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4. Pratiques et imaginaires sociotechniques de transfert modal à Liège : analyse et identification

4.4 Hétérogénéité entre usagers : de l’imaginaire traditionnel à alternatif

4.4.2 Alternatives et solutions à ce constat : entre adhésion et résistance

Si les trois groupes d’usager sont conscients qu’il faut changer de mobilité dans le centre, ils sont également d’accord pour dire que les alternatives à la voiture doivent se développer.

« Je pense qu’il ne faut pas non plus se mettre à dos tous les autres automobilistes, mais il faut arriver à pouvoir contraindre quand même les gens à ne plus prendre leur voiture pour aller dans l’hyper-centre, et de voir qu’il y a d’autres choses alternatives qui ne sont pas forcément quelque chose de contraignant, à des prix démocratiques »210.

« Tu peux faire ça à partir du moment où il y a une offre à côté, mais pour l’instant ce n’est pas le cas »211.

A l’instar des développements des différentes alternatives à la voiture propres aux autorités publiques, nous reprenons dans ce qui suit les modes présentés à savoir le bus, le tram et la mobilité douce.

4.4.2.1 Réseau de transport en commun de bus : entre efficacité et rejet assumé D’emblée, une distinction doit être réalisée quant aux différentes positions des usagers. Si les usagers « étudiants » voient les bus TEC à Liège comme un moyen efficace pour se déplacer

207 Kubler D., Analyser les politiques publiques, Politique en plus, 2009, p. 103 : « L’existence d’un intérêt

commun ne suffit pas pour expliquer l’avènement d’une mobilisation en vue de l’obtention d’un bénéfice commun (…) l’avènement d’une mobilisation collective exige, outre un intérêt collectif, l’existence d’incitations individuelle pour participer à la mobilisation. »

208 Cela devrait éviter le problème du passager clandestin.

209 Les usagers « personnes actives » relèvent tout de même une dépendance à la voiture quand il s’agit de

transporter des charges encombrantes. Ainsi, si la voiture devient interdite dans le centre, un autre moyen devrait être trouvé afin de pouvoir « transporter son nouveau frigo jusqu’à chez soit par exemple ».

210 Focus Group « Etudiants ». 211 Focus Group « Personnes actives ».

42 dans le centre-ville et en périphérie, ce n’est pas l’avis des usagers « personnes actives » et « personnes âgées ».

Les étudiants sont majoritairement d’accord pour dire que pour se déplacer dans la zone P2 en bus, une multitude de lignes et d’arrêts sont à leur disposition, ce qui rend le temps d’attente et de trajet attractif, même si la vitesse et le confort aux heures de pointe pourraient être améliorés. En effet, du point de la vitesse, une multitude de lignes sur un même site propre peut entrainer un ralentissement des bus par les bus eux-mêmes. De plus, ils partagent le fait qu’utiliser ce mode est assez économique. Cependant, ils reconnaissent que cela dépend du lieu de résidence. Si l’étudiant habite dans une commune à proximité de Liège, mais qui n’est pas desservie en bus ni en train, celui-ci se voit contraint de prendre la voiture pour se rendre dans le centre et reconnait que changer de mode aux portes de la ville pour prendre le bus n’est pas quelque chose qu’il ferait. Nous le voyons, la rupture de charge212 fait peur pour certains d’entre eux, chose qui se fait moins sentir pour les étudiants qui prennent le bus et le train dans leurs déplacements journaliers.

Ce que nous remarquons également, c’est que les usagers « étudiants » font preuve d’une certaine flexibilité. En effet, lorsqu’ils ont le choix, ils sont disposés à prendre l’ensemble des modes à leur disposition en fonction de leur déplacement à effectuer, en choisissant le plus efficace pour eux.

Le positionnement des usagers « personnes actives » et « personnes âgées » concernant les bus à Liège est bien différent et rencontre davantage la position de Pierre Bricteux, à savoir que ce n’est pas un mode attractif, car c’est entre autres, lent et inconfortable213.

