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Force et amplitude articulaire du complexe articulaire de l’épaule du jeune joueur de tennis : équilibre entre adaptations et maladaptations

RÉALISATION D’UN SERVICE (Gillet et al., soumis en 2018)

CHAPITRE 7 : DISCUSSION GÉNÉRALE

I. Force et amplitude articulaire du complexe articulaire de l’épaule du jeune joueur de tennis : équilibre entre adaptations et maladaptations

Dans la section IV de la revue de littérature (p 54), nous avons vu que la pratique du tennis conduisait chez les joueurs de tennis adultes à des adaptations du côté dominant en termes d’amplitudes articulaires et de forces musculaires de l’épaule du joueur de tennis. Ces adaptations sont dans une certaine mesure bénéfiques à la performance mais dans une autre mesure peuvent se révéler délétères si elles sont excessives ou déséquilibrées. Ces caractéristiques étaient jusqu’alors peu connues chez les jeunes joueurs de tennis et ces informations pourraient se révéler pertinentes pour un entraînement et un accompagnement optimisés et mieux ciblés. Ces observations ont conduit aux deux premiers sous-objectifs de la thèse et ont été abordés dans les chapitres 2 à 4. Ces chapitres ont mis en avant les caractéristiques spécifiques de l’épaule du jeune joueur de tennis et des indicateurs potentiels sur la survenue des blessures

a. Adaptations du complexe articulaire de l’épaule du jeune joueur de tennis

L’épaule des sportifs « overhead » matures physiquement est caractérisée par une diminution de l’amplitude de rotation interne de l’articulation glénohumérale partiellement compensée par un gain d’amplitude de rotation externe du côté dominant par rapport au côté non- dominant (Ellenbecker et al., 2002; Wilk et al., 2011). L’amplitude totale de rotation du côté dominant est ainsi légèrement diminuée par rapport au côté non-dominant. Par ailleurs, les muscles de l’épaule sont généralement plus forts du côté dominant par rapport au côté non- dominant (Donatelli et al., 2000; Moreno-Pérez et al., 2018). Ce constat est particulièrement

153 marqué pour les muscles mobilisateurs de l’épaule comme les rotateurs internes de l’articulation glénohumérale (Moreno-Pérez et al., 2018). Ceci est d’ailleurs souligné par la valeur du ratio (0.66) de force excentrique des muscles rotateurs externes et concentrique des rotateurs internes de l’articulation glénohumérale (Ellenbecker & Roetert, 2003; Moreno- Pérez et al., 2018). Ces adaptations tendent à déplacer le fragile équilibre entre mobilité et stabilité du complexe articulaire de l’épaule en faveur de la mobilité dans le but de maximiser la performance en optimisant la phase d’armer et d’accélération pour donner plus de vitesse à la balle, lors d’un service par exemple (Borsa et al., 2008). L’étude présentée dans le chapitre 2 montre que ces adaptations surviennent dès le plus jeune âge puisque des joueurs élites âgés de 9 ans présentent déjà ces adaptations. Cependant, contrairement aux adultes, les équilibres de forces entre les muscles mobilisateurs et stabilisateurs du complexe articulaire de l’épaule étaient conservés, puisqu’aucune différence bilatérale n’était observée sur les ratios de force. De plus, les jeunes joueurs de tennis de notre étude présentaient des amplitudes articulaires plus grandes que des joueurs adultes (Moreno-Pérez et al., 2018). Il a d’ailleurs été montré que chez les jeunes joueurs de baseball, les amplitudes de rotation interne et externe diminuent avec l’âge (Meister et al., 2005). Ceci a également été observé chez les jeunes joueurs de tennis de notre étude, particulièrement pour la rotation interne. Ces changements sont principalement les conséquences de la croissance avec la réorganisation ligamentaire et le développement de la force musculaire et de la pratique du tennis. Nous avons également observé ce développement musculaire puisque la force des muscles de l’épaule des joueurs augmentait avec l’âge. Cependant, une fois ces forces normalisées par le poids de corps, elles restaient stables malgré l’avancée en âge. Seules les différences bilatérales étaient encore présentes. Ces observations ont donc permis de mieux comprendre l’impact du tennis sur les caractéristiques de l’épaule d’un joueur de tennis asymptomatique en cours de croissance. Ainsi, pour répondre au sous-objectif 1, les jeunes joueurs de tennis présentent les adaptations classiques des sportifs « overhead », à savoir une diminution de l’amplitude de rotation interne compensée par un gain de rotation externe et des muscles plus forts du côté dominant. Cependant, ces adaptations musculaires semblent équilibrées entre les muscles mobilisateurs et stabilisateurs du complexe articulaire de l’épaule. Contrairement à l’adulte, ces adaptations musculaires ne conduisent pas au déplacement du compromis mobilité/stabilité de l’épaule en faveur de la mobilité. Cette différence s’explique par la différence de maturité physique et le processus de croissance. En effet, la croissance et le gain de force qui l’accompagne limitent

