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5. PISTES DE RÉFLEXION ET RECOMMANDATIONS

5.5 Améliorer les pratiques de l’aquaculture en milieu marin

Bien que l’aquaculture ne soit pas de la pêche, elle est souvent perçue comme la solution à la diminution et à la stagnation des stocks en milieu marin et comme un moyen de diminuer à la fois la pauvreté et la pression exercée sur la pêche de capture. Appelée révolution bleue, en analogie à la révolution verte de l’agriculture, l’aquaculture représente la seule activité capable de suivre la hausse de la demande mondiale en produits de la mer (Rönnbäck et al., 2002). En 2008, l’aquaculture a produit 52,5 Mt de produits de la mer, représentant 45,7 % de la production mondiale destinée à la consommation humaine avec une forte production totalisant 48,6 Mt par les PED (tableau 1.2). L’industrie de l’aquaculture est le secteur le plus dynamique dans la production alimentaire avec un taux de croissance annuel dépassant 10 % et totalisant 98,4 milliards de USD en 2008 (Love, 2010).

Toutefois, plusieurs impacts négatifs (socioéconomiques et environnementaux) ont été observés et poussent à se questionner sur la légitimité et sur la durabilité d’une telle activité pour les pays du Sud. Seront brièvement exposées les conséquences négatives de l’utilisation de poissons marins, la perte de zones de pêche, la dégradation des écosystèmes marins côtiers, les espèces exotiques et finalement, une synthèse sur la pertinence de l’aquaculture en milieu marin.

5.5.1 Utilisation de poissons marins

Le succès de l’aquaculture repose sur la prospérité des stocks de poissons sauvages, car plusieurs fermes d’aquaculture capturent en mer des poissons juvéniles pour démarrer et assurer un bon fonctionnement de leur élevage, ce qui entraîne nécessairement une diminution pour les pêches de capture, mais également des espèces non ciblées qui deviennent des prises accessoires (Love, 2010). Plusieurs poissons sauvages capturés en milieu naturel sont destinés à la transformation pour ensuite servir de nourriture aux poissons d’élevage carnivores. En effet, les poissons nobles (saumon, bar, etc.) très prisés par les consommateurs des PI sont tous carnivores, comme la grande majorité des poissons marins. Pour parvenir à produire 1 kg de saumon d’élevage, il faut de 2,5 à 5 fois plus de poissons sauvages. Il en est de même pour le thon dans une proportion encore plus importante (1 pour 20) (ibid.). Il y a donc une part importante de produits de la mer qui est destinée à alimenter l’industrie de l’aquaculture. Ce sont respectivement 59 % et 80 % des stocks mondiaux de farine de poissons et d’huile de poisson qui sont utilisés dans ce milieu (ibid.). Cette consommation démesurée de produits de la mer à des fins de production en milieu de captivité soulève un certain problème éthique. Les poissons utilisés à des fins de transformation en farine et huile pour alimenter les poissons d’élevage destinés au marché de consommation des PI pourraient directement nourrir des milliers de personnes localement. Par ailleurs, l’impact de l’implantation de l’aquaculture a des conséquences non seulement sur la disponibilité des stocks de poissons, mais également sur l’accessibilité à la ressource.

5.5.2 Perte de zones de pêches

Le développement croissant de l’aquaculture en milieu côtier est une source additionnelle de pression sur les écosystèmes, mais elle entraîne également des pertes importantes de territoires de pêche utilisés par les pêcheurs artisanaux, conduisant à la privatisation de la ressource (Primavera, 2006). Ces derniers se font tout simplement subtiliser leurs zones de pêche par des entreprises multinationales qui s’enrichissent au détriment des populations locales et de l’environnement. Les infrastructures destinées à supporter les activités de l’aquaculture privent les pêcheurs artisanaux d’accéder à leurs zones de pêches traditionnelles et restreignent leurs déplacements en mer.

Par ailleurs, pour plusieurs communautés de pêcheurs artisanaux comme c’est le cas au Mexique, l’aquaculture marine n’est pas vue comme une alternative, puisqu’elle engendre des coûts de production élevés qui ne peuvent être assurés que par le développement de grandes entreprises (Pérez Jiménez, 2011). Ainsi, les pêcheurs artisanaux ne sont pas outillés pour rivaliser avec l’implantation de fermes d’élevage ce qui, indirectement, peut conduire à la perte d’emplois, à la migration forcée, à l’insécurité alimentaire, à des perturbations sociales résultant des conflits (Primavera, 2006).