« Toute ma vie, j’ai pris les bus. Et je ne prendrai plus un bus ici, car ce n’est pas un transport de voyageurs, mais un transport de bétail (…) Ils ne sont pas trop délicats dans les démarrages et freinages »214.

Dans un premier temps, pour les personnes âgées, le mécontentement se situe plutôt au niveau du confort des bus, comme le fait comprendre l’extrait ci-dessus. En effet, pour eux, prendre le bus à Liège est pour eux quelque chose de dangereux et ils racontent qu’il n’est pas rare pour une personne âgée de tomber dans le bus quand celui-ci effectue un mouvement brusque215. De plus, la majorité des personnes âgées rencontrées ont été habituées toute leur vie à utiliser la voiture comme mode de déplacement principal, ce qui n’entraine pas maintenant une attirance particulière vers le bus. Cependant, ils éprouvent une certaine nostalgie envers les transports en commun de l’époque tels que les trams verts ou les trolleybus. S’ils doivent se déplacer en ville, ceux-ci préfèrent le faire en voiture, s’ils en disposent toujours, ou alors font appel à leur famille ou à un taxi. Les personnes âgées sans voiture ont besoin d’un service « de porte à porte », service qui n’est pas toujours possible en bus.

212 Définition reprise en note de bas de page, page 35.

213 Interview Pierre Bricteux : « La vitesse commerciale n’est pas attractive, on est serré, secoué (…) ce n’est pas

attractif ».

214 Focus Group « Personnes âgées » 215 Ibid.

43 Les personnes actives ensuite, même si elles considèrent que le confort est un caractère non négligeable, celle-ci soutiennent que c’est surtout le fait de dépendre d’un mode qu’ils ne contrôlent pas qui les rebutent. En effet, que ce soit au niveau des horaires de passage ou des lieux d’arrêts, leurs horaires ou déplacements professionnels ne correspondent pas toujours avec le service fixe proposé par la TEC. La voiture apparait donc à leurs yeux comme un moyen de déplacement indépendant, fiable, flexible216 et qui permet de se rendre partout. Concernant les parkings relais permettant une déportation des usagers automobilistes sur les lignes de bus installés à Angleur et Jemeppe, leur utilisation dans le contexte actuel n’est pas envisagée, étant donné les possibilités de parking dans le centre, possibilités développées plus haut217. De plus, pour un certain nombre d’entre eux, l’entreprise pour laquelle ils travaillent intervient dans le remboursement des frais de parking. Par ailleurs, nous remarquons une certaine appréhension quant à leur utilisation :

« Je trouve que quand tu prends ta voiture pour une longue distance je préfère arriver directement à destination 218».

Finalement, en prenant de la distance avec ce qui a été dit, nous remarquons que pour les personnes âgées et actives, qu’il s’agit surtout d’habitudes ancrées à prendre la voiture, habitudes qui effacent tous autres moyens de déplacement, surtout les transports en commun.

4.4.2.2 Le projet du tram liégeois : réjouissance et expectative

Concernées de près ou de loin par le développement et les projets de la Ville de Liège, tous les usagers rencontrés étaient au courant qu’un tram allait circuler à Liège un jour, mais beaucoup d’interrogations subsistaient quant à la date de mise en service de celui-ci.

Généralement, celui-ci jouit d’une image positive, même si certains s’interrogent quant à la plus-value du trajet qui est déjà effectué par des lignes de bus. De plus, comme la critique évoquée par l’ASBL urbAgora, l’ensemble des usagers insistent sur le fait que le projet actuel ne dessert pas les zones densément peuplées219.

