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L’implantation du pouvoir royal : l’administration de la

2. L’Audience royale à Panama

2.2 Alonso Criado de Castilla et son rapport de

Arrivé à Panama au cours de l’année 1574 en tant qu’auditeur126, Alonso Criado de

Castilla fit un état de la province de la Terre Ferme dans son rapport de 1575 « Sumaria

descripción del Reino de Tierra-Firme, llamado Castilla del Oro, que está sujeto a la Real Audiencia de la ciudad de Panamá »127, fruit de sa visite. En réalité, cette visite est

consécutive aux ordonnances émises le 4 octobre 1563 concernant les fonctions de l’Audience.

Constituées de quatre-vingt-neuf pièces au total128, ces ordonnances comportent des

instructions relatives aux visites et aux litiges ecclésiastiques. Celestino Andrés Arauz Monfante et Patricia Pizzurno Gelós ont commenté la question des visites, en distinguant le rôle du président de celui des auditeurs. En effet, dans un long et particulier rapport, le président devait rendre compte au Conseil des Indes, une fois par an, des salaires, de l’aide de la côte, des entretiens et des recettes fiscales recouvrées dans la province. Les auditeurs, quant à eux, devaient, une fois par an, effectuer une visite de chaque territoire constituant la province. De ce fait, ils avaient le devoir d’informer de l’état de la province, du nombre des populations en indiquant comment leur venir en aide, de l’état des églises et monastères, de l’état de l’endoctrinement des Indiens en précisant si les esclaves des mines recevaient une éducation religieuse et comment agissaient les corrégidors129.

126 Alonso Criado est né en 1540 à Andújar, une commune située dans la province de Jaén de la communauté

autonome d'Andalousie. Fils légitime d’Andrés Criado et de Marina Castilla (tous deux originaires de Jaén), il avait effectué ses études à l’Université de Salamanque et de Séville où il obtint respectivement les titres de Bachelier et de Docteur en droit. Le 13 décembre 1573, il fut nommé auditeur de l’Audience de Panama. Voir : José María VALLEJO GARCÍA-HEVIA, « La Audiencia de Guatemala y sus Consejeros de Indias en el siglo XVI », Anuario de historia del derecho español, nº 75, 2005, p. 546-547.

127 Ce rapport est publié dans Manuel PERALTA : Costa Rica, Nicaragua y Panamá en el siglo XVI, Madrid et

Paris, 1883, p. 527-540. Omar Jaén Suárez l’a aussi publié dans son ouvrage Geografía de Panamá, estudio

introductorio y antología de, Panama, 1985.

128 Voir : AGI., Panama, 236, L. 9, f. 835-924

129 Celestino Andrés ARAUZ MONFANTE et Patricia PIZZURNO GELÓS, El Panamá hispano (1501-1821), op. cit.,

Le chapitre dédié aux « plaintes ecclésiastiques » (pleitos eclesiásticos), que les auteurs cités précédemment n’ont pas analysé dans leur étude, stipule que les auditeurs devaient, en cas de litiges avec les juges ecclésiastiques, se référer aux dispositions des Audiences de Valladolid et de Grenade établies à cet effet. En outre, ils devaient informer de l’existence des personnes ayant mandat pour récupérer les biens des archevêques et évêques défunts et des postes vacants au sein du clergé ; enfin, ils devaient veiller à ce que les Indiens soient évangélisés dans la langue espagnole130.

Dans le cadre juridique de ce qui précède, le rapport de visite d’Alonso Criado de Castilla relève les difficultés qu’éprouvaient les institutions religieuses de la Terre Ferme à ce moment-là. A cet effet, il mentionne d’abord le montant et la répartition des dîmes des églises de Panama et de Veraguas. A ce sujet (nous nous limitons à Panama), il indique qu’en 1574, la dîme de la cathédrale de Panama s’était élevée à deux-mille trois cent quatre-vingt-cinq pesos. Cette somme était répartie en quatre parts : une part (¼) pour l’évêque, soit son salaire ; une autre part (¼) pour les membres du chapitre ecclésiastique (doyens, dignités, chanoines, racioneros, chanoines prébendiers, etc.). Et les deux autres parts étaient réparties en neuf parts : 4/9 pour les prêtres de la cathédrale : le doyen (deán), le chantre d’Église

(chantre) et les deux chanoines (canónigos) ; 2/9 pour les constructions ; 1/9pour l’hôpital de la

ville et 2/9 pour le roi. Cette dernière part fut offerte à la cathédrale (1/9 et demi) et à l’hôpital

(l’autre moitié), vu leurs difficultés financières.

