• Aucun résultat trouvé

Amener le livre dans les campagnes colombiennes et le rendre accessible

Dans le document 90-91 : Illettrisme (Page 117-119)

au grand nombre, c’est la priorité que

se donne depuis maintenant plus de 10

ans la Fondation Secretos para Contar

de Medellin avec pour objectif l’accès à

l’éducation pour tous dans un pays dont les

inégalités entre villes et campagne restent

importantes.

C

omprendre qu’un livre

est un élément essentiel pour l’éducation et que tous les enfants doivent avoir l’opportunité d’être mis en contact avec les livres dès leur plus jeune âge est un des principaux défis de la promotion de la lecture et de l’écriture dans les écoles rurales de Colombie. Ceci étant dit, le manque d’accès aux livres et aux nouvelles technologies ont largement limité les dynamiques de lecture et d’écriture au sein des maisons et des écoles dans les campagnes colombiennes. En 2004, la Fondation Secretos Para Contar, après avoir mené plusieurs enquêtes sur la place qu’avait le livre dans le quotidien des familles pay- sannes de la région de Medellin, se rendit compte que mise à part la Bible il n’y avait pas d’autres livres dans les foyers et que les familles manifes- taient un désir impérieux d’acqué- rir de nouveaux savoirs. Ainsi surgit l’idée de semer la première graine sous forme de livre et d’entrevoir la possibilité de créer et de partager avec les habitants une collection de livres conçus spécialement pour les paysans, avec des contenus en lien avec leur contexte personnel, fami- lial, social et universel. Les efforts se concentrèrent en premier lieu à

l’édition, la production et la mise en œuvre d’une encyclopédie familiale rurale, s’appuyant sur une proposi- tion d’éducation intégralement ali- mentée par des rencontres avec les familles paysannes autour de la lec- ture, d’ateliers pour les enseignants et d’une stratégie de communica- tion soutenue à la radio. Toute une dynamique s’est construite autour de laquelle la promotion de la lecture est devenue facteur de développement. Après avoir parcouru les campagnes colombiennes pendant près de 12 ans, distribuant des livres dans les foyers paysans, la fondation Secretos para Contar réussit le pari que chaque famille possède aujourd’hui une bibliothèque de 20 exemplaires, autour de thématiques variées, qui éveillent les sentiments d’apparte- nance et de liens, qui rendent leur dignité à leurs lecteurs et créent un dialogue autour des savoirs où celui qui enseigne et celui qui apprend se confondent.

En 2013 se sont concrétisés d’autres programmes de la Fundation Secretos en la escuela, dont l’objectif

est d’appuyer et suppléer la tâche de l’enseignant en milieu rural à travers l’apport de supports didactiques et de méthodes éducatives largement ins- pirés du modèle de l’École Nouvelle. Le projet comporte plusieurs aspects : travail avec les bibliothèques sco- laires, développement de la motri- cité fine et grosse à l’aide de jeux et d’activités, mise en place de jardins participatifs dans les écoles, mise en adéquation d’environnements d’apprentissage et mise en œuvre de pédagogies pour l’acquisition des savoirs de bases.

Promouvoir l’amour pour les livres et les histoires a permis entre autres à des enfants de réinventer des ver- sions de contes classiques lors d’un exercice d´écriture collective. Avoir ses propres livres à la mai- son, profiter de temps de lecture et apprendre en s’amusant a permis qu’enfants et adultes aient une rela- tion intime et régulière avec les livres et l’apparition de nouveaux lecteurs et écrivains dans les campagnes. n

Da vid K milo La fondation Secretos Para Contar conçoit et édite des livres à la portée des familles des campagnes colombiennes

B

IB

LI

O

TH

ÈQUE

(S

)

N O 9 0-9 1 - D ÉCEM B R E 2 01 7

FOC

U

S

LA C OL OMBIE 116 P A R R O M A I N B E R T H I E R

LES BIBLIOTHÈQUES :

UN ACTEUR INCONTOURNABLE

DU PROCESSUS DE PAIX

EN COLOMBIE

« Maintenant que notre combat est politique,

nos armes sont les mots et les lettres, c’est pour

cela que la bibliothèque est si importante pour

nous. » - Citation du Commandant du Front FARC

de Rio Sucio, Choco

L

a Colombie savoure le

triomphe d’un proces- sus de paix sur qui peu auraient misé après l’échec du référendum d’octobre 2016. Après plus de cinquante années de guerre, les combats ont donc laissé place aux passes d’armes de la démo- cratie, dans ce pays qui se targue d’en être le plus ancien représentant en Amérique Latine. Il n’y a donc pas d’ennemis éternels, et si l’histoire nous le démontre inlassablement, les actualités nous font parfois perdre cet horizon auquel travaillent, sans relâche, les opiniâtres de la paix. Et ils ont eu fort à faire dans ce contexte de polarisation fratricide qui gangrène, bon an mal an depuis l’assassinat en 1948 du leader Elicer Gaitan des générations de Colombiens, de toutes les strates de la société, des quatre coins du pays, de toutes les couleurs et les saveurs qui forment l’idiosyn- crasie colombienne.

