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Les alcalins dans les silicates fondus

Chapitre I. THERMOCHIMIE DES ALCALINS DANS LES SILICATES FONDUS

I.2. Les alcalins dans les silicates fondus

I.2.1. Rappel sur la structure des liquides silicatés

En opposition aux silicates cristallins, les silicates fondus ne possèdent qu'un ordre à courte distance (quelques angströms). Cet ordre local (Shannon et Prewitt, 1969; Navrotsky et al., 1985 ; Pedone et al., 2008) est fonction de différents paramètres : i) la coordination de l’élément, ii) la nature de ses premiers voisins, iii) les distributions des angles, iv) les longueurs de liaisons. Ces entités structurales locales sont connectées entre elles pour former un réseau de polyèdres définissant un ordre à moyenne distance. Ainsi les propriétés du liquide dépendent de la nature et de la force des liaisons que les différents ions (Si4+, Al3+, Na+, .. et O2-) entretiennent entre eux, et en premier lieu, de la force des liaisons cation-oxygène.

Si4+, en coordination tétraédrique, est le principal formateur de réseau d’un liquide silicaté, et l'unité de base de tous les silicates est le tétraèdre [SiO4]4-. La jonction entre 2 tétraèdres voisins est assurée par un atome d’oxygène, qui est défini comme pontant, et noté BO pour Bridging Oxygen. Les liaisons oxygène-silicium sont fortes (liaisons de type iono-covalente). Les alcalins ou les alcalino-terreux (Ca2+, Mg2+, K+, Na+) présentent de faible force cationique ou champ cationique (défini par le rapport z/r2, avec z, la valence et r, le rayon ionique). Ces cations qui rompent les liaisons pontantes, sont appelés des modificateurs de réseau. Les liaisons entre oxygènes et modificateurs de réseau sont des liaisons faibles, à caractère ionique. Ainsi l’ajout de Na2O (figure I.6), va rompre les liaisons Si-O-Si.

Figure I. 6 : A gauche, structure polymérisée de tétraèdres [SiO4]4-. Les différents tétraèdres sont reliés les uns aux autres par des oxygènes pontant. À droite, l’ajout de sodium provoque la dépolymérisation du réseau avec formation de deux oxygènes non-pontant. (Jambon et Richet, 1993)

Les atomes d’oxygène assurant la liaison entre un tétraèdre et un polyèdre voisin non tétraédrique sont appelés oxygènes non pontant, noté NBO (Non Bridging Oxygen). Le nombre d’atomes d’oxygène non pontant par tétraèdre (NBO/T, voir Mysen et al., 1980) permet de décrire

le degré global de polymérisation du liquide silicaté ou degré d’inter connectivité des sites tétraédriques dans le réseau. L’aluminium, en terme de force cationique, se trouve à la limite entre formateur et modificateur de réseau, et se présente en coordination IV (formateur) ou VI (modificateur). Sa stabilisation en site tétraédrique nécessite la présence d’éléments compensateurs de charges (Ca2+, Mg2+, K+, Na+). Par ailleurs, Lee et Sung (2008) ont montré que dans un système Na2O-CaO-Al2O3-SiO2, Na agit préférentiellement comme compensateur de charge, tandis que Ca agira comme modificateur de réseaux. Il en est de même pour les magmas. Mysen et Richet (2005) ont déterminé pour les magmas naturels le rapport entre modificateur et compensateur pour chaque oxyde. La compensation des charges dans des magmas de type phonolite ou rhyolite est assurée préférentiellement par le sodium, tandis que pour des magmas de type andésite ou tholéite, celle-ci est assurée par le calcium. Des études dans des liquides sans Al indiquent une préférence des Na+ pour les NBO, formant ainsi des tunnels riches en Na (Gaskell et al., 1991 ; Greaves et Ngai, 1995 ; Cormack et Du, 2001 ; Lee et Stebbins, 2003). Néanmoins, de récentes simulations de dynamique

moléculaire ne semblent pas confirmer ce comportement, et suggèrent que les atomes de Na+

seraient plutôt confinés à proximité des oxygènes pontants BO (Jund et al., 2002 ; Cormier et Neuville, 2004).

