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1. Dubois, Bellour, Fargier : synthèse critique

Les trois approches détaillées mobilisent le cinéma comme une entité dont la définition serait fixée une fois pour toutes. Si Dubois et Bellour admettent un processus historique à l'origine de la fixation, une fois achevé, le cinéma ne souffre plus aucun écart. On retrouve là, en apparence, un modèle biologique prêtant au cinéma un développement progressif jusqu'à maturité206. Quant à Fargier, il postule également une définition normative

du cinéma afin d'exacerber une différence vidéographique. En outre, les trois théoriciens ont en commun d'élire le cinéma classique hollywoodien, reposant sur une exigence de transparence garante d'une impression de réalité, comme norme définitionnelle : désigné explicitement (Dubois), ou suggéré par l'évocation des studios (Bellour) ou de certains films

(Fargier), il incarne effectivement le cinéma en soi et permet assez commodément de décrire a contrario ce que la vidéo – c’est-à-dire la télévision et l'art vidéo (le trio pratiquant cet amalgame) – posséderait en propre. Là encore, les auteurs se gardent bien d'historiciser, déclinant l'illusion d'un cinéma hollywoodien toujours identique à lui-même en dépit d'une périodisation courant sur une quarantaine d’années (des années 1910 aux années 1950). Au- delà des définitions avancées, Hollywood revêt finalement ici le statut qu'il occupait dans les histoires de Georges Sadoul ou Jean Mitry, c'est-à-dire un point d'idéalité au regard duquel sont analysées des productions affichant une apparence d'altérité : d'un côté, le « cinéma primitif », plus tard renommé « cinéma des premiers temps » sous l’impulsion inaugurale de la FIAF (1978), de l'autre des œuvres d'art vidéo et des émissions télévisées. Les comparaisons entre l'art vidéo et le « cinéma des premiers temps » n'ont d’ailleurs pas manqué chez ces derniers (manquait, en revanche, un cadre théorique capable de les articuler sous

206 Philippe Dubois avait déjà fait l’objet de critiques semblables formulées par Michel Frizot à propos d'un

article publié dans la revue Cinémathèque où Dubois désignait le panorama comme « chaînon manquant » entre Marey et Lumière (c'est-à-dire entre la photographie et le cinéma). Voir Philippe Dubois, « La question du panorama, entre photographie et cinéma », Cinémathèque, n°4, automne 1993, Paris, Crisnée, Cinémathèque française, Yellow Now, p. 22-39. Frizot écrivait alors en réponse : « Si l'on peut légitimement trouver des analogies entre le spectacle dioramique et le spectacle cinématographique (le mouvement à l'intérieur du cadre, opposé à la fixité du spectateur), il est plus douteux d’établir une filiation panorama-diorama-cinéma, qui relève plus de l'approximation évolutionniste que de la précision analytique. Je préférerais demander pourquoi on veut voir de la continuité là où il n'y en a pas : les dispositifs que nous étudions, sont généralement disjoints et ne procèdent pas l'un de l'autre, ou si peu. Le seul dénominateur commun, c'est que nous sommes devant des images. », Michel Frizot, « Revoir le panorama ou les yeux ont aussi des pieds », Cinémathèque, n°6, automne 1994, Paris, Crisnée, Cinémathèque française, Yellow Now, p. 84.

d'autres angles que ceux de l'exception207 ou de l’accident208). Si à première vue, les objets

divergent, le phénomène engage des enjeux historiographiques semblables. Malgré un positionnement assez net dans le champ de l'esthétique, les trois théoriciens de la vidéo font appel à une architecture historique afin de structurer les rapports entre le cinéma et la vidéo. Seulement, comme il apparaît plus haut, le principal écueil réside dans la carence théorique à l'endroit de cette référence historique. Se retrouve ici l'un des problèmes généraux soulevés par la nouvelle histoire, dans le sillage des redécouvertes de Brighton209. Telle que la

convoque en effet Dubois, l'histoire du cinéma apparaît comme une suite linéaire tendue vers l'actualisation de la véritable identité du cinéma. Car Méliès, ou plus globalement le trucage, ne peuvent apparaître comme une exception qu'au regard d'une histoire envisagée comme le développement identitaire continu du cinéma, jusqu'au point d'idéalité qu'est cette « logique de représentation » systématisé par le cinéma hollywoodien. Implicitement donc, le passage entre un « mode de représentation primitif » et un « mode de représentation institutionnel »210,

