• Aucun résultat trouvé

5.2 Analyse et interprétation des résultats

5.2.2 Age et dépression

L’étude de l’évolution d’un état de santé tel que la symptomatologie dépressive implique d’avoir en tête trois effets indissociables du temps : l’effet âge, l’effet cohorte et l’effet période (Ross 1992, Caradec 2010).

L’effet âge correspond à ce qui relève du vieillissement, c'est à dire de l’avancée en âge de chaque individu. Il a trait aux modifications physiques, cérébrales et psychiques qui l’accompagnent, de façon normale ou pathologique. Spontanément, on s’attend à plus de dépression chez les plus âgés en raison du déclin physique et des modifications psycho sociales qui affectent ces personnes. Cependant, ce serait une vision réductrice et l’âge apporte également maturité, recul et liberté.

L’effet cohorte correspond à ce qui relève de l’appartenance à une génération donnée. Une cohorte est définie par un ensemble d’individus ayant vécu un même évènement au cours

d’une même période. Le XXèmesiècle a connu de nombreux évènements ayant pu marquer

l’enfance de personnes âgées d’aujourd’hui en termes de traumatismes, séparation, deuil. Des études ont montré que ces traumatismes augmentaient le risque de dépression gériatrique (Ritchie 2009). Les plus âgés d’aujourd’hui ont également un niveau d’étude plus

138 bas, facteur associé à la dépression. Les femmes sont, de plus, plus nombreuses dans les générations les plus âgées, du fait de leur espérance de vie plus longue. Or le sexe féminin est un facteur reconnu de dépression. Ces exemples tendraient à faire prévoir une plus forte prévalence de la dépression chez les plus âgés. Cependant, cette tendance est contrebalancée par la sélection par la mort des plus robustes, et moins déprimés.

L’effet période a trait à ce qui relève de l’influence du contexte, ou plutôt des contextes successifs, au moment où l’on mesure l’évolution du phénomène : changements politique, sociétal, sanitaire.

Ces 3 effets du temps interagissent entre eux. Par exemple, l’effet d’âge varie avec les générations (le sexagénaire d’aujourd’hui est en meilleure santé que celui des années 1950) et avec la période (la vague de décès, notamment de personnes âgées, survenus au cours de la canicule de 2003 a pu constituer un traumatisme pour les contemporains des victimes) ; l’effet période varie avec la génération (une avancée technologique pourra être accueillie différemment selon la génération).

Nos 3 études abordent ces trois effets du temps de façon complémentaires :

Notre deuxième étude (évolution de la symptomatologie dépressive selon l’âge des sujets) a montré une augmentation de l’intensité des symptômes dépressifs après 65 ans, même pour ceux n’atteignant pas des niveaux de symptomatologie dépressive cliniquement significative. Cette augmentation n’était pas liée à une sur cotation, chez les plus âgés, des items somatiques, non spécifiques à la dépression mais communs à la dépression et aux pathologies somatiques (les trajectoires étaient inchangées quand on enlevait ces items). Il s’agirait donc d’un changement d’état « affectif ». Ce résultats est cohérent avec ceux des études similaires menées au cours de la même période (fin 1900 début 2000) dans plusieurs pays : Etats Unis, Chine, Belgique, Canada (Yang 2007, Hsu 2009, Brault 2012, Wu 2012, Chiao 2009). A ce jour, l’idée prédominante est que cet effet de l’âge est déterminé par celui des facteurs de stress spécifiques à l’âge, en particulier les problèmes de santé physique et les incapacités fonctionnelles. En effet, les études de l’effet de l’âge sur la symptomatologie dépressive ont montré que celui ci n’était plus significatif après ajustement sur ces variables alors qu’il le restait après ajustement sur les variables socio démographiques telles que le statut marital, le niveau socio économique, ou le lieu de vie (Djernes 2006, Norton 2006,

139 McDougall 2007, Weyerer 2008, Luijdendijk 2008, Park 2010, wu 2012). Ces résultats appellent nos systèmes de santé à développer des programmes de prévention et de soins visant à allonger l’espérance de vie « sans incapacité » (Pérès 2008). Ils appellent également à développer la recherche sur les effets psychologiques et cérébraux des comorbidités somatiques sur l’humeur mais aussi sur l’existence d’autres facteurs pouvant expliquer cette association entre avancée en âge et altération thymique. Par exemple, des enquêtes ont souligné que, dans nos sociétés industrielles, l’âge constituait un facteur de discrimination majeur (appelée « âgisme ») et que cette vision négative du vieillissement aurait une influence sur l’humeur, la dépendance et même l’espérance de vie des personnes âgées (Adam 2013).

L’année de naissance n’influençait pas l’appartenance aux trajectoires de symptômes dépressifs selon l’âge, ce qui nous a fait conclure à l’absence d’effet génération. Cependant on ne peut pas l’exclure totalement. Pour analyser l’effet cohorte, nous avons découpé notre population en 4 cohortes selon l’âge à l’inclusion dans l’étude (64 74 ans, 75 79 ans, 80 84 ans, 85 ans et plus). Nous avons choisi ce découpage car il correspondait non seulement aux quartiles dans notre population mais aussi parce qu’il correspondait aux définitions de « jeunes vieux », « vieux moyens » et « vieux vieux » rencontrées dans la littérature. Cependant pour l’étude d’un effet génération, un autre découpage aurait pu être plus pertinent et tenir compte, par exemple, des évènements historiques de la première

partie du XXème siècle. Néanmoins, dans notre travail, on observait une tendance à la

surreprésentation des personnes de 75 79 ans à l’inclusion dans les trajectoires de niveaux de dépression les plus hauts (« dépression persistante »). Ceci correspondait à des sujets né

entre 1909 et 1913, en bas âge au moment de la 1èreguerre mondiale, ayant traversé la 2nde

guerre mondiale à l’âge adulte (début entre 25 et 30 ans). Ceci mériterait une analyse plus approfondie.

L’étude de l’évolution de la consommation d’antidépresseur selon l’année calendaire dans notre troisième étude a montré une augmentation de la consommation d’antidépresseur au cours de cette période en lien avec le développement de nouvelles molécules mais peut être de façon plus générale avec une meilleure prise en compte et prise en charge des troubles dépressifs chez la personne âgée. Ceci a pu contribuer à l’amélioration des symptômes

140 dépressifs constatée dans le groupe des sujets suivant la trajectoire en U large au cours de la première partie de l’étude. Dans la seconde partie en revanche (à partir des années 2000), on observait une tendance au regroupement des sujets suivant 3 trajectoires croissantes. Plus qu’à un effet période, nous pensons qu’il s’agit de l’effet de l’âge qui s’illustre à ce moment dans une cohorte alors plus homogène en termes d’âge.

5.2.3 Différences entre les hommes et les femmes au regard des trajectoires

Documents relatifs