Les étudiants estiment que ce nouveau mode serait un bon moyen pour augmenter la vitesse commerciale dans le centre et le confort, par des démarrages plus doux. Ils voient ce projet également comme une opportunité pour la ville d’affirmer son image de métropole. De plus, étant conscients d’être la population qui utilise plus les bus, les étudiants pensent que le tram, à l’image des métros dans les grandes villes, permettra probablement une plus grande mixité générationnelle, c’est-à-dire qu’il attirera plus de personnes que le bus n’attire aujourd’hui. Les étudiants rencontrés soutiennent donc ce projet porté par la SRWT.

La position des personnes actives est différente. En effet, même s’ils estiment qu’il est possible qu’ils utilisent le tram, ils pensent que ce ne sera pas dans un contexte professionnel,

216 Nous reprenons le même terme que celui utilisé pour expliquer la position des étudiants face à l’utilisation de

différents modes de déplacements, à la différence qu’ici, il s’agit d’un caractère de flexibilité que la voiture permet, par opposition aux transports en communs qui évoluent dans un cadre spatio-temporel fixé.

217 Voir point 4.4.1

218 Focus Group « Personnes actives » 219 Le tracé est reproduit en annexe 5.

44 car, d’une part, ils ne désirent pas dépendre d’un service fixe et d’autre part ils ne sont pas prêts à effectuer une rupture de charge sur leurs déplacements pendulaires. Cependant, ils soutiennent que dans un contexte de promenade, de loisir, son utilisation serait bienvenue. Concernant les personnes âgées, ce projet permet d’apporter plus de qualité au critère qu’ils considèrent comme déterminant, à savoir le confort. À leurs yeux, le tram serait un moyen de déplacement plus doux, qui donne moins d’à-coups.

Au vu de ces développements, ce n’est pas le terme « révolution » qui qualifierait au mieux le projet dans le regard des usagers, terme plusieurs fois avancé par le politique, mais plutôt « évolution ». Toutefois, l’ensemble des usagers attend que le projet soit réalisé pour en juger plus longuement.

4.4.2.3 Mobilité douce : moyen d’indépendance

Les usagers « étudiants » et « personnes actives » soulignent tous deux les bons aménagements menés par les autorités. Qu’il s’agisse de piétonniers, d’aménagements des quais ou de signalisations pour cyclistes, tous accueillent avec enthousiasme l’orientation de ces mesures, qui rendent le centre plus agréable. Pour rappel, ces deux groupes d’usagers voient le centre de la ville future sans voitures ; leur position est donc en accord avec leur vision. Néanmoins, ils constatent que des efforts d’aménagement doivent être réalisés pour sécuriser les usagers qui recourent à une mobilité douce. Ce manque est connu des autorités et fait d’ailleurs l’objet d’un point particulier dans la Déclaration de Politique Générale220 relevée plus haut. De plus, ce sont également les mentalités qu’il faut changer. En effet, se fiant à leur expérience, les deux groupes d’usagers soutiennent que parfois, les automobilistes « ne respectent pas les autres usagers »221.

La position en faveur de la mobilité douce des personnes actives se justifie, car à l’inverse des transports publics qu’ils considéraient comme contraignant, se déplacer en vélo ou à pied ne dépend que d’eux-mêmes.

« C’est le fait d’avoir mes horaires, quand je veux… C’est le fait d’avoir des horaires imposés qui m’empêcheraient de prendre le bus. -- Donc tu préfères être flexible et avoir ton vélo pour avoir… -- C’est ça oui. 222 »

Le développement du vélo électrique est perçu par ces mêmes groupes d’usagers comme un élément facilitateur de déplacement, qui peut contrer les obstacles du relief. Pour ce qui est du relief liégeois, les étudiants et personnes actives sont particulièrement concernés, car un des pôles académiques et économiques importants de la ville se situe dans le quartier du Sart Tilman, lui-même situé sur une colline du même nom. Ainsi, pour s’y rendre, les usagers doivent emprunter des routes à dénivelé important : ils voient alors le vélo électrique comme une solution afin de s’y rendre autrement qu’avec un moyen motorisé. Cependant, ils soulignent le manque d’aménagement réalisé pour sécuriser les cyclistes dans ces côtes. Pour