c'est-à-dire le processus d'institutionnalisation du cinéma, est envisagé par Dubois comme un achèvement identitaire. De son côté, Bellour décline un modèle similaire lorsqu'il circonscrit la « pureté » du cinéma comme une parenthèse idéale, faisant suite au muet et précédant la concurrence télévisuelle. En somme, le cinéma se serait constitué au cours d'un processus qui aurait atteint son terme avec le cinéma hollywoodien. Au-delà, l'histoire ressemble à celle d'une cohabitation malencontreuse. Enfin, Fargier pose une origine mythique qui aurait dirigé, tel un inconscient, les histoires du cinéma et de la vidéo.

L'histoire se constitue donc, à chaque fois, à partir d'une définition normative du cinéma ou de la vidéo, correspondant respectivement à un certain mode de représentation. Il s'agit de relire l'histoire du cinéma, depuis l'invention du cinématographe, au regard du « MRI », ou dans le cas de Fargier, de relire les histoires du cinéma et de la vidéo au regard de la seule spécificité vidéographique selon le théoricien (la transmission en direct). Or, dans le cas précis des rapports entre le cinéma et la vidéo, de telles constructions historiques entraînent des problèmes de définition considérables. Si l'historiographie à la Sadoul offrait de

207 Philippe Dubois (avec Marc-Emmanuel Mélon et Colette Dubois), « Cinéma et vidéo. Correspondances,

montage, incorporations » [1986-1987], op. cit., p. 152.

208 « […] ce qui est de l'ordre de l'accidentel pour le cinéma est pour la vidéo de l'ordre de l'essentiel. », Jean-

Paul Fargier, « Paikologie », art. cit., p. 7. (Je souligne.)

209 Michel Marie s'en fait encore l'écho en 1996 : « Une histoire sans réflexion théorique minimale se ramène à

une plate chronique des faits, relevant de l'anecdote ou de la nostalgie ; de même une théorie sans ancrage historique n'est qu'une structure vide, qui tourne en rond sur elle-même. », Michel Marie, « Avant-propos », Michel Marie (dir.), Théorème, n°4, « Cinéma des premiers temps. Nouvelles contributions françaises », Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1996, p. 8. André Gaudreault, également, en 2008 : « Tout historien du cinéma est aussi, qu'il le veuille ou non, un théoricien du cinéma (dans des proportions certes variables). », André Gaudreault, Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire du cinématographe, op. cit., p. 24.

délimiter ce qui appartenait en propre au cinéma par rapport à ce qui l’avait précédé et qui en était exclu (le « cinéma primitif »), le partage des attributs s'opère ici entre ce qui relèverait encore du cinéma et ce qui devrait désormais être décrit comme vidéographique, au-delà de la simple distinction technologique. L'histoire du cinéma tel que l’esquisse Fargier ou Dubois a, en effet, valeur opératoire, valeur de classification. Elle dicte ce qui relève du cinéma et ce qui relève de la vidéo selon un partage diachronique. Tout au plus admet-elle des modalités de présence souterraines de la vidéo lorsque, chez Dubois, certains films des années 1980 sont décrits comme objets d'une influence vidéographique. Ou chez Fargier, pour qui l’empreinte vidéographique se lit, sur le mode de l'inconscient, bien avant les premières transmissions de signaux électroniques. On le constate aisément, de telles approches ne permettent guère de décrire la diversité de l'objet vidéo. À la place, la vidéo est nécessairement réduite à une entité générale définie selon un ensemble d'attributs spécifiques – dont la liste peut demeurer indéfiniment ouverte. La méthode archéologique que nous proposons, et qui est détaillée un peu plus loin, rompt de manière radicale avec la vision de l'histoire synthétisée ici. Elle refuse, en effet, de commenter les œuvres à l'aune de définitions normatives et écarte du même coup les lectures téléologiques. Cette méthode postule plutôt que l'histoire est traversée par une somme de discontinuités auxquelles il faut se montrer attentif. Dans ce contexte, il n'y a plus de place pour les exceptions et autres accidents, qui procèdent de déformations rétrospectives. Reconnaître les discontinuités, c'est effectivement assumer un jeu d’intermittences échappant au modèle du progrès.