Alonso Criado de Castilla fait ensuite des recommandations pour une meilleure évangélisation, car les religieux présents n’étaient pas à la hauteur. Dans cette perspective, il était nécessaire d’envoyer un ou deux visiteurs qui devaient s’enquérir des méthodes d’évangélisation des Indiens et proposer des solutions à cet effet ; un légat ou un nonce qui devait pleinement se charger des questions de mariage et d’absolution des cas réservés, vu la difficulté de les traiter en Espagne ; et des religieux spirituellement bien formés et de bonne moralité « sean tales de cuya suficiencia virtud y letras y vida inculpable ». Par cette demande, l’auditeur souhaitait une recomposition du corps religieux qui était alors constitué majoritairement de prêtres sans réelle identité – qu’il considérait d’ailleurs comme inutiles et scandaleux –, et surtout investis dans le vice. A cet effet, à son avis, la présence de quatre – dominicains, franciscains, augustins et jésuites – suffisait. A ce sujet, il existe une ambiguïté. Alonso Criado de Castilla ne précise pas s’il s’agissait de quatre Ordres religieux ou d’un

religieux des quatre Ordres cités, pour toute la province ou par ville. Toutefois, il préconisait que tous travailleraient de façon uniforme, loin de toute discorde131.

Le roi avait-il répondu favorablement à ces recommandations ? Aucun texte ne permet de le dire avec exactitude. Cela dit, au cours de la deuxième moitié du XVIe siècle, les auditeurs effectuèrent aussi des visites particulières à la demande du roi, comme nous le verrons dans le chapitre réservé au contrôle des activités jésuites par le pouvoir royal.

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L’ordre royal a éprouvé des difficultés pour s’imposer dans la ville de Panama entre 1521 et le cours des années 1570. Il s’est d’abord manifesté avec l’installation du corps de ville. En tant qu’institution sociale, celui-ci s’est mêlé du patronage royal, en se montrant enthousiaste à l’idée de favoriser l’implantation des institutions religieuses et la nomination des membres du clergé séculier.

L’ordre royal s’est signalé ensuite par l’implantation d’une Audience, d’abord en 1538, puis en 1563. Dans ses premiers moments, cette institution n’a pas accompli une action majeure concernant l’entreprise missionnaire. Elle s’est plutôt préoccupée d’asseoir son pouvoir et de résoudre le problème des Noirs marron, souvent associés aux corsaires et aux flibustiers anglais et français. Avec l’apparition de ces populations dans la province, la ville de Panama est devenue un front, c’est-à-dire un lieu de combats ou bien un lieu où éventuellement pouvaient se tenir des combats132. La route commerciale Nombre de

131 AGI, Panama, 11, N. 14.a, op. cit.

132 Michel BERTRAND, Natividad PLANAS (dir), Les sociétés de frontière. De la Méditerranée à l'Atlantique

Dios/Portobelo – Panama, qui permettait de passer de l’Atlantique au Pacifique et vice-versa, était devenue un terrain idéal à cet effet pour les Noirs marron. María del Carmen Mena García, qui étudie cette question en profondeur, mentionne que la période la plus trouble des révoltes de ces populations contre les autorités espagnoles est celle qui va de 1549 à 1582133.

Pour remédier à cette situation, les magistrats du Conseil des Indes avaient orienté les réflexions sur la redéfinition de la politique de gouvernement de la province. Dans cette perspective, le remplacement des militaires à la tête de l’Audience avait constitué l’une des résolutions majeures envisagées et mises en œuvre à la suite du décès du docteur Gabriel de Loarte en 1578. Par ce changement de profils professionnels, la Couronne cherchait des hommes capables de trouver des solutions immédiates et idoines au problème du marronnage.

Finalement, tout au long du XVIe siècle, le pouvoir royal dans la ville de Panama était instable, voire « incertain ». Particulièrement, le pouvoir spirituel restait à consolider. Si les requêtes du corps de ville adressées au roi ont montré les difficultés à construire des établissements religieux, à cause des moyens financiers et des catastrophes naturelles, il n’est pas inintéressant de s’interroger sur la vocation des religieux à s’installer dans la ville de Panama.

Chapitre 2

L’établissement du pouvoir