• Aucun résultat trouvé

Admissibilité de la preuve et processus scientifique devant la justice américaine

TECHNOLOGIES D’INVESTIGATION NUMERIQUE

Chapitre 2 Méthode scientifique et validation des outils d’analyses informatiques

2.1 Admissibilité de la preuve et processus scientifique devant la justice américaine

2.1.1 L’arrêt « Frye v United States »30

Au dix-neuvième siècle, la nomination d’un expert par le juge était seulement fondée sur la réussite professionnelle du spécialiste dans l’exercice de sa fonction. A cette époque, le choix de l'expert était laissé à l'appréciation discrétionnaire du juge.

De même, le magistrat jugeait arbitrairement de la qualité de l'expertise produite et il suffisait qu’il considère que l’expert était compétent pour que le moyen de preuve utilisé dans le cadre de l'expertise devienne recevable devant les tribunaux.

En 1923, l’arrêt FRYE marque un tournant important en posant le critère de « l’acceptation générale ».

L’admissibilité de la preuve scientifique devant les juridictions est désormais basée sur une opinion généralement admise.

En l’espèce, un expert a tenté d’établir, dans une affaire criminelle, que le prévenu accusé du meurtre d’un médecin n’avait pas menti.

Pour étayer son analyse, il a utilisé un instrument mesurant la tension artérielle pendant l’interrogatoire.

n’a pas été retenu comme moyen de preuve par le tribunal.

L'appareil de mesure de tension artérielle ne correspondait pas au savoir généralement partagé par la communauté scientifique.

Ainsi, le témoignage de l’expert ne devient recevable que s’il s’appuie sur des études techniques reconnues par les spécialistes de la discipline.

2.1.2 « Les règles fédérales en matière de preuves (FRE) »

En 1975, l’exigence par les tribunaux du critère de « l’acceptation générale » disparaît avec la codification des règles de preuves Il s'agit des règles de recevabilité de l’expertise scientifique devant les tribunaux fédéraux américains dont l’une des règles importantes, est relative au témoignage des experts.

L'article 702 des règles fédérales en matière de preuve dispose que « si la connaissance

scientifique, technique ou toute autre connaissance spécialisée aide le jury à la compréhension de preuves ou pour déterminer un fait litigieux, un témoin qualifié d’expert de par ses connaissances, sa compétence, son expérience et sa formation peut témoigner en émettant une opinion ou sous une autre forme[…]».

Selon cet article, lorsqu’un spécialiste est désigné comme « expert » par la justice, il doit pouvoir justifier ses connaissances et qualifications professionnelles en rapport avec son domaine d’expertise.

Mais les choses évoluent en 1993 et de nouveaux critères de recevabilité de preuves sont posés.

2.1.3 "Le Standard DAUBERT"31

La célèbre décision de la Cour Suprême des Etats-Unis, "Daubert v. Merrell Dow

Pharmaceuticals, Inc. (509 U.S. 579 (28 juin 1993)" a posé les jalons de la

jurisprudence actuelle en matière de la preuve scientifique.

Avec cette décision, le juge a défini quatre conditions d’admissibilité d’une expertise scientifique devant les tribunaux.

30 « FRYE v, United States », 293F, 1013 (D,C, Cir 1923),

Pour évaluer la fiabilité du témoignage d’un expert, le juge devra ainsi vérifier que: 1. la méthode avancée a été expérimentée,

2. les travaux sont évalués par les pairs et ont fait l’objet de publications, 3. le taux d’erreurs et la marge d’incertitude de la méthode sont faibles,

4. la théorie est acceptée par la communauté scientifique et fait l’objet d’un consensus.

En l’espèce, la cour suprême devait se prononcer sur une expertise relative à la toxicité d’un produit pharmaceutique et son lien avec une anomalie congénitale. Les parents d’un enfant ont saisi la justice pour faire établir un lien de causalité entre le médicament "Bendectin", consommé pendant la grossesse de la mère et la malformation de son enfant à la naissance.

Depuis cette jurisprudence, les connaissances scientifiques d'un expert nommé dans un cadre judiciaire, sont appréciées au regard des quatre critères posés par le « test

DAUBERT ».

En 1999, la Cour Suprême était de nouveau saisie pour déterminer si la jurisprudence

"DAUBERT" pouvait également s’appliquer aux avis d’autres experts techniques. Dans l’arrêt « Kumho Tire Co. v. Carmichael », la Cour Suprême a étendu

l'application des critères définis par la décision "DAUBERT" aux témoins experts non-scientifiques.

En l’espèce, un ingénieur expert avait démontré qu’un pneu défectueux a été à l’origine d’un accident de la route.

Les juridictions de première et deuxième instances n’avaient pas retenu l’avis de l’expert en soutenant que le « test DAUBERT » ne s'appliquait pas à un domaine non- scientifique. La décision de la Cour d’Appel a été rejetée par la Cour Suprême.

Les critères de la jurisprudence "DAUBERT" sont également exigés des experts dans le cadre de la recherche de preuves numériques.

Dans le domaine de l’expertise judiciaire en Informatique, les experts recourent aux différents logiciels et matériels spécialisés pour collecter la preuve avant de la produire en justice.

Pour apprécier la validité d’une telle preuve, la justice américaine exige que les critères de la jurisprudence "DUBERT" soient réunis.

Prenons l'exemple du programme « Encase® » de la société Guidance Software, leader international dans le domaine d’investigation numérique.

Avec trente cinq mille licences vendues, il est le logiciel le plus utilisé à travers le monde.

La justice américaine a eu l’occasion de statuer, à plusieurs reprises, sur la recevabilité du programme Encase®.

Elle a estimé que ce logiciel rencontre bien tous les critères exigés par la jurisprudence "DAUBERT" et les preuves collectées par le programme sont admissibles devant les tribunaux.

Afin de démontrer que les conditions d’admissibilité sont bien remplies, la société éditrice du logiciel a invoqué les éléments suivants qui ont été approuvés par les juges américains :

• Le logiciel Encase® est accessible au public et peut facilement être testé par ses utilisateurs, ce qui n’est pas le cas des outils fonctionnant en lignes de commandes lesquels ne sont pas connus de tous et ne peuvent être testés que par ceux qui sont familiers avec ces processus.

• De nombreux articles publiés par les spécialistes de la sécurité de l’information et l’investigation numérique donnent un retour d’expérience favorable à l’utilisation du programme Encase®.

Cette disposition renforce le critère « de travaux évalués par les pairs » défini par la jurisprudence DAUBERT.

• Tous les logiciels connaissent des bogues mais les différents tests et l’utilisation extensive du programme Encase® révèlent que, contrairement à d’autres logiciels d’expertise judiciaire en Informatique, celui-ci ne contient pas un taux d’erreurs élevé (Affaire Rodriguez).

• La société Guidance software forme plus de cinq mille personnes par an et plus de

trente mille utilisateurs sont titulaires de la licence du logiciel Encase®. Le critère de « l’opinion généralement acceptée » exigé par la jurisprudence

FRYE /DAUBERT est donc satisfait.

L’adoption généralisée du logiciel Encase® par la communauté des experts et l’usage étendu du programme constituent ainsi des facteurs importants de son authenticité.