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Chapitre 4 Résultats

C. Adaptation de surface

Contexte de construction de la catégorie

Il s’agit ici d’une abstraction visant à illustrer la perception externe que nous pouvons avoir de l’adaptation des personnes vivant avec la schizophrénie : de façon générale, les participants ne semblaient pas faire grand-chose de concret pour s’adapter. En effet, ils s’exprimaient relativement peu de façon explicite sur leur adaptation bien que des questions spécifiques furent posées à ce sujet durant les entrevues. Ils parlaient par contre abondamment de ce qui était difficile pour eux, de ce qui les dérangeait. Certains ne savaient pas trop quoi faire pour améliorer leur sort, d’autres attendaient d’aller mieux, ou encore se considéraient bien, même si leur entourage ou les soignants jugeaient leurs efforts insuffisants ou leurs choix de vie inadéquats.

Cela dit, l’analyse permet de faire les constats suivants :

- En absence de pouvoir sur sa situation, les stratégies d’adaptation, même les plus logiques et les plus appropriées, sont inefficaces.

- La responsabilité de « l’inadaptation » n’appartient pas uniquement à l’individu, mais dépend d’éléments beaucoup plus larges. L’impuissance, notamment, soit le faible pouvoir sur la situation, voire sur sa vie, pèse lourd.

- Donc, pour s’adapter, il faut du pouvoir sur sa vie.

- Ce n’est pas nécessairement que les participants ne s’adaptaient pas. C’est que souvent, les stratégies ordinaires ou normales pour la situation ne pouvaient pas fonctionner pour eux.

- En fait, ils s’adaptaient, mais devaient s’en tenir à un certain niveau, plutôt faible. D’où la perception qu’ils ne s’adaptaient pas.

- Considérant leurs possibilités réelles, ils faisaient le maximum. Avec des résultats mitigés. Ce qui les maintient dans des situations où les difficultés se perpétuent ou même s’aggravent.

- Les problèmes d’adaptation sont loin de relever uniquement des handicaps reliés à la maladie, ou encore du manque de volonté. Des facteurs sociaux entrent en jeu.

- Ces personnes utilisent des stratégies d’adaptation, mais celles-ci sont soit mises en échec, soit inaccessibles ou encore la personne choisit consciemment l’inaction. Choisir de ne rien faire est une stratégie en soi.

- Tout cela, d’un point de vue superficiel, donne l’impression que la personne ne fait pas grand-chose pour s’adapter à sa situation.

On ne voit donc que l’adaptation de surface.

Par ailleurs, résumons les constats ont découlé de l’étude des filtres et des effets de filtres, qui aident à comprendre le concept d’adaptation de surface :

- Les filtres altèrent/influencent/contraignent la possibilité de s’adapter. - Les filtres sont involontaires ou volontaires.

- Les filtres sont souvent invisibles. Ils ne sont donc par toujours évidents ni pour la personne, ni pour les proches, ni pour les soignants. Les filtres peuvent laisser passer la lumière, mais pas les possibilités. Cela a pour principale conséquence que l’adaptation sera jugée de surface.

- Les stratégies se maintiennent, se modifient ou évoluent selon les filtres en place. C’est un processus dynamique.

- La réduction ou l’élimination de filtres améliore l’adaptation en faisant évoluer le type de stratégies d’une phase à l’autre.

- L’analyse des filtres permet de mieux comprendre le niveau des stratégies d’une personne.

Donc, pour ce qui est de l’adaptation de surface :

Définition. Résultat de l’effet des filtres sur les tentatives et possibilités d’adaptation. Elle est dite « de surface », car il s’agit de ce qui est a priori apparent. La métaphore de l’iceberg est utilisée, car la pointe de l’iceberg est la « partie connue d’une chose dont la partie cachée est beaucoup plus importante, plus complexe (Antidote 9, 2016) ».

Figure 3. Adaptation de surface

Propriétés :

Si on prend l’image de l’iceberg, l’adaptation de surface est représentée par ce qui est visible au-dessus de l’eau. En dessous figure la partie la plus importante, qui en même temps est invisible au premier abord et donc difficile à estimer. Dans cette partie invisible se trouveraient les situations suivantes :

C1. Les stratégies tentées ont été sabotées

Il s’agit de situations où la personne tente de faire ce qui doit usuellement être fait dans sa situation, mais la stratégie est mise en échec. Des facteurs externes ont nui à l’efficacité de la stratégie qui était pourtant appropriée.