Enfin, si les perspectives de Dubois, Bellour et Fargier s'attachent à cerner l'identité supposée de la vidéo en décrivant notamment les effets esthétiques qu'elle aurait produits dans le champ des pratiques artistiques, elles dissimulent mal certaines difficultés théoriques – les obstacles apparaissant lorsque l’ensemble des textes rédigés au long cours par chaque auteur est envisagé de manière synthétique. Ainsi, ce vocable de « vidéo » se voit remployé par Dubois, dans sa compilation de 2011 comme un opérateur théorique transversal allant jusqu'à jouer un rôle dans les problématiques du cinéma exposé. La vidéo, de fait, est ressaisie de façon à créer une continuité illusoire et de mettre au premier plan un objet qui n'a plus lieu d’être interrogé en tant que tel. De même, Fargier réunit analogique et numérique sous la pression d'une même poussée, le « désir de télévision », et réhabilite par ailleurs l'appellation d'art vidéo dans un texte tardif211. Si Bellour, au contraire, n'invoque plus le vocable « vidéo »

pour commenter les œuvres contemporaines, mobilisant plutôt celui d' « installation », la

211 Jean-Paul Fargier, « L'art vidéo, la vidéo, Baladi et l'euro » [2003], Ciné et TV vont en vidéo [Avis de

définition qu'il propose du cinéma obéit à une même volonté de généralisation. En somme, pour Fargier et Dubois, la définition de la vidéo serait suffisamment homogène pour autoriser l'emploi du vocable aussi bien dans les années 1980 que les années 2000, sans que cela travestisse l'identité de l'objet (puisque la vidéo est une « question » ou une « langue universelle », c’est-à-dire une abstraction), et pour Bellour, le cinéma est soumis au même traitement, figé dans un dispositif prétendument unique car essentiel. Il s'agit donc pour les trois auteurs de construire des modèles homogènes, des identités non altérées, qui puissent s'articuler à l'intérieur d'une architecture historique et donc rendre compte des rapports entre le cinéma et la vidéo.

Il existe cependant une exception à cette tendance des études sur la vidéo : Anne- Marie Duguet est en effet l'une des rares théoriciennes à avoir, très tôt, critiqué les revendications de spécificité. Dès son ouvrage Vidéo, la mémoire au poing (1988), première publication monographique française sur la vidéo, l'auteure insiste en effet sur les « pratiques » et les « écritures » recourant à la technologie électronique sans se soucier d’établir une distinction ontologique par rapport au cinéma ou à la télévision. Elle définit ce terme d' « écriture » selon une acception qui a le mérite de réinscrire la technique au sein de déterminations contextuelles plus larges. « L’écriture, écrit en effet Duguet, est l'actualisation critique d'un certain nombre de données socio-culturelles, de configurations formelles et de codes techniques212 ». Elle est donc indissociable de la vidéo mais ne saurait se réduire à un

effet nécessaire du recours au matériel. Parmi les auteurs de ces écritures, Duguet brasse aussi bien Armand Gatti, Jean-Luc Godard que Nam June Paik, Jean-Christophe Averty ou Jean- André Fieschi. En somme, cette entrée « écritures » permet de réunir à la fois des œuvres d'art vidéo, des émissions et des feuilletons de télévision, ou encore des œuvres consommées en salles. La théoricienne évite ainsi l'écueil d'un langage ou d'une écriture électronique, qui s'opposerait en bloc au cinéma, tel qu'a pu le défendre Fargier. De même, l’opposition postulée par Dubois entre une « logique de représentation » vidéographique, et une autre typiquement cinématographique, n'est pas pertinente ici. Pour Duguet, il ne saurait, en effet, exister de langage ou de logique électronique au singulier. Il est plutôt question d'une dynamique entre les possibilités de la technique et d'autres facteurs, à l'origine d'écritures multiples.

