultats d’analyse de la relation dose-risque selon les deux scénarii du protocole dosimétrique (voir section 2.2.2) n’ont pas montré d’impact sur les conclusions. (Tableau 16 et annexe 13) Cette première approche présente cependant des limites comme indiqués précédemment.

Le troisième volet de cette thèse visait donc précisément à améliorer la prise en compte des mesures radiotoxicologiques censurées (inférieures à un seuil).

4.2.3 Comparaison avec les autres études

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associée au risque de mortalité par cancers solides (toutes les localisations de cancers solides regroupées), pour ce regroupement de causes de décès les estimateurs centraux de risques relatifs augmentent de manière monotone en fonction des niveaux d’exposition aux rayonnements externes. (Tableau 14) Ceci apparaît cohérent avec l’ensemble de la littérature sur les effets des expositions par voie externe aux rayonnements ionisants (NCRP 2018; UNSCEAR 2006) et notamment avec l’observation d’une relation dose-risque positive entre exposition aux rayonnements externes et cancers solides dans l’étude internationale de travailleurs du nucléaire INWORKS (Richardson et al. 2015), bénéficiant d’une puissance statistique plus importante. Concernant les sites de cancers spécifiques, bien que les risques de cancer de la prostate et du poumon aient été significativement augmenté chez les travailleurs exposés à une dose externe cumulée supérieure à 50 mGy par rapport aux travailleurs non exposés, ces estimations étaient basées chacune sur seulement 3 cas. Les données disponibles en faveur d’une association entre l’exposition aux rayonnements ionisants et le cancer de la prostate restent limitées. (Kondo et al. 2013; NRC 2006; Ozasa et al. 2012; Richardson et al. 2018; UNSCEAR 2006) Les facteurs de risque établis pour le cancer de la prostate sont l'âge, les antécédents familiaux et l’origine ethnique. (Nomura and Kolonel 1991) L'alcool, l'IMC, le travail de nuit ou posté, le cadmium présent dans la fumée de cigarette et l'alimentation sont également des facteurs de risque soupçonnés. (Behrens et al. 2017; Putnam et al. 2000; Rapisarda et al. 2018; Sahmoun et al. 2005) Le tabagisme est plus fortement associé à la mortalité par cancer de la prostate qu'à l’incidence de ce cancer. (Cuzick et al. 2014; Zu and Giovannucci 2009) Après ajustement sur le statut tabagique, l’association observée entre l'exposition aux rayonnements ionisants et la mortalité par cancer de la prostate n’est plus significative. Par ailleurs, il doit être reconnu que la mortalité ne permet pas de bien refléter l'incidence du cancer de la prostate au cours de notre période de suivi.

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Nous n'avons observé aucune association significative entre la dose interne et la mortalité par cancer du poumon, tout comme les trois plus grandes études menées chez les travailleurs de l'uranium dans lesquelles des estimations de doses internes ont pu être utilisées. (Dupree et al. 1995; Grellier et al. 2017; Yiin et al. 2017) Cependant, une étude cas-témoin récente utilisant une méthodologie similaire à la nôtre pour le calcul de dose a rapporté un excès de rapport de risque (EOR) par Gy de 5,3 (IC à 90% -1,9, 18) pour le cancer du poumon (Grellier et al. 2017), qui s’avère proche de l'association trouvée dans notre analyse de sensibilité (bien que les deux estimations soient imprécises et non statistiquement significatives) incluant tous les travailleurs ayant des dossiers médicaux disponibles (même si seules de très rares mesures radiotoxicologiques étaient disponibles durant les premières années, rendant cette estimation particulièrement incertaine, voir l'annexe 10)

Une étude pilote dans un sous-ensemble de la cohorte TRACY a rapporté des associations positives entre l'exposition cumulée à des formes insolubles d'uranium, estimées via une MEE, et la mortalité par cancer du poumon et cancers lymphohématopoïétiques (pour les composés d'uranium issus du retraitement uniquement). (Guseva Canu et al. 2014) Aucune association significative n'a cependant été observée dans un autre sous-groupe de 4 688 travailleurs de l'enrichissement. (Zhivin et al. 2016) La différence entre les profils d'exposition des travailleurs dans les différents sous-ensembles de la cohorte TRACY (par exemple, les travailleurs de l’enrichissement sont principalement exposés à des composés solubles traversant rapidement le poumon sans avoir le temps d’y délivrer des doses importantes), mais aussi éventuellement les différences dans les méthodologies d'évaluation de l'exposition et les fluctuations statistiques, pourraient contribuer à expliquer de tels contrastes entre les résultats de ces différentes analyses. Il serait donc nécessaire de répliquer les analyses, sur la base d’estimations de doses internes

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absorbées aux organes (intégrant de facto les différences de solubilité et de composition isotopique des différents types de composés uranifères) dans un périmètre plus large pour améliorer l'estimation des risques radio-induits.

Nos résultats suggèrent également que la prise en compte de facteurs de risque cardiovasculaires classiques a peu d'influence sur la relation entre la dose interne suite à une incorporation d'uranium et la mortalité cardiovasculaire (du moins pour ce qui concerne les estimations de risques relatifs par classes de dose), ce qui est cohérent avec les résultats précédents d'une étude cas-témoins nichée dans la cohorte TRACY. (Zhivin et al. 2018)

Une analyse groupée récente des travailleurs de l'enrichissement aux États-Unis a montré une association significative entre dose interne due à l’uranium avec le myélome multiple, et des associations positives mais non statistiquement significatives avec le cancer du rein et les maladies chroniques rénales.(Yiin et al. 2018) Cependant, puisque seulement 4 cas de décès par myélome multiple, 7 cas de décès pour le cancer du rein et 3 cas de décès pour les maladies chroniques rénales ont été observés dans notre cohorte, nous n'avons pas pu effectuer d'analyse de relation dose-risque pour ces causes de décès. De même, les effectifs de décès par cancer de l’os (n=1) ou du foie (n=7) étaient trop limités pour réaliser ces types d’analyses (du moins dans les sous-groupes pour lesquels les données dosimétriques étaient suffisamment complètes).

4.3 Approche hiérarchique bayésienne pour tenir compte des incertitudes dans