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3 Comment faire pour aller dans cette direction ?

A) Accepter la présence de cet autre permanent ou transitoire en soi, ressentir sa continuité d’existence

Quitter la forme d’avant n’implique pas obligatoirement de renoncer aux investissements passés. Le psychomotricien peut amener le sujet à réhabiliter la présence de cet autre qu’elles étaient avant, dans le but de construire les conditions d’émergence d’un investissement narcissique solide de l’identité révélée et vécue au grand jour. Le sujet revisite les liens qu’il entretient avec son moi passé, cet « autre en soi ». Pour F. Sironi, si cet « autre en soi » est évincé, il peut venir gêner la nouvelle forme et se manifester sous la forme d’un épisode dépressif.

Il s’agit de construire le sentiment de sa propre continuité d’existence afin de mieux investir dans le présent, dans la réalité, la « nouvelle » identité. Le psychomotricien a donc pour rôle d’amener le sujet à se réapproprier son vécu corporel. Cette réappropriation peut parfois s’apparenter à l’idée de « mourir à soi-même et de renaître ». Ceci s’illustre avec Léonie qui a signé ce changement à même sa peau : elle s’est fait faire un tatouage représentant un phénix car, dit-elle, il « renaît de ses cendres ».

Le sentiment de continuité d’existence, tel que décrit par E. Pireyre48, peut être

abordé dans des propositions visant à reconnecter le sujet avec ses sensations corporelles (alors qu’il est dans un rejet plus ou moins important).

Catherine évoquera que les séances de psychomotricité ont sur elle l’effet d’un « révélateur » : « maintenant, je suis moi et mon corps est moi ». Sportive de haut niveau, elle explique ne pas avoir ce rapport à son corps d’habitude. Ainsi, lorsque je l’invite à s’auto-masser, elle aura des gestes très doux, comparables à des effleurements comme si elle découvrait, du bout des doigts, une partie d’elle- même laissée à l’abandon.

Ce serait également l’occasion de revenir sur les diverses attaques subies par le corps (mutilations, scarifications) que l’on peut aborder comme une difficulté de mentalisation.

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48 Le psychomotricien possède différents outils pour amener le sujet à cette conscientisation de ses ressentis.

Ainsi, j’ai proposé trois séances à Léonie. Elle était très enthousiaste pour venir en séance mais ne semblait pas adhérer aux propositions que je lui faisais, le rapport à elle-même étant peut-être trop direct. C’était une personne par ailleurs créative et possédant un certaine habilité gestuelle (elle aime dessiner et faire des origamis). J’ai donc par la suite envisagé, sans pouvoir le mettre en application, de lui proposer un atelier terre comme possibilité d’aborder la sensorialité (par la texture, la couleur, l’odeur de la terre). La matière terre pouvant également servir de support d’expression et de projections de son vécu corporel.

Dans la relaxation, l’attention du sujet est constamment ramenée vers ses sensations. La relaxation49 permet de toucher à tous les pans de l’image du corps en

proposant un dispositif avec les conditions de silence, de lumière atténuée, la position allongée, la voix calme du thérapeute, l’importance des sensations corporelles.

Ces conditions sont favorables à des expériences de régression. Pour M. Balint, la relaxation permet de toucher à « l’enfant dans le patient » et donc d’accéder aux

images du corps enfouies. Le thérapeute met son psychisme à disposition du sujet, tel

un « moi auxiliaire » : il a la capacité de transformer des émotions inassimilables en quelque chose de recevable pour le sujet. C’est ce que W. Bion qualifie de fonction alpha du thérapeute. Il offre au sujet l’opportunité d’une expérience où pourrait se constituer, par le mécanisme d’étayage et d’introjection de la fonction contenante du thérapeute, une enveloppe psychique (D. Anzieu), une peau psychique (E. Bick). Par les mots, le thérapeute guide le sujet dans l’exploration de ses ressentis mais c’est la voix (sa mélodie, ses modulations, ses intonations) qui le touche, constituant une « enveloppe sonore du soi ». J. Marvaud évoque que le bain sonore, qui caractérise le monde de l’enfant (paroles enveloppantes, rassurantes), ressurgit sans cesse en relaxation ce qui offre une expérience structurante et narcissisante au sujet.

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J’ai noté chez Catherine un hypercontrôle tonique du haut du corps, notamment au niveau des bras. J’ai commencé par lui proposer de la relaxation par induction verbale en l’invitant à ressentir successivement chaque partie de son corps comme lourde, chaude et détendue. J’ai ensuite imprimé des mobilisations passives de chacun de ses membres à l’aide d’un tissu. Elle exprime avoir apprécié cette expérience dans laquelle il s’agissait de « se laisser faire » et non plus de contrôler ses mouvements.

B) Propositions autour de l’expressivité

J’ai pu remarquer que pour certains, l’expressivité verbale est très investie et sert d’appui lorsque la personne se trouve en difficulté dans une proposition (comme le mime dans le bilan). J’ai donc choisi de baliser les temps de parole au sein de la séance, notamment en utilisant le rituel suivant : donner un mot en début et en fin de séance pour qualifier l’état dans lequel la personne se sent.