En résumé, les approches de Dubois, Bellour et Fargier souffrent d'une lacune théorique quant à l'histoire qu'elles présupposent, autorisant de fait la consolidation de ces modèles abstraits forcément insatisfaisants, traversant les décennies toujours identiques à eux-

mêmes. À rebours, il semble qu'une attention particulière aux questions d’historiographie permettrait de sortir de l'ornière afin de restituer à l'objet vidéo, aux contours nécessairement fluctuants, toute son hétérogénéité, et par là même préciser les conditions possibles de sa mise en rapport avec le cinéma. Il s'agirait, en effet, de reconsidérer les présupposés méthodologiques d'une étude des rapports entre le cinéma et la vidéo en construisant un cadre théorique capable de les articuler historiquement. Cela, afin d'éviter que les modèles « cinéma » et « vidéo » une fois consolidés, flottent – libérés de tout ancrage – au-dessus de l'histoire.

2. La méthode archéologique, présentation

La méthode archéologique établie par Michel Foucault nous a paru une voie opportune pour satisfaire une telle exigence. Le philosophe en décrit le fonctionnement dans L'Archéologie du savoir (1969), cet ouvrage récapitulatif où sont notamment formalisés de manière systématique certains des présupposés théoriques ayant guidé les précédents travaux. Partant d'un renouveau méthodologique inauguré par certains historiens de l’École des Annales (Fernand Braudel notamment), l'archéologie se singularise d'abord par le « refus d'un modèle uniforme de temporisation ». « Il s'agissait, écrit Foucault au terme de son développement, d'analyser l'histoire de la pensée dans une discontinuité qu'aucune téléologie ne réduirait par avance » et de « repérer » cette histoire « dans une dispersion qu'aucun horizon préalable ne pourrait refermer »213. Toute modélisation uniforme de l'histoire se voit

donc écartée au profit de ces deux opérateurs cruciaux que sont la « discontinuité » et la « dispersion ». Il ne s'agit plus de ressaisir la pensée au sein d'un mouvement d’ensemble auquel seraient assignés une origine et un « horizon » mais, au contraire, de privilégier des modalités de description et d'analyse qui puissent déprendre la réflexion de ces catégories a priori214.

Au vu de cette brève description, on peut déjà mesurer l'écart entre l’archéologie telle que la conçoit Foucault et les approches des théoriciens de la vidéo. Le « désir de télévision » postulé par Fargier ne fait autre chose, en effet, que « refermer » la « dispersion » propre aux objets cinéma et vidéo. De même, que fait Dubois lorsqu'il construit ce concept général de

213 Michel Foucault, L'Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1969, p. 275.

214 Roger Chartier a synthétisé les principes de la description archéologique dans « "La chimère de l'origine".

Foucault, les Lumières et la Révolution française », Au bord de la falaise : l'histoire entre certitudes et

inquiétude, Paris, Albin Michel, 1997, p. 133-160. Voir également Paul Veyne, « Foucault révolutionne

« question vidéo » sinon instaurer une continuité historique recouvrant des discours nécessairement discontinus et dispersés ?

L'archéologie foucaldienne se pratique à partir d'un matériau fondamental qui a pour nom « l'archive » et qui se soustrait aux partages traditionnellement effectués entre les textes. La méthode décrite prescrit, en effet, l'abandon d'unités pré-établies (le livre et l’œuvre d'un auteur) et évacue la hiérarchie entre des textes considérés comme majeurs et d'autres comme mineurs, selon leur statut, leur circulation, etc215. En tant qu'elle recouvre le domaine des

« choses dites », l'archive amoncelle plutôt des « énoncés », nouvelles unités privilégiées par le philosophe dans la mesure où, justement, elles suspendent les partages et hiérarchies traditionnels.

Foucault interroge ensuite la cohésion d' « unités discursives » formées par des ensembles d'énoncés. Dans la mesure où l'objet thématique susceptible de garantir cette cohésion (« la folie » par exemple) ne saurait demeuré identique à lui même selon les disciplines qui le mobilisent à des décennies d'intervalle, Foucault désigne comme principe de cohésion ce qu'il nomme « loi de dispersion » ou « loi de répartition », c’est-à-dire « l'ensemble des règles qui rendent compte, moins de l'objet lui-même en son identité, que de sa non-coïncidence avec soi, de sa perpétuelle différence, de son écart, et de sa dispersion »216.