220 Déclaration de Politique Régionale 2017, p. 26.

221 Focus Group « Etudiant » : « On voit très souvent des voitures qui se garent sur les pistes cyclables, ou même

sur des passages pour piétons. On en est à ce niveau-là et ça ce n’est pas un respect des usagers. »

45 eux, rouler sur les voies rapides est dangereux. Pourtant, des itinéraires cyclables qui contournent les voies rapides existent et proposent des aménagements sécurisés pour les cyclistes qui désireraient se rendre au Sart Tilman à vélo223. Ces itinéraires sont toutefois inconnus des usagers interrogés, ce qui révèle un manque de communication de la part des autorités224.

Les usagers « personnes âgées » sont satisfaits des piétonniers et aménagements cyclables, mais ne désirent pas qu’ils s’étendent davantage, car il ne faudrait pas restreindre plus la voiture. Par contre, ils sont demandeurs de trottoirs mieux aménagés et moins dangereux. 4.4.3 Mobility as a service

La position des autorités dans les interviews et les documents analysés à propos du rapport des usagers face à leur mobilité se vérifient : les usagers disposant d’une voiture la voient généralement d’abord comme un moyen de déplacement et, dans un second temps, peut être une extension de sa propriété. Ainsi, pour reprendre une des théories abordées, la voiture n’est pas considérée comme son territoire secondaire, en tout cas pas de prime abord et entre donc en contradiction avec les travaux de Lolita Ruben225. Les usagers, surtout les jeunes, paraissent ainsi moins matérialistes qu’utilitaristes, c’est-à-dire qu’ils sont moins dans la possession d’un mode de déplacement particulier, comme la voiture, que dans l’utilisation. Ce mouvement se retrouve dans la croissance des applications de car-sharing et prévoit qu’en zone urbaine, les jeunes nés en 2017 seront les derniers à posséder un véhicule226. Ainsi, quand il s’agit de se déplacer à Liège, l’idée d’avoir une application pour connaitre les différents modes et leur coût respectif pour le trajet qu’ils projettent de faire est vue positivement, même si certains soutiennent que cette fonction est déjà remplie par l’application Google Maps227.

Pour ce qui est de l’application Shop & go, les usagers « étudiants » ont particulièrement exprimé leur méfiance envers ce projet, car, selon eux, cela donne un mauvais signal en proposant aux clients de venir facilement en voiture dans le centre sans mettre l’accent sur les alternatives en place. Ils soutiennent qu’il faudrait plutôt mener avec l’ensemble des usagers des mesures d’accompagnement, de pédagogie, afin que ceux-ci ouvrent les yeux quant aux différents moyens alternatifs à la voiture et afin de les convaincre de la qualité des alternatives228. Par contre, les usagers « personnes actives » voient le projet positivement, car il permet de garder leur voiture dans le centre. Ils l’affirment que s’il n’y avait plus de parking libre à Liège, qu’ils soient gratuits ou payants, ils décideraient de se rendre moins dans le centre que de prendre le bus229.

223 L’itinéraire cyclable en question est reproduit en annexe 6. 224 Voir 4.4.4

225 Rubens, L., « Favoriser le report modal : connaître les raisons liées au choix d’un mode de déplacement pour

le changer », Pratiques psychologiques, 17 (2011), p.20.

226 Le Soir, « La voiture, un outil de mobilité qui se partage davantage », 24/04/2018, consulté le 15/05/2018. 227 Focus Group « Etudiants ».

228 Focus Group « Etudiants » : « Je pense que le véhicule dans le centre-ville, ce n’est pas le message qu’ils

doivent envoyer pour attirer plus de monde à Liège. »

46 Les « personnes âgées » ne se sont pas exprimées à ce sujet.

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