5.5.3 Dégradation des écosystèmes marins côtiers

L’implantation de fermes d’élevage a des conséquences directes sur les écosystèmes marins côtiers en zone tropicale. La mise en place des infrastructures entraîne la destruction des écosystèmes naturels et de leur végétation. Ainsi, les écosystèmes comme les mangroves et les récifs coralliens, qui rendent de précieux services aux populations humaines, voient leur superficie progressivement réduire (Kura et al., 2004). La perte de ces habitats en milieu côtier engendre conséquemment des effets sur les populations de poissons qui en dépendent. C’est là le véritable paradoxe de l’aquaculture; la productivité et la durabilité des poissons en milieu tropical côtier sont souvent associées aux biens et services écologiques rendus par les mangroves et récifs coralliens qui sont détruits par l’industrie de l’aquaculture. Qui plus est, l’utilisation excessive dans certains types d’élevage d’hormones, de vitamines, d’antibiotiques et autres produits chimiques pour lutter contre les maladies développées en captivité et pour favoriser la productivité détériore considérablement la qualité des eaux en milieux côtiers (ibid.). Les rejets de nutriments et de produits chimiques causent la toxicité des eaux et entraînent des répercussions sur les espèces dépendantes des écosystèmes côtiers, de même que celles dans les niveaux trophiques supérieurs (Primavera, 2006). Il faut ajouter les déchets organiques des poissons tels que les produits d’excrétion qui accélèrent l’eutrophisation du milieu naturel et la prolifération d’algues nocives pour les organismes vivants, dont les humains (FAO, 2010a).

5.5.4 Espèces exotiques

Pour répondre à la demande du marché international, l’aquaculture est davantage basée sur l’élevage d’un nombre réduit d’espèces, pour la plupart des espèces nobles et

exotiques. L’introduction d’espèces exotiques dans les milieux tropicaux où elles ne possèdent pas les caractéristiques biologiques adaptées et dans lesquels leurs prédateurs naturels sont absents peut entraîner des conséquences néfastes sur l’écosystème et les espèces natives de la région. Les échappés de culture menacent la survie des espèces indigènes par la compétition pour l’espace et les ressources, en exerçant dans certains cas une pression de prédation, créant un déséquilibre dans les réseaux trophiques (Kura

et al., 2004). Les populations sauvages sont aussi très vulnérables à l’invasion d’espèces

introduites qui sont vectrices de maladies et d’agents pathogènes.

5.5.5 Pertinence de l’aquaculture dans la gestion des pêches

Dans le contexte des CC, l’aquaculture en milieu marin ne représente pas une solution durable, particulièrement dans les PED. En effet, l’aquaculture sera tout aussi affectée en zone côtière que la pêche artisanale. L’aquaculture étant extrêmement dépendante des stocks naturels pour l’approvisionnement des poissons d’élevage, elle subira les impacts de la modification spatiale de la répartition des espèces, de leurs variations d’abondance et de leur disponibilité. De plus les installations de l’aquaculture sont exposées aux mêmes menaces que les autres infrastructures en zones côtières. L’élévation du niveau de la mer et l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des tempêtes tropicales sont des impacts des CC susceptibles de bouleverser la stabilité au sein de l’industrie de l’aquaculture.

L’aquaculture ne peut pas remplacer la pêche artisanale de capture. Néanmoins, des pratiques saines d’aquaculture, à petite échelle, encadrée par des normes strictes et dans le respect des écosystèmes peuvent assurer un complément à la pêche artisanale pour les communautés des PED. L’aquaculture multitrophique intégrée est à privilégier dans un contexte de développement durable, car elle peut être appliquée en milieu d’eau douce comme marin (Chopin, 2006). C’est un procédé qui permet d’utiliser les déchets organiques produits par les espèces en captivité, riches en éléments nutritifs, pour la croissance et la culture d’espèces végétales, comme les algues. L’algue est à son tour consommée par des espèces herbivores commercialisables ou vendue, de manière à ce que tout soit réutilisé (Allsopp et al., 2008). Ce type d’aquaculture permet également de réduire la pollution causée par le rejet des eaux usées. Dès lors, pour faire de l’aquaculture une activité durable dans les PED, il faut :

Privilégier l’élevage de petites espèces natives de la région;

Diversifier les espèces d’élevage et en commercialiser des nouvelles; Privilégier l’élevage d’espèces herbivores;

Implanter de petites fermes d’élevage pour la consommation locale;

Continuer la recherche d’alternatives à la farine et à l’huile de poisson pour réduire la dépendance de l’industrie à ces produits;

Établir des partenariats avec les pêcheurs artisanaux pour favoriser le bien-être socioéconomique;

Concerter les populations locales dans l’implantation de fermes d’élevage pour respecter les droits d’accès à leurs zones de pêche traditionnelles;

Appliquer des normes environnementales strictes;

Miser sur les systèmes d’aquaculture multitrophique intégrée.