Chapitre 3 : AMPK, gardien de la balance énergétique cellulaire
D. AMPK et cancer
VII. La metformine
Du fait de ses implications dans la régulation de la glycémie, du stockage des lipides dans les tissus adipeux, et de la prise alimentaire, l’AMPK a été depuis sa découverte, étudiée dans les pathologies associées au diabète et à l’obésité. La metformine, de la classe des biguanidines, est le traitement du diabète de type 2 de première ligne le plus prescrit au monde, avec succès et très peu de toxicité. Cette drogue activatrice de l’AMPK apparaît comme le traitement idéal contre diabète de type 2, puisque son action est hypoglycémiante (en raison de l’inhibition de la néoglucogenèse hépatique), diminue l’insulino‐résistance des tissus périphérique, et réduit les niveaux de cholestérol et de triglycérides.
Grâce à l’utilisation clinique de la metformine, un intérêt grandissant s’est manifesté autour de l’AMPK en cancérologie. En effet, des études épidémiologiques rétrospectives, menées sur des patients diabétiques traités à la metformine, ont mis en évidence que
26 MEF déficientes constitutives pour le gène d’AMPKα1 (Ampkα1‐/‐) et conditionnelles pour le gène
Figure 23 : AMPK suppresseur ou promoteur de tumeurs?
L’AMPK exerce à la fois des actions antitumorales (à gauche) et protumorales (à droite), et son action globale dépend de plusieurs critères dont l’environnement de la tumeur, l’état nutrititif, ou l’oncogène initiateur de la tumeur. Les activateurs directs ou indirects de l’AMPK utilisés en clinique (AICAR, Biguanidines, A799662) exacerbent son rôle suppresseur de tumeurs.
celle‐ci diminue fortement l’incidence de plusieurs cancers (cancer du sein, de la prostate, du colon) chez les patients diabétiques, et augmente la survie globale des patients diabétique atteints de cancer (He et al., 2011; Landman et al., 2010; Libby et al., 2009). Depuis lors, la metformine a été étudiée intensivement en cancérologie et a montré des effets antitumoraux in vitro et in vivo, de manière dépendante mais le plus souvent indépendante de l’AMPK, inhibant le complexe I de la respiration mitochondriale (Guigas et al., 2004), la signalisation de l’insuline (Kisfalvi et al., 2009; Liu et al., 2011), ou directement mTORC1 (Ben Sahra et al., 2011 ; Kalender et al., 2010; Liu et al., 2014).
VIII.
AMPK, suppresseur de tumeurs ou oncogène ?
1. Evidences d’un rôle suppresseur de tumeur
Une balance s’établit entre les fonctions anti‐tumorales de l’AMPK, et ses fonctions protectrices, donc pro‐tumorales (Figure 23). Il apparaît crucial de déterminer si un déséquilibre de cette balance peut conduire à l’apparition de tumeurs ou promouvoir leur développement. L’AMPK étant une des cible privilégiée de LKB1, suppresseur de tumeur avéré, on peut se questionner sur un potentiel rôle suppresseur de tumeurs de l’AMPK. Deux études le suggèrent. Une étude histologique réalisée sur deux cohortes de patientes atteintes d’un cancer du sein primaire (349 femmes pré/post ménopause au total) a comparé les niveaux d’activité de l’AMPK dans les tissus mammaires tumoraux, comparés aux tissus sains environnants (Hadad et al., 2009). L’expression de P‐AMPK et P‐ACC, est moins élevée au sein de la tumeur que dans l’épithélium normal adjacent, et ceci dans 90% des cas (318/349 patients). De plus, un faible marquage pour P‐AMPK est significativement associé avec un grade histologique élevé et la présence de métastases dans les ganglions axillaires. La perte de la signalisation de l‘AMPK semble ainsi être fréquente dans le cancer du sein et conférer un avantage aux tumeurs. Notons cependant qu’elle n’est pas associée significativement à une augmentation de l’expression du Ki67, marqueur de la prolifération cellulaire. B. Faubert et al. ont mis en évidence que des souris transgéniques Eµ‐Myc qui sont knockout pour l’AMPKα1 contractent des lymphomes beaucoup plus rapidement que les souris Eµ‐Myc exprimant AMPKα1 (Faubert et al., 2013). Cette étude confirme des résultats obtenus in vitro (Zhou
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et al., 2009) et établit, pour la première fois de manière claire, que la perte de l’activité
de l’AMPK augmente la tumorigenicité. Notons cependant que cette étude a été réalisée dans un modèle particulier de tumeurs liquides dont l’oncogène est c‐Myc. Des investigations avec d’autre oncogènes et modèles tumoraux sont indispensables pour statuer définitivement sur un rôle suppresseur de tumeur de l’AMPK.
