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Construire et travailler à l'Albenc

Chapitre 3 : Les fondations des maisons albinoises

I- L'aire fait bel et bien la maison

De la terre battue aux carrelages

La première base de la maison est le sol ou aire. A l'époque moderne, celui-ci est longtemps fait en terre battue. Les sols dallés ou carrelés restent un véritable luxe sous l'Ancien Régime. Les inventaires après décès ne décrivent jamais les fondations des maisons. On devine la présence d'une cheminée à travers les objets qui la composent, ou celle d'une fenêtre grâce aux rideaux placés devant elle. En revanche, les actes de visitation, nommés également rapports d'experts et descriptions de bâtiments, détaillent tous les éléments de la maison, à l'exception des objets. Les sols sont donc décrits dans ces documents.

Au cours de l'époque moderne, le revêtement du sol par excellence est la terre battue, et ce, tout au long de la période étudiée. À l'Albenc, en 1784, Joseph Silan, maçon et tailleur de pierre fait expertiser sa maison, nouvellement acquise. Le sol du bâtiment principal est alors en terre183. Celui-ci peut être également recouvert de paille. Ces types

d'aires sont très poussiéreux et ne protègent que partiellement de l'humidité. Ce sont les foyers les plus modestes qui se contentent de ce type de sol. Les demeures les plus riches tendent, elles, à abandonner ce revêtement pour du carrelage ou de la brique. Ainsi, au XVIe siècle, apparaissent les carreaux plombés, recouverts d'un émail de graphite. Au

siècle suivant, ce sont les carrelages céramiques qui se développent184. Ne possédant pas

d'acte de visitation ou de bail à prix-fait décrivant ces sols, pour ces deux siècles, nous

182 BRAUDEL Fernand, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, tome 1 : Les structures du

quotidien : le possible et l'impossible, Paris, Armand Colin, 1979, p. 230

183 ADI, 3E4085, 5 janvier 1784, Procédure de description des biens, n°23 184 BRAUDEL Fernand, Op. Cit. p. 255

nous concentrerons uniquement sur le XVIIIe siècle. Dans le village, en 1712, Demoiselle

Marie Manaire a passé un prix-fait verbal auprès de Jean Beney, maçon habitant Rovon. Ce dernier a accepté, pour la somme de quatre-vingt-sept livres dix sols, de carreler une chambre de trois mille cent carreaux185. Ici le type de carrelage n'est pas précisé mais le fait

que Marie Manaire appartienne à la bourgeoisie montre que la nature de ce sol, se retrouve, en premier lieu, dans les foyers les plus aisés. Par ailleurs, nous les décelons, un peu plus tard, chez des artisans. En 1784, Joseph André Champel « fait procéder à la description

des biens ayant appartenus à Lyomat Champel, fugitif du royaume pour fait de religion, dont il a obtenu la main levée, par arrêt du 27 septembre 1783186 ». Nous découvrons dans

cet intérieur, de nombreux pavements : « l'aire de ladite boutique est pavée de briques de

figures et formes carrées » ; les sols de la cuisine, de la chambre, de l'évier ainsi que de la

plate-forme en haut de l'escalier sont, eux aussi, pavés en briques. Ce dernier matériau se propage ainsi progressivement dans les intérieurs albinois. La pierre est donc très employée pour le revêtement des sols. Son utilisation est due à sa bonne résistance au gel et à l'usure, ainsi qu'à sa facilité d'entretien et sa faible inclination à se salir. Elle est donc très utile pour couvrir les salles de réception et les pièces de vie, telles que la cuisine187. Ce

sont les foyers les plus fortunés qui sont les premiers à en bénéficier. Les plus modestes continuent à posséder des sols en terre battue. Ces revêtements se trouvent majoritairement au rez-de-chaussé, tandis que les étages sont fréquemment recouverts de bois.

Prenons de la hauteur

Le bois est, lui aussi, très répandu dans les intérieurs albinois. Le plafond est longtemps dénommé « plancher ». C'était, en fait, le parquet du grenier ou de l'étage supérieur qui lui conférait ce nom. Le plafond est supporté par des poutres et des solives188.