Suite aux travaux de Mysen et al. (1980) et de Schramm et al. (1984), les études spectroscopiques, Raman ou RMN par exemple (Stebbins, 1987 ; Maekawa et al., 1991; Jones et al., 2001, Malfait et al., 2007, 2008 ; Chrissanthopoulos et al., 2008) couplées à des études de dynamique moléculaire (Navrotsky et al., 1985 ; Cormier et Neuville , 2004 ; Machacek et Gedeon, 2003 ; Gedeon et al., 2008 ; Pedone et al., 2008) définissent la structure des liquides silicatés en termes d'unités anioniques dont les proportions sont fonction de la composition du liquide, principalement de la nature et des propriétés des cations modificateurs. La terminologie définit les unités tétraédriques en fonction de leur nombre d'oxygènes pontant : Q0 ([SiO4]4-), Q1 ([Si2O7]6-), Q2 ([SiO3]2-), Q3 ([Si2O5]2-) et Q4 (SiO2) (figure I.7).

La figure I.8 représente la répartition des espèces-Q dans un liquide des systèmes K2O-SiO2

et Na2O-SiO2. Dans cette figure, on observe que pour des liquides riches en SiO2, les espèces Q3 et Q4 sont dominantes. Par contre, lorsque la teneur en alcalin augmente, l'état du liquide est plus dépolymérisé avec une majorité d'espèces Q1 et Q2. Par ailleurs, il existe des différences entre le Na et le K, suggérant un effet important de l’environnement stérique.

Figure I.8: Abondance des espèces-Q dans les verres K2O-SiO2 et Na2O-SiO2 en fonction de la composition (Maekawa et al., 1991, après modification par Mysen et Richet, 2005)

Il est généralement admis que l'abondance relative des espèces Qn (figure I.8) dans un silicate fondu est essentiellement fonction de la nature des cations formateurs et modificateurs de réseau, mais aussi de la température (McMillan et al., 1992, Mysen et Frantz, 1993 ; Mysen et al., 2003 ; Malfait et al., 2008) et de la pression (Stebbins et McMillan, 1989, Lee et al., 2003). La distribution des espèces Qn esr fréquemment décrite par des réactions de dismutation de la forme :

2Qn = Qn-1 + Qn+1 (I.1)

Avec 1 ≤ n ≤3; et K = [Qn-1.Qn+1]/[Qn]

L’équilibre de ces réactions est déplacé vers la droite ou la gauche en fonction de la nature des éléments en présence (figure I.8). Un déplacement vers la droite s’opère lorsque le champ électrostatique (Z/r2) du cation alcalin ou alcalino-terreux augmente (Murdoch et al., 1985; Maekawa et al., 1990; Libourel et al., 1992; Lee et al., 2005, Kelsey et al., 2008) ; ici suivant l'ordre K < Na < Li et Ca < Mg. Pour un même état global de polymérisation, il en résulte que les

cations à fort champ électrostatique (par exemple Mg2+; Libourel et al., 1992 ; Solvang et al., 2004 ; Neuville, 2004a,b), à l’inverse des cations à faible champ (Ca2+, par exemple), augmentent la proportion de site Q différents (Murdoch et al., 1985 ; Stebbins et al., 1992 ; Lee et al., 2005). Cette augmentation va induire un désordre local plus important.

Une propriété qui découle de la structure des silicates fondus est le caractère fortement diffusif des alcalins, connu depuis longtemps (Cable, 1975; Crank, 1975 ; Tsuchiyama et al., 1981; Jambon, 1982; Terry et Asjadi, 1994 ; Pedone et al., 2008). Les valeurs généralement admises pour le coefficient de diffusion des alcalins (Na et K) dans un liquide silicaté sont de l'ordre de 10-9-10-11 m2.s-1 (Tsuchiyama et al., 1981; Jambon, 1982; Brady, 1995). Cette diffusivité est à l’opposé de celle de SiO2. En effet plusieurs études ont montré le caractère très peu diffusif du Si dans un liquide silicaté (Crank, 1975 ; Brady, 1995 ; Tinker et Lesher, 2001; Tissandier, 2002 ; Tissandier et

al., 2002), le coefficient de diffusion du silicium est de l’ordre de 10-13-10-14 m.s-2.

L’un des objectifs de ce travail sera de mettre en relation ces propriétés structurales avec les propriétés thermodynamiques des silicates fondus.