154 probablement la différence de développement musculaire induite par l’activité entre les muscles mobilisateurs et stabilisateurs. De plus, par son manque de développement musculaire et sa structure anatomique, le jeune joueur est déjà caractérisé par une plus grande mobilité. Ces résultats ont toutefois été mis en avant via une étude transversale et doivent être confirmés par une étude longitudinale qui prendrait en compte le processus de croissance et le parcours des joueurs évalués. Maintenant que les caractéristiques de l’épaule d’un jeune joueur en compétition de tennis sont connues, il faudrait identifier quels sont les facteurs de risque de blessures.

b. Maladaptations du complexe articulaire de l’épaule du jeune joueur de tennis

Les sportifs « overhead » ayant des problèmes à l’épaule sont généralement caractérisés par une diminution trop importante de l’amplitude de rotation interne de l’articulation glénohumérale du côté dominant par rapport au côté non-dominant, soulignée par un GIRD inférieur à -18° (chapitre 1, IV.a.ii. (p 56)) (Wilk et al., 2011). Ce biomarqueur commence cependant à être remis en question et une diminution bilatérale (dominant vs. non-dominant) importante de l’amplitude totale de rotation pourrait être un meilleur indice pour prédire les blessures à l’épaule (Keller et al., 2018). Ceci semble se confirmer dans l’étude présentée dans le chapitre 3, puisque l’amplitude totale de rotation de l’articulation glénohumérale était discriminante entre les joueurs avec et sans antécédent de douleur alors que le GIRD ne l’était pas. Par ailleurs, les joueurs de tennis avec antécédent de douleur sont caractérisés par une plus faible amplitude de rotation interne des deux côtés en comparaison avec les joueurs asymptomatiques (Moreno-Pérez et al., 2015). Cependant, les jeunes joueurs avec des antécédents de problème à l’épaule étudiés dans le chapitre 3 présentaient une plus forte amplitude totale de rotation de l’articulation glénohumérale que les joueurs asymptomatiques. Ce résultat est donc en contradiction avec les observations faites chez les joueurs adultes. Or, les jeunes sportifs sont déjà caractérisés par une grande mobilité articulaire due à leur manque de développement musculaire et leur constitution ligamentaire (Mautner & Blazuk, 2015). Une trop grande flexibilité pourrait être le témoin d’une stabilité insuffisante de la tête humérale chez le joueur en croissance, pouvant mettre en péril les structures anatomiques du complexe articulaires.

Généralement, les sportifs « overhead » avec des problèmes d’épaule présentent un déséquilibre de force entre les muscles rotateurs externes et rotateurs internes de l’articulation

155 glénohumérale (Ellenbecker, 1989). Nos joueurs avec antécédent de douleur présentaient un plus faible ratio de force pour ces muscles, que nos joueurs asymptomatiques. Ceci est le témoin de muscles rotateurs externes insuffisamment développés par rapport aux rotateurs internes. Ces muscles étant impliqués dans la stabilité de la tête humérale, un tel déséquilibre pourrait conduire à des translations de la tête humérale au cours des gestes du tennis. Ceci pourrait alors mettre en péril les structures anatomiques du complexe articulaire de l’épaule (Tafur et al., 2017).

Les joueurs « overhead » avec des problèmes d’épaule présentent également une faiblesse des muscles stabilisateurs de la scapula (Kibler et al., 2013; Wilk et al., 2016). Dans l’étude présentée dans le chapitre 3, les jeunes joueurs avec antécédent de douleur présentaient des muscles mobilisateurs de la scapula (trapèze supérieur) plus forts que les joueurs asymptomatiques alors qu’aucune différence n’était trouvée pour les muscles stabilisateurs (trapèzes moyen et inférieur). On peut donc penser que les muscles stabilisateurs de la scapula présentent un développement insuffisant par rapport aux muscles mobilisateurs pour les joueurs avec antécédent de douleur. Cette adaptation limitée des muscles stabilisateurs de la scapula pourrait altérer la cinématique scapulothoracique au cours des gestes du tennis. Cette relation est d’ailleurs étudiée plus en détail dans le chapitre 6 et sera discutée dans la partie suivante. Une altération de la cinématique scapulaire peut conduire à une réduction de l’espace sous-acromial et mettre en péril les muscles de la coiffe des rotateurs comme suggéré dans les travaux de Ludewig and Reynolds (2009).