Dans les pièces étroites, ces dernières sont placées en allant d'un mur à l'autre. Elles reposent, alors, sur une sablière, ou une moulure saillante en pierre. Mais si les pièces sont longitudinales, l'espace est divisé par un certain nombre de poutres. Les solives sont ensuite réparties en fonction de celles-ci, formant un plancher à la française189. Aucun des

185 ADI, 3E33832, 29 mars 1712, Payement de prix-fait verbal, n° 173 186 ADI, 3E4085, 10 juillet 1784, Procédure de description des biens, n°24

187 BIGAS Jean-Philippe (dir.), Pierre et Patrimoine, connaissance et conservation, Arles, Actes sud, 2009, p. 34

188 BRAUDEL Fernand, Op. Cit. p. 255

189 FROIDEVAUX Yves-Marie, Techniques de l'architecture ancienne : construction et restauration, Bruxelles, Pierre Mardaga, 1986, p. 119

baux ou des actes de visitation ne fait mention d'une sablière, il semblerait donc que nous ayons à faire uniquement à ce type de planchers. L'apparition du parquet remonte au XIVe

siècle, mais cet aménagement ne connaît un essor important qu'à partir du XVIIIe siècle.

Ainsi, les besoins en bois augmentent fortement à cette époque. Voltaire disait, à juste titre,

« les chênes pourrissaient autrefois dans les forêts, ils sont façonnés aujourd'hui en parquet190 ».

A l'Albenc, les baux à prix-fait ainsi que les rapports d'experts nous détaillent ces planchers. Encore une fois, nous n'avons pas les sources pour aborder le XVIIe siècle.

Notre propos protera donc sur les deux derniers siècles. Nous possédons cinq baux abordant la question des planchers entre 1749191 et 1837192. En 1781, le sieur Étienne

Chevalier commande à Joseph Glenat, maître maçon, et à Joseph Mermin, maître charpentier, de refaire six toises un quart de plancher193. Le bois utilisé n'est pas précisé ici.

De même en 1837, le sieur Joseph Mérit veut refaire « le plancher supérieur de la cuisine

dont tous les bois lui seront fournis et un sac de clous, il fera aussi le plancher du premier étage au dessus de la cuisine194 ». Aucun bail ne précise la nature des bois pour la

confection des planchers. En revanche, les actes de visitation, eux, le mentionnent. En 1766, les planchers de la maison de François Tondard, bourgeois résidant à l'Albenc, sont tous faits en sapin. Les travettes, aussi appelées soliveaux ou solives, sont des « pièces de

charpenterie, qui servent à former et à soutenir le plancher d'une d'une chambre, d'une salle, et d'une cuisine, et qui portent sur les murs de la chambre, ou sur les poutres195 ». Ici,

elles sont en bois dur et en sapin. C'est également le cas dans les trois autres rapports d'experts que nous possédons, ceux des 5 janvier 1784196, 10 juillet 1784197 et 12 septembre

1803198. Ainsi, le sapin est le bois le plus utilisé pour la confection de planchers. Le Vercors

est, en effet, pourvu de nombreuses sapinières. Les bois utilisés précédemment proviennent probablement de cette partie des Alpes.

Les sols (carrelages et planchers) représentent donc la base de la maison, ceux dont

190 BRAUDEL Fernand, Op. Cit. p. 255

191 ADI, 3E29328, 24 août 1749, Bail à prix-fait, n°205 192 ADI, 3E29348, 26 août 1837, Marché, n°650

193 ADI, 3E4074, 8 décembre 1781, Payement de prix-fait 194 ADI, 3E29348, 26 août 1837, Marché, n°650

195 Académie française, Dictionnaire de l'Académie, première édition, [en ligne], 1694,

http://artflx.uchicago.edu/cgi-bin/dicos/pubdico1look.pl?strippedhw=solive&submit=, page consultée le 24

avril 2015

196 ADI, 3E4085, 5 janvier 1784, Procédure de description des biens, n°23 197 ADI, 3E4085, 10 juillet 1784, Procédure de description des biens, n°24 198 ADI, 3E4086, 12 septembre 1803, Procédure de description des biens, n°8

la nature importe beaucoup pour la lutte contre l'humidité. Mais ce combat contre les éléments naturels se retrouve également incarné avec le toit, dont la première fonction est de protéger des intempéries.