C2. Les stratégies nécessaires ne sont pas accessibles ou attirantes : la personne choisit de ne pas agir

Les stratégies idéales/optimales/appropriées/souhaitées par la personne ne sont pas accessibles ou attirantes. Le choix de ne pas agir est une décision éclairée découlant d’une réflexion.

C3. Les stratégies nécessaires ne sont pas accessibles ou attirantes : la personne choisit des stratégies alternatives.

Les stratégies idéales/optimales/appropriées/souhaitées par la personne ne sont pas accessibles ou attirantes, mais ici la personne, plutôt que de ne pas agir, choisit une stratégie alternative, qui n’est pas optimale ou qui va même nuire, au final, à son adaptation.

Dans tous les cas, on peut par erreur penser que la personne n’est pas capable de s’adapter, qu’elle s’adapte mal ou encore qu’elle ne veut pas améliorer sa situation.

Il n’y a pas de citation de participants pour illustrer spécifiquement l’inadaptation de surface, parce qu’il s’agit du résultat d’un processus global. Cette catégorie s’illustre mieux en considérant un cas en entier. Par exemple, prenons l’ensemble des propos de Rémi, un participant dont la situation est explorée ici de façon résumée, en fonction des filtres dans son processus adaptation, ce qui facilitera la compréhension de l’adaptation de surface dans le contexte spécifique d’une situation de vie. Précisons que l’analyse de la situation de Rémi est basée sur l’entrevue qualitative, les données provenant des instruments de mesure, ainsi que sur les données du journal de bord de la chercheuse. Il s’agit donc d’une analyse qui doit être interprétée avec prudence, réalisée après la construction du schème théorique, dont la description pourrait être différente si on avait eu accès à des informations supplémentaires concernant la situation de ce participant, et collectées en ayant en tête toutes les catégories du schème.

Situation de Rémi explorée avec les filtres de l’adaptation

Rémi habite seul avec son chat. Il a 19 ans, une scolarité de secondaire 1, son diagnostic de schizophrénie depuis un an, mais des symptômes depuis sept ans. Il se tient loin de ses parents avec qui il s’entend mal, car ils ne comprennent pas sa condition relativement à sa santé mentale, tout comme ses choix de vie sociale. Par contre, il est proche d’une travailleuse de rue qui l’aide beaucoup au niveau de l’organisation et de la réponse à ses besoins de base. Son réfrigérateur est vide. Il habite un appartement une pièce au centre-ville. Il consomme à l’occasion. D’après lui, ça n’a pas aidé, cela augmente les hallucinations. Il a encore des symptômes psychotiques et il est aussi agoraphobe. Il mentionne plusieurs peurs liées à cela : peur du noir, peur d’être dans une automobile, etc. Il a même peur chez lui, si son chat n’était

pas là « la télé coulerait ». Il fréquente un centre de jour pour itinérants pour socialiser. Il a un ami proche, qu’il aime beaucoup, mais celui-ci est aussi une personne avec une lourde histoire psychiatrique, et Rémi exprime des idées homicidaires délirantes envers cet ami pendant l’entrevue. Il se fait aussi aider matériellement par un homme assez âgé avec qui il semble avoir une bonne relation, mais le type de relation reste flou. C’est quelqu’un qui lui fait beaucoup de cadeaux. Il a été abusé financièrement à plus d’une reprise dans le passé. Il a été battu par ses anciens propriétaires dans un but d’extorsion d’argent. Il aimerait travailler dans une animalerie, mais sa maladie l’empêche d’être accepté (il s’était ouvertement identifié comme « schizophrène », tout en spécifiant qu’il n’était pas dangereux). Il a de la difficulté à se comprendre, il tuait des animaux quand il était jeune, ce qu’il regrette maintenant, car il adore son petit chat. Il a eu une expérience traumatisante de la psychiatrie, où il raconte avoir été traumatisé parce que les intervenants avaient fait jouer le même film qui aurait déclenché sa psychose lorsqu’il était plus jeune. L’histoire de cet évènement est surréaliste et on peut émettre l’hypothèse qu’il fût délirant ou halluciné à ce moment-là. Par contre, il mentionne que l’hôpital lui manque, car après la crise il y a vécu une période de sécurité et il appréciait les gens qui y étaient présents. Il semble mal comprendre ce qu’est la schizophrénie, car selon lui c’est de voir des gens ou des animaux qui sont décédés, et selon lui, tout le monde vit un peu cela, et sa propre situation serait plus grave, car à l’âge de 12 ans il a vu un film d’horreur (« à minuit pile ») qui a déclenché ses problèmes (sa psychose). Il a beaucoup d’hallucinations malgré une médication antipsychotique injectable.