Il me semble également intéressant de faire prendre conscience au sujet que

l’expression non-verbale (le regard, les expressions faciales, les gestes et la posture,

l’occupation de l’espace) permet de communiquer son état à son interlocuteur.

Je propose à Catherine une écoute musicale suite à laquelle je lui demande de me citer des mots qui lui viennent pour qualifier cette musique. Ensuite nous essayons de la mettre en mouvements. Il s’agit donc de retranscrire une émotion par sa gestuelle, son occupation de l’espace, sa manière de se déplacer…

J’ai pu observer dans le bilan la difficulté de certains de mimer une émotion dans laquelle ils ne se trouvaient pas au moment du bilan (la colère par exemple) ou à mimer une activité sans objets. Ceci me fait penser que dans un second temps, des propositions autour de l’expressivité permettrait au sujet de se décaler et de prendre de la distance par rapport à ce qu’il renvoie et ce qu’il ressent. Le psychomotricien peut offrir la possibilité au sujet de s’envisager différemment en l’amenant à jouer avec son état, à endosser un rôle...

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C) Amener à une revalorisation narcissique

Chez tous les sujets que j’ai rencontrés, j’ai retrouvé des expériences de rejet, d’humiliation, de honte… souvenirs marquants qui fragilisent l’assise narcissique du sujet. La relation duelle en séance rend le thérapeute particulièrement disponible pour le sujet, permet de le placer en position d’expert de sa problématique, de le valoriser et de le soutenir dans sa démarche.

Les séances ont également pour objectif d’amener à une renarcissisation tout en gardant à l’esprit qu’apprendre à vivre avec soi est le travail d’une vie.

Pour ce faire, on peut imaginer qu’utiliser un support photo ou vidéo peut avoir un intérêt, notamment pour montrer au sujet de quelle manière il a évolué au fil des séances en lui offrant un regard autre.

D) Hypothèses concernant la sphère sexuelle

Pour E. Pireyre, l’identité de genre (qu’il appelle « identité sexuée ») doit figurer dans une théorie de l’image du corps, considérant par-là que les troubles de l’identité de genre correspondent à des troubles de l’image du corps. Cependant, il considère que les réponses apportées par la thérapie psychomotrice restent pauvres et que c’est là une des limites d’une approche corporelle, évoquant que « le corps dont s’occupent les

psychomotriciens est un « objet » en partie « dégénitalisé. »50

Pour dépasser cette difficulté, j’évoquerai succinctement les travaux d’A. Dupuis - de Charrière, thérapeute de la psychomotricité et formée en sexologie, en Suisse. Elle s’appuie sur l’approche sexocorporelle dévelopée par J-Y Desjardin.

Dans son étude faisant l’hypothèse que la construction de limites claires entre soi et autrui est nécessaire à une satisfaction dans la vie de couple, notamment sur le plan sexuel. Elle évoque que l’articulation de ces limites dépend de l’espace intermédiaire – espace potentiel pour D. Winnicott - qui s’est plus ou moins bien constitué.

51 Elle relie psychomotricité et troubles sexuels par la sensorialité et la difficulté

de l’intégrer pour lui donner du sens, de l’utiliser comme instrument de découverte de

soi, de la coder - ou la décoder - dans la découverte de son corps lorsqu’il est en relation avec celui de l’autre.

La sexualité, pour ce modèle, dépend de l’acquisition, dans ces diverses dimensions, des habiletés sexocorporelles : « en habitant son corps, en portant sa

masculinité ou sa féminité, en modulant son tonus et ses mouvements, l’homme, la femme peuvent s’amener à la Volupté, gérer et moduler l’excitation jusqu’à l’orgasme. »51 La

Volupté est décrite comme la capacité de vivre dans son corps et avec son corps la relation corporelle – amoureuse et sexuelle. Selon elle, cette capacité vient de ce qui s’est constitué – dans l’émotion et dans le corps - grâce à la sensorialité partagée dans la relation corporelle primaire au corps maternel.

On peut faire l’hypothèse que la réappropriation du vécu corporel aura des répercussions favorables sur la manière de vivre sa sexualité. Cet aspect serait notamment à développer avec des personnes venant de subir l’intervention chirurgicale génitale, afin d’observer comment est investie cette nouvelle partie du corps.

Pour conclure cette partie, je dirai que chacun d’entre nous met en place des

stratégies individuelles permettant de mieux se connaître au travers de pratiques

artistiques, de cours de sport ou d’ateliers de développement personnel. Or, on peut imaginer que le sujet transsexuel est en difficulté pour aller spontanément dans des cours collectifs de ce type. Le psychomotricien aurait alors toute sa place pour permettre au sujet, par la prise de conscience de ce qu’il est et de ses ressources personnelles, d’effectuer par la suite de manière autonome cette démarche, c’est-à-dire d’utiliser comme tout un chacun les ressources collectives.

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