Comme pour les joueurs matures physiquement, un déséquilibre de force entre les muscles mobilisateurs et stabilisateurs du complexe articulaire de l’épaule semble être un signe de prédisposition à la survenue des blessures. Cependant, à la différence des joueurs adultes, une trop grande amplitude articulaire de rotation de l’articulation glénohumérale est un signal d’alarme chez le jeune joueur de tennis. Dans un travail de prévention, ces observations mettent l’accent sur l’importance de renforcer les muscles stabilisateurs (rotateurs externes de l’articulation glénohumérale, trapèzes moyen et inférieur) de l’épaule dès le plus jeune. Bien que l’excès d’amplitude articulaire semble poser problème, un travail ciblant la mobilité articulaire n’est pas à négliger afin d’inculquer cette routine de travail aux jeunes joueurs et d’anticiper les effets de la croissance (perte de mobilité articulaire) (Le Gal, Begon, Gillet, & Rogowski, 2017).

156 Au vu des caractéristiques de notre étude, il est cependant difficile de savoir si les adaptations observées sont les causes ou les conséquences des antécédents de douleur à l’épaule. Ce travail doit être approfondi par une étude prospective qui est une des perspectives de ce travail de thèse. Un suivi longitudinal serait une approche encore plus complète puisqu’il permettrait de compléter la caractérisation de l’épaule du jeune joueur de tennis et de mettre en avant les facteurs de risque de blessures mais également les facteurs permettant le retour à une épaule asymptomatique. Une approche innovante pour la biomécanique a été utilisée au cours de ces travaux de thèse, l’analyse de transitions des profils latents présentée au cours du chapitre 4. Par sa capacité à prendre en compte plusieurs variables, nous avons émis l’hypothèse que cette approche permettrait de mettre en avant des combinaisons de facteurs conduisant aux blessures. Cependant, cette approche s’est révélée peu concluante principalement à cause du manque de continuité de la base de données. Ainsi, cette approche mérite d’être poursuivie avec un suivi continu de joueurs sur une tranche d’âge précise afin de définir des profils de joueurs à risque de blessures. Si, avec un suivi plus soutenu, l’analyse de transitions des profils latents se révèle toujours inefficace, il faudra envisager d’autres alternatives. Une première pourrait être l’apprentissage machine, qui, après avoir pris connaissance par exemple des caractéristiques d’amplitude articulaire et de force des muscle de l’épaule de joueurs avec et sans problème d’épaule, serait capable d’identifier des joueurs à risque de blessures. Ces méthodes représentent les solutions les plus complètes et les plus informatives pour identifier les facteurs et combinaisons de facteurs à risque de blessures. Cependant, elles sont très ambitieuses car elles demandent un nombre de participants conséquent. Ceci représente une limite lorsque l’étude s’intéresse aux sportifs élites. Il faut peut-être envisager des méthodes longitudinales plus adaptées à une telle taille d’échantillon. Une première possibilité serait une comparaison avec une ANOVA à un facteur et deux mesures répétées des amplitudes articulaires et des forces musculaires de l’épaule entre des groupes de joueurs 1) asymptomatiques sur deux temps de mesures consécutifs, 2) ayant des problèmes d’épaule sur deux temps de mesures consécutifs, 3) ayant des problèmes d’épaule sur le premier temps de mesure et asymptomatiques sur le second et 4) étant asymptomatiques sur le premier temps de mesure et ayant des problèmes d’épaule sur le second temps de mesure. Ceci mettrait en avant les facteurs clés de la pathomécanique de l’épaule et de retour à la situation asymptomatique. Cependant, l’ANOVA est une approche statistique qui ne tolère pas les valeurs manquantes. Or, comme discuté dans le chapitre 4, les valeurs manquantes sont inhérentes aux suivis

157 longitudinaux, notamment lorsque la question de recherche concerne un public d’sportifs élites. Une autre approche serait d’analyser, par les modèles linéaires à effets mixtes, comme dans le cadre des travaux de Fleisig et al. (2017), les amplitudes articulaires et les forces musculaires de l’épaule recueillies sur plusieurs années auprès de joueurs élites d’une tranche d’âge précise. Cet outil statistique tolère les valeurs manquantes, met en évidence les comportements de groupe et individuel ce qui permettrait d’identifier des facteurs associés à la survenue de la blessure. Ces approches semblent plus réalisables mais sont moins fines car elles permettent d’identifier des seuils à risque de blessures pour chaque paramètre, là où les méthodes plus complexes permettent d’identifier des combinaisons de facteurs. En définitive, pour approfondir ce travail de thèse, le suivi longitudinal doit être poursuivi avec un suivi de joueurs soutenu sur une tranche d’âge précise. La méthode d’analyse choisie sera fonction du temps alloué, du nombre de joueurs évalués et de la précision espérée.