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PARTIE II : Peut-on introduire les dommages et intérêts punitifs en droit français ? La greffe

B- L'amende civile : un substitut aux dommages et intérêts punitifs ?

Si l'amende civile est susceptible de constituer un substitut idéal aux dommages et intérêts punitifs, elle doit d'abord se présenter comme une sanction préférable à l'amende pénale. Nous l'avons vu, il apparaît aujourd'hui opportun de développer l'usage d'une sanction civile permettant

d'échapper, notamment en cas de faute lucrative, à l'alternative entre les dommages et intérêts soumis au principe indemnitaire et la sanction pénale. Il est aujourd'hui affirmé en doctrine80 que

l'amende civile présente une certaine supériorité dans la mesure où elle a pour but de punir moins fortement, mais surtout avec plus de souplesse, des comportements qui ne sont pas assez graves pour entraîner les foudres de la loi pénale. D'une part, l'amende civile est prononcée par un juge civil ; il en résulte incontestablement une souplesse puisque ce sont alors les règles de la procédure civile qui sont appliquées et non celles de la procédure pénale qui connaît, on le sait, plus de nullités de procédure. D'autre part, la supériorité de l'amende civile par rapport à l'amende pénale tient au fait que, sur le fond, on va lui appliquer les principes du droit civil, moins contraignants que les principes de droit pénal, tout au moins quand le montant de l'amende est faible. Dans ce cas, l'amende civile échapperait au principe de la légalité des délits et des peines et pourrait être édictée par décret. Cependant, si on veut utiliser l'amende civile comme un substitut aux dommages et intérêts punitifs dans un système juridique qui est réticent à leur égard, il faut que l'amende civile soit d'un montant dissuasif, donc supérieur à celui de la plupart des amendes civiles connues de notre droit. Or, même dans le cas de l'article L 442-6 III du Code de Commerce, qui prévoit une amende civile pouvant aller jusqu'à deux millions d'euros, l'efficacité d'une telle mesure risque d'être limitée puisque le gain peut être supérieur au montant de l'amende à laquelle on a fixé un plafond. Ainsi, parce que ces amendes civiles sont plafonnées, comme pour la sanction pénale, leur efficacité s'en trouve atténuée lorsque l'activité préjudiciable est très lucrative.

Si l'amende civile semble présenter un certain nombre d'avantages par rapport à l'amende pénale, c'est surtout son apparente supériorité par rapport aux dommages et intérêts punitifs qui encourage son développement. En effet, l'amende civile a, en premier lieu, des effets favorables comparables à ceux des dommages et intérêts punitifs. Elle présente, comme ces derniers, une double vertu punitive et préventive : l'article L442-6 du Code de Commerce peut avoir un tel effet dissuasif puisque les entreprises savent désormais qu'en commettant une pratique restrictive, elles risquent de devoir indemniser le préjudice subi et payer une amende pouvant aller jusqu'à deux millions d'euros. Cela permettra de prévenir la commission d'infractions civiles. L'amende civile pourrait également échapper à l'assurance, comme les dommages et intérêts punitifs. La question de « l'assurabilité » des dommages et intérêts punitifs est une question importante que nous développerons dans la suite du mémoire81. Mais, la question est plus simple pour l'amende civile

dans la mesure où l'assurance de responsabilité vient garantir des dettes de réparation si bien qu'elle ne pourrait garantir des amendes, qu'il s'agisse d'amendes pénales, fiscales, ou même civiles. En

80 M. BEHAR-TOUCHAIS, « L'amende civile est-elle un substitut satisfaisant à l'absence de dommages et intérêts punitifs ? », Petites Affiches, 20 novembre 2002, n° 232, p. 36

second lieu, l'amende civile semble supérieur aux dommages et intérêts punitifs en ce qu'elle ne conduit pas aux effets défavorables de ces derniers : sur le plan théorique, l'amende civile ne touche pas au dogme de la réparation intégrale du préjudice. Elle est donc plus facile à introduire et à développer dans notre système juridique dont elle ne heurte pas les fondements. Au plan pratique, l'un des reproches que l'on pourrait notamment adresser aux dommages et intérêts punitifs ne se retrouve pas dans l'hypothèse de l'amende civile. En effet, la différence principale entre l'amende civile et les dommages et intérêts punitifs tient au fait que l'amende civile n'est pas versée à la victime mais au Trésor Public, si bien qu'elle ne contribue pas à donner à la victime un avantage concurrentiel indu sur le marché. Au contraire, en introduisant, dans le domaine de la concurrence déloyale, des dommages et intérêts punitifs qui tomberont dans le patrimoine de la victime, on avantage sur le marché la victime de ladite concurrence si bien que ce seront alors les autres concurrents qui subiront un désavantage dans la concurrence, qui pourrait leur nuire. Cependant, cela est vrai dans des domaines comme celui de la concurrence déloyale ou des pratiques restrictives de concurrence, donc dans les domaines du droit économique, mais c'est un peu moins vrai quand la pénalité vient sanctionner par exemple une atteinte à la vie privée par voie de presse. Le choix à faire entre amende civile et dommages et intérêts punitifs ne doit alors peut-être pas être fait de la même façon dans toutes les hypothèses.

Parce qu'il faut « se méfier de la perversité de la vertu »82, il est nécessaire de ne pas s'arrêter

à l'examen des seules vertus de l'amende civile, mais de mettre également en exergue ses effets pervers, qui ont pu être dénoncés.