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4. Portrait de la surqualification chez les nouveaux titulaires d’un diplôme d’études postsecondaires

5.1 Aligner l’offre sur la demande dans le marché du travail

Nous postulons ici que la surqualification est causée par une offre de travail (volume de travail ou nombre de travailleurs disponibles) qui dépasse la demande exprimée par les employeurs. Cette assertion repose sur notre constat selon lequel les formations qui affichent les taux de surqualification les plus élevés sont celles qui offrent les moins bonnes perspectives d’emploi.

Le graphique 5.1, qui illustre l’offre et la demande de travail, est habituellement utilisé dans la théorie économique pour analyser les niveaux des emplois et des salaires dans le marché du travail. Il pourrait nous orienter vers des pistes de solution visant à réduire la fréquence de la surqualification. Les deux courbes indiquent l’offre et la demande de travail (ou de travailleurs) qui correspond à un certain niveau de qualifications pour chaque niveau de salaire et en maintenant tous les autres facteurs constants.

119 Graphique 5.1 – Offre et demande de travail dans un marché concurrentiel

Au point d’équilibre E, l’offre et la demande sont égales, et tous les travailleurs qui œuvrent dans ce marché trouvent un emploi qui correspond à leurs qualifications. L’arrimage entre l’offre et la demande est alors total. Dans le cas d’un salaire horaire W’ supérieur au salaire horaire d’équilibre W*, on remarque un déséquilibre quantitatif qui se traduit par un nombre de travailleurs qualifiés qui dépasse le nombre d’employés que les employeurs veulent recruter. L’ampleur de ce déséquilibre est mesurée par la distance horizontale entre la demande et l’offre de travail pour le niveau de qualification étudié. Les travailleurs qui ne trouvent pas d’emploi dans ce marché se voient dans l’obligation d’accepter un emploi en deçà de leur qualification (dans un autre marché), s’ils désirent travailler plutôt que se retrouver au chômage. Notons que les travailleurs qui acceptent un emploi d’un niveau de qualification inférieur peuvent toutefois se déclarer satisfaits de leur situation, parce que l’idée de devenir chômeur leur semble moins favorable ou que le poste choisi offre des conditions de travail qui compensent la sous-utilisation de leurs compétences.

Partant de cette situation, comment peut-on réduire le taux de surqualification ? La solution consiste à ramener le marché à l’équilibre. En supposant des courbes d’offre et de demande statiques, une diminution du salaire horaire de W’ à W* permettra d’atteindre cet équilibre entre l’offre et la demande pour le niveau de qualifications à l’étude. Sur le plan théorique, cette diminution de salaire entraînera une baisse de l’offre de main-d’œuvre (certains travailleurs jugeront le nouveau salaire insuffisant et

Salaire horaire

Offre de travail Excès de travail

W’

E

W* D’’

Demande de travail

D’

T* Emploi

120 refuseront ce poste) et une augmentation de la demande, puisque les salaires sont plus bas. Bref, sans aucune intervention et en l’absence de toute forme de rigidité de la part des institutions, les mécanismes du marché sont en mesure d’éliminer la surqualification qui est due à une offre de main-d’œuvre abondante.

Dans ce cas, le salaire joue un rôle très important. En effet, il traduit la valeur qu’accordent les employeurs aux qualifications des travailleurs. Il permet par ailleurs aux travailleurs d’évaluer les avantages qu’ils obtiendront s’ils investissent dans leurs études. En somme, le salaire envoie aux jeunes des signaux sur les qualifications qui sont en forte demande et sur celles qui ne le sont pas, et leur indique celles qui sont rentables et celles qui ne le sont pas. Si les jeunes captent bien ces signaux, ils devraient en toute logique adapter leur programme d’études en conséquence. Ils devraient également orienter leur choix vers les qualifications les plus payantes et qui offrent les meilleures perspectives d’emploi. Tout cela suppose que les jeunes sont libres de leur choix et que le système d’éducation est assez souple pour les satisfaire. Or, dans la réalité, les domaines d’études porteurs d’emplois et qui offrent les meilleures chances de correspondance emploi-études (santé, éducation et sciences, par exemple) sont souvent contingentés, ce qui force les jeunes que cela intéresse à opter pour des domaines qui sont de véritables foyers de surqualification. Par ailleurs, les décisions que prennent certains jeunes ne concordent pas toujours avec la situation sur le marché du travail. Il n’est donc pas surprenant que, pour des raisons personnelles, des jeunes optent pour des formations qui comportent des risques de chômage et de surqualification.

Aussi, dans la réalité, l’offre et la demande ne sont pas statiques. La demande est largement tributaire de la croissance économique et de l’innovation technologique. On voit très bien que si la courbe de demande se déplace vers la gauche (D’), la pression sur la surqualification augmentera si l’offre demeure stable et que les salaires horaires ne s’ajustent pas rapidement à la baisse. En contrepartie, la situation des travailleurs surqualifiés s’améliorera si la demande se déplace vers la droite (D’’). C’est dire que les éléments dont disposent les autorités gouvernementales pour influer sur la demande ne sont pas banals.

Du côté de l’offre, un déplacement vers la gauche réduira la surqualification. Lorsqu’on discute du déplacement de l’offre de travail, on entre nécessairement dans le système d’éducation. En effet, l’offre de travail provient d’un travailleur qui a acquis du système d’éducation une formation ou une qualification. Cet employé potentiel a demandé une formation, et le système d’éducation a acquiescé à sa requête. On retrouve ici les mêmes éléments d’une offre et d’une demande dans le contexte d’une formation plutôt que de celui de l’emploi. Dans la mesure où ce n’est pas un système de prix (dans le cas

121 présent, les droits de scolarité) qui intervient en priorité, il est difficile de trouver un équilibre dans le marché de la formation. En d’autres termes, une modulation des droits de scolarité en fonction du risque de chômage et de surqualification serait à même d’influencer les choix des jeunes en les rendant plus conscients des conséquences de leurs choix et de leurs décisions.

Insistons par ailleurs sur le fait que même s’il y avait un équilibre dans le monde de l’enseignement, cela n’éliminerait pas nécessairement la surqualification qui touche le marché du travail – notamment à cause de la demande de main-d’œuvre –, mais il y aurait assurément une diminution de la surqualification. Or, en l’absence d’un véritable « prix » sur le marché de la formation institutionnelle pour converger vers un équilibre, il faut travailler sur les déplacements de l’offre et de la demande de formation.

Toutefois, la question des droits de scolarité est un sujet très sensible dans la société québécoise. Tout changement serait difficilement acceptable et pourrait avoir, sur le plan social, des conséquences difficiles à prévoir. La grève étudiante du printemps 2012 en est la preuve.