I.2.2. Propriétés acido-basiques des silicates fondus

En géologie, le concept d’acido-basicité a été introduit au 19ième siècle pour décrire les roches ignées. Il était admis que tous les silicates étaient dérivés de l’acide silicique (Mysen et Richet, 2005 pour revue). En effet, à cette époque, les termes acide et basique étaient utilisés pour désigner les roches ignées, appelées aujourd’hui par les termes de roches felsique et mafique. Par la suite, le succès des théories développées par Arrhenius et Brönsted pour les solutions aqueuses a conduit différents auteurs à appliquer ce concept d’acido-basicité à d’autres solvants, en particulier aux silicates fondus. En adoptant la théorie de Lewis, reposant sur l’échange d’une paire électronique entre un acide, capable d’accepter des électrons, et une base capable de donner des électrons, Lux (1939) a énoncé le concept d’oxo-acido-basicité en considérant que les réactions acide-base dans les silicates fondus, se faisaient par l‘échange d’ions O2- libres. D’après cette définition, SiO2 est donc un acide, tandis que les autres oxydes (CaO, MgO, Na2O, …) sont des bases. Fincham et Richardson (1954) furent les premiers à considérer l’existence de 3 types d’oxygène (oxygène pontant, non pontant et libre). Reprenant cette idée, Toop et Sammis (1962) ont proposé une relation d’équilibre entre ces 3 espèces suivant l’équation:

La constante de l’équilibre décrite par l’équation I.3, notée Keq, prend une valeur qui est propre au silicate considéré, suivant l’équation:

Keq = [a(O-)]2 / [a(O2-)*a(O0)] (I.3)

Ainsi les propriétés acido-basiques d’un liquide silicaté dépendent des activités des différents types d’oxygène, et donc de la composition du liquide. Comme pour les solutions, ou une échelle d’acidité est introduite avec l’activité des ions H+ (pH = -log a(H+) ; une échelle de basicité peut être introduite dans les liquides silicatés avec l’activité des ions O2-. La basicité dépend des forces de liaison ionique entre un cation formateur (acide) de réseau et un cation modificateur (base) de réseau. Pour les alcalins et les alcalino-terreux, ces forces sont caractérisées par l’environnement stérique de ces atomes (Shannon et Prewitt, 1969). La basicité augmente lorsque l’on descend dans la colonne du tableau périodique des alcalins ou des alcalino-terreux et elle diminue lorsque, dans une même ligne du tableau périodique, l’on passe des alcalins vers les alcalino-terreux.

Néanmoins, ces théories d’acido-basicité présentent des limites. En effet il n’est pas certains que les oxydes métalliques se dissocient entièrement. En particulier des mesures de conductivité électrique (Bockris et al., 1952) suggèrent l’absence d’oxygène libre pour certaines concentrations de silice. Ainsi les mélanges d’oxydes dans les liquides silicatés ne doivent pas être traités uniquement comme des relations acide-base. De plus des échelles de basicité peuvent être déterminées de façon qualitative. Un grand nombre de modèles théoriques (annexe 1) de calculs ont été développés afin de quantifier l’activité des ions libres et des atomes d’oxygène non pontant à partir de la composition du verre. Pour la suite de l’étude, l’échelle de basicité optique sera essentiellement utilisée, mais sera également confrontée aux autres échelles dans la partie résultat du manuscrit. La notion de basicité optique a été proposée par Duffy et Ingram (1971). Ces 2 auteurs ont observé qu’il existe des similarités entre les spectres optiques des ions dans les liquides silicatés et ceux dans les solutions aqueuses (Duffy et Ingram, 1971). En raison de ces similarités, des mesures spectroscopiques peuvent permettre une mesure de la capacité d’un oxygène à donner un électron, en fonction de la nature du cation de l’oxyde. Une échelle de basicité optique est obtenue par spectroscopie, pour chaque oxyde du liquide, puis connaissant la fraction molaire de chaque oxyde dans le liquide, il est possible de déterminer la basicité optique globale du liquide. À partir de ces mesures, Duffy et Ingram (1971) ont développé une échelle de basicité optique ; dont le calcul s’effectue suivant :

Λ = ∑ x

i

.n

i

i

/ ∑ x

i

.n

i (I.4) Avec, x : fraction molaire de l’oxyde i

Λi: basicité optique de l’oxyde i

ni: nombre d’atomes d’oxygènes de l’oxyde

Les valeurs de la basicité optique des différents oxydes des liquides silicatés étudiés sont reportées dans le tableau I.1.

SiO2 Al2O3 CaO MgO K2O Na2O

Λoxyde 0,48 0,6 1,0 0,78 1,4 1,15

Tableau I.1 : Valeur de la basicité optique selon Duffy ( 2004)

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