Il y a encore bien des fosses à creu- ser, pour déterrer les morts, les his- toires et les mémoires, il y a bien des témoignages et des poèmes à écrire, des libertés à bâtir, mais il y a surtout à écouter les rires de ces enfants, de cette jeunesse, de ce pays debout, enfin, qui veut parler au monde d’autres choses que de café, de coca, de violations des droits de l’Homme et de narcotrafic. Si rien n’est achevé, ni les causes profondes d’inégalités, source du conflit, ni les défis d’une souveraineté encore à définir, les

Un prisonnier politique FARC revêt ses habits de clown pour une activité de promotion de la lecture dans la BPM de Buenavista, Mesetas, Meta

B

117

voies sont tracées pour une récon- ciliation à construire. Et la culture, comme la fantasque prophétie de Macondo s’accomplit à la fin de la soli- tude, accomplit son œuvre en rassem- blant ce que les extrémismes se sont appliqué à séparer.

La Bibliothèque, les bibliothèques se sont révélées un puissant détonateur de paix. La Bibliothèque Nationale de Colombie s’est engouffrée dans la brèche des accords entre le gou- vernement et les Farc-Ep pour posi- tionner ses services publics dans des zones reculées, jusque-là interdites à l’État, au contact d’une population hier encore stigmatisée et victime, doublement victime car abandonnée et combattue. Mais aujourd’hui c’est la paix, et quel meilleur espace qu’une bibliothèque, ouverte à tous, à desti- nation de tous, comme terreau de la réconciliation ?

L’ONG française Bibliothèques Sans Frontières (BSF) en est convain- cue, et elle a répondu à la demande du ministère de la Culture colom- bien pour apporter des solutions rapides lors des premières semaines de la mise en place sur le terrain des accords de La Havane. Fort de son expérience sur des théâtres d’opéra- tions de crises et de post-conflits, dans la région des Grands Lacs, au Proche- Orient comme dans la crise migra- toire qui secoue la Méditerranée, BSF a proposé le déploiement de 20 Ideas Box dans les zones de démobilisation de la guérilla. Ce kit qui intègre toute une panoplie de matériel et services innovants a permis à la Bibliothèque Nationale de Colombie de poser les premiers jalons des Bibliothèques Publiques de la Paix et d’intervenir au cœur du processus. À la technicité des uns s’est donc associé le formi- dable capital professionnel du réseau des bibliothèques colombiennes, capable en quelques mois de recruter 20 bibliothécaires parmi son vivier et de les charger de ce projet historique dans des territoires à peine conquis à la fraternité, là où tous les acteurs du conflit portaient encore leur fusil sur l’épaule.

Les Ideas Box ont permis la mise en place d’une réponse adéquate, pierre

angulaire de dynamiques pérennes, s’inscrivant dans la durée là où de nombreux projets sont intervenus de manière ponctuelle à cause des dif- ficultés d’accès et des niveaux d’in- sécurité encore élevés. À travers ce projet, l’institution de la Bibliothèque Nationale colombienne et l’ONG fran- çaise Bibliothèques sans Frontières démontrent l’impact structurel des bibliothèques dans les communautés rurales au sein de populations sortant d’un conflit dur, et concrétisent leur apport précieux quant à la solidifica- tion des liens humains et à la mobilisa- tion du capital social du pays, validant ainsi le rôle majeur des bibliothèques pour la création d’une paix durable. Concrètement, les communau- tés locales, populations comme anciens-combattants regroupés dans

des zones sous contrôle de l’Onu, se sont approprié les Bibliothèques Publiques de la Paix, participant à la construction des bâtiments, faci- litant le travail logistique des biblio- thécaires pour arriver jusqu’aux hameaux les plus isolés, utilisant les ressources locales et disponibles, pirogues, ânes, motos, s’appuyant sur les outils innovants des bibliothèques pour produire des contenus culturels, chansons et danses, et peut-être le plus important, dynamisant les possi- bilités de médiation culturelle du pro- jet pour initier un travail de mémoire et de reconstruction du tissu social. Les 20 Bibliothèques pour la Paix apportent leur pierre à l’édification de la confiance collective, au sein même des communautés comme vis-à-vis des institutions gouverne- mentales dont ces bibliothèques sont alors le fer de lance. Sans oublier la valeur individuelle, avec un travail important visant à la promotion de la confiance en soi et la valorisation de la capacité d’agir des individus par la création d’espaces permettant l’expression culturelle. Ce travail est particulièrement important concer- nant les ex-combattants, puisque plus que leur désarmement, c’est

LA BIBLIOTHÈQUE, LES

Dans le document 90-91 : Illettrisme (Page 117-119)