La définition de l'énoncé se précise progressivement dans L'Archéologie du savoir, à mesure que tombent d'elles-mêmes un certain nombre d'affirmations hâtives. Tout d'abord, le philosophe dégage trois modèles éventuellement susceptibles de caractériser un énoncé : la phrase, la proposition logique et l'acte de langage. Mais Foucault montre que l'énoncé ne correspond à aucun d'entre eux, désignant plutôt la condition sous laquelle un ensemble de signes peut être désigné comme un acte de langage, une proposition logique ou une phrase. Et auquel cas, si cet ensemble respecte les règles fixées par chacun des modèles. En cela, l'énoncé ne définit pas une « découpe repérable à un certain niveau d'analyse », une « unité » (comme la phrase ou la proposition), mais plutôt un « mode d’existence singulier », une « fonction d'existence » à partir de laquelle peut s'effectuer un certain partage217.

Cette fonction, écrit Foucault, constituant le « sujet » même de l'énoncé, « croise un domaine de structures et d'unités possibles, et qui les fait apparaître, avec des contenus concrets, dans l’espace et le temps ». En d'autres termes, la description de l'énoncé met en jeu un décloisonnement ouvrant sur différents niveaux.

215 Michel Foucault, L'Archéologie du savoir, op. cit., p. 33-46.

216 Michel Foucault, « Sur l'archéologie des sciences. Réponse au Cercle d'épistémologie » [1968], Dits et Écrits

I. 1954-1975, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001, p. 740.

Ce domaine ou « champ associé », décrit par Foucault comme une « trame complexe », est formé de plusieurs ensembles : la « série des autres formulations à l’intérieur desquelles l’énoncé s’inscrit », les « formulations auxquelles l'énoncé se réfère (implicitement ou non) », celles « auxquelles l'énoncé ménage la possibilité ultérieure » (comme « conséquence », « suite naturelle » ou « réplique ») et enfin, celles « dont l’énoncé partage le statut ». De sorte qu'« il n'y a pas d’énoncé qui n'en suppose d'autres »218. On le voit, l'énoncé

constitue le point d'une arborescence faite d'autres énoncés, solidaires, dessinant une vaste unité à laquelle Foucault donne le nom de « discours ». Chaque discours, réunissant des séries d'énoncés déterminées, trouve sa cohérence, selon le philosophe, dans un ensemble de règles de « formation ». Ainsi, Foucault nomme « formation discursive », « le principe de dispersion et de répartition » des énoncés, garantissant la délimitation relative du « discours »219.

Enfin, si l'on se place non pas au niveau de l’historicité du discours, et par conséquent de sa « formation », mais plutôt au niveau de la formulation toujours singulière des énoncés, en quelque sorte à l'intérieur même du discours, il s'agit de mettre en lumière les conditions de possibilité d'une « pratique ». Foucault nomme, en effet, « pratique discursive » :

« [l']ensemble de règles anonymes, historiques, toujours déterminées dans le temps et l’espace qui ont défini à une époque donnée, et pour une aire sociale, économique, géographique ou linguistique donnée, les conditions d'exercice de la fonction énonciative.220 »

C'est donc cet « ensemble de règles anonymes » que le moindre énoncé, si tant est qu'on le reconnaisse, met en jeu.

3. Archéologie de la peinture, archéologie de la vidéo

Interrogeons maintenant la place possible de cette méthode archéologique dans le champ des études sur la vidéo et particulièrement, dans celui – plus restreint – des études sur les rapports entre le cinéma et la vidéo. Il s'agirait, en ce qui nous concerne, de considérer un corpus spécifique susceptible de rendre compte d'une « dispersion » propre à la vidéo – à l’encontre, précisément, des théories visant à l'unifier à travers les décennies. Il convient de noter, cependant, qu'une telle analyse ne saurait avoir la même ampleur que celles de

218 Ibid., p. 135-137. 219 Ibid., p. 148. 220 Ibid., p. 162.

Foucault, courant sur plusieurs siècles, dans la mesure où la vidéo, bien plus localisée, traverse un siècle à peine. Également, l'objet est bien différent des ensembles étudiés par le philosophe (la clinique, la grammaire générale, l’histoire naturelle, l’analyse des richesses, etc.). La vidéo, en effet – qu'elle fasse référence à une technologie, une pratique artistique, une langue, un langage, une question, etc. – ne ressortit pas à la définition d'une discipline et

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