Cependant, certaines observations laissent à penser que la perte de l’AMPK n’est pas un élément crucial dans l’initiation tumorale. Tout d’abord, le réseau de recherches sur l’atlas du génome du cancer (TCGA)27 permet d’établir une faible fréquence de mutations dans les sous‐unités de l’AMPK, à l’inverse d’autres suppresseurs de tumeur tels que P53, PTEN, ou LKB1 (Network; Network, 2012a, b). On pourrait penser que l’existence de plusieurs isoformes redondantes pour chaque sous‐unité de l’AMPK est un frein à l’apparition spontanée de mutations inactivatrices de l’AMPK. Cependant, des mutations dans la sous‐unité γ (particulièrement γ2) de l’AMPK sont associées à diverses maladies cardiaques chez l’homme (syndromes de Wolff, de Parkinson, de White), et aucune de ces mutations génétiques connues ne prédispose au cancer (Hardie, 2007). De même, les souris dans lesquelles les sous‐unités α sont invalidées, de façon tissu spécifique, ne présentent pas de tumeurs spontanées. Ces observations sont autant d’indices suggérant que la perte de l’AMPK ne serait peut‐être pas capable à elle seule d’induire l’initiation tumorale.
Enfin l’AMPK pourrait même être un oncogène dans certains contextes. En effet, l’activation de l’AMPK en condition de stress énergétique et son rôle dans la reprogrammation métabolique confèrent aux cellules tumorales une résistance à la mort cellulaire dans de nombreux types cellulaires (Chhipa et al., 2010 ; Kato et al., 2002; Matsui et al., 2007; Ng et al., 2012). L’impact de l’AMPK a tout particulièrement été étudié dans les tumeurs de la prostate, donnant lieu à des tumeurs solides souvent peu vascularisées, confrontées de fait à l’hypoxie et à la carence de glucose (Zhong et al., 1998). L’utilisation dans ces modèles d’ARN interférence ciblant les sous‐unités catalytiques AMPKα1 et AMPKα2 (Chhipa et al., 2010), ou d’une forme dominant négative d’AMPKα1 (Matsui et al., 2007), conduisent à une sensibilité accrue à une carence en glucose. Au cours de l’établissement des tumeurs et de leur développement,
27 Réseau regroupant les données concernant les fréquences de mutations du génome de divers tissus
les cellules se retrouvent confrontées à des périodes d’hypoxie et de stress énergétique pendant lesquelles le rôle de protecteur de l’AMPK semble critique (Kato et al., 2002; Laderoute et al., 2006).
L’AMPK apparaît donc comme un régulateur central du métabolisme et de l’homéostasie énergétique à l’échelle de l’organisme comme à l’échelle de la cellule. Certaines de ses cibles sont spécifiques de certains tissus alors que d’autres sont universelles. Son action globale au niveau de la cellule est de répondre à une baisse des niveaux d’ATP par un arrêt quasi immédiat de la consommation d’ATP et d’une activation des voies productrices d’énergie.
En conclusion, HIF1 est le facteur de transcription clé dans l’adaptation des cellules tumorales à l’hypoxie. La reprogrammation métabolique et particulièrement son rôle activateur du flux glycolytique sont essentiels dans son mode d’action. Le stress hypoxique est souvent accompagné d’une faible teneur en nutriments et notamment en glucose, carburant principal de la glycolyse. L’AMPK joue alors un rôle déterminant dans ce contexte pour adapter les besoins énergétiques à la disponibilité en nutriments.