Rémi passe ses journées entre son appartement et les ressources de jour pour itinérants qui sont dans le même quartier. Il n’a pas de projets, sauf travailler un jour, ce qui semble inaccessible pour le moment. Ses peurs le gardent dans ce petit environnement et ce réseau de personnes défavorisées. Il n’y a pas de plans pour le futur.

A1. FILTRES DES EXPÉRIENCES ANTÉRIEURES D’AIDE [Avoir été aidé]

A1.1 Avoir sa définition personnelle de ce qu’est de l’aide.

L’hôpital l’a traumatisé, mais cela est dû à sa perception altérée et aux interprétations délirantes, et bien qu’il ait été aidé par le soutien moral par la suite, il préfère l’éviter. Cela peut nuire à des besoins ultérieurs d’aide. Pour lui, l’aide est le soutien moral, et les besoins de base.

A1.2 Reconnaître de son besoin d’aide

Il est dans une situation de grande vulnérabilité et ne demande que réponse à ses besoins de base. Il n’a pas envisagé que sa vie pourrait évoluer ou être différente.

A1.3 Voir ses besoins reconnus par autrui

La travailleuse de rue répond aux besoins de base et de soutien moral.

A2 FILTRES INVOLONTAIRES DE PERCEPTIONS [Comprendre à sa façon]

A2.1 Avoir la capacité de comprendre

Il a encore beaucoup d’hallucinations qui lui font peur. Même s’il reconnaît sa maladie, les choses lui semblent si réelles qu’il n’arrive pas à démêler le vrai du faux.

A2.2 Ne pas se sentir concerné par l’information reçue Il se considère « schizophrène.

A2.3 Se sentir vulnérable

Il mentionne beaucoup de peurs, il ne possède presque rien, il a besoin de son chat pour le réconforter sinon il se sent démuni.

A2.4 Se sentir responsable

A3 FILTRES IMPOSÉS CONTRAIGNANTS [Agir malgré une liberté restreinte]

A3.1 Être stigmatisé

Il n’a pas réussi à avoir l’emploi qu’il voulait en raison de sa schizophrénie. Ses parents ne le prennent pas au sérieux, il se sent jugé. Il les évite donc.

Lorsqu’il a été battu, il a appelé les policiers. Ceux-ci n’auraient pas tenu compte de sa plainte.

A3.2 Être mal entouré socialement

Outre une intervenante et un ami beaucoup plus âgé que lui, dont les motivations sont obscures, son entourage est composé de personnes aussi en situation de grande vulnérabilité et/ou itinérance et consommateurs de drogue.

A3.3 Ne pas pouvoir contrôler sa vie

Il a quitté le domicile, car il y avait trop d’exigences chez ses parents, et il n’arrivait pas à y répondre.

A3.4 Subir les inconvénients physiques et psychologiques de la maladie et de son traitement

Il a énormément de peurs toujours présentes qui l’empêchent de faire ce qu’il veut. Il est encore halluciné et a des idées homicidaires malgré une médication antipsychotique deux fois par jour.

A4. FILTRES VOLONTAIRES DU DÉVOILEMENT [Moduler le dévoilement]

A4.1 Avoir la capacité de se dévoiler

Il se dévoile souvent bien naïvement, ce qui lui cause du rejet social et l’a empêché de travailler dans une animalerie

A4.2 S’attendre à être effectivement aidé

Il se tourne essentiellement vers la travailleuse de rue pour ses besoins de base, car elle l’a beaucoup aidé à ce sujet, contrairement, par exemple, à ses parents qui ne l’aident plus, alors il ne leur parle plus.

A4.3 Être invité à parler de façon authentique

Il a mentionné qu’il aurait besoin d’avoir quelqu’un à qui il pourrait parler ouvertement, mais “il n’y a pas beaucoup de monde”, il “trouve que tout le monde a le droit d’avoir quelqu’un pour en parler, puis c’est pas quelque chose de facile à vivre”.

A4.4 Craindre de s’exposer à la stigmatisation

Il se confie énormément à son chat, qui le regarde et l’écoute sans juger. Il fait maintenant attention avant de dévoiler son diagnostic pour prévenir le rejet.

B. UTILISER DES STRATÉGIES

B1 Demander de l’aide

Il se fait aider principalement pour des besoins de base : nourriture, logement, transport, soutien moral. Les ressources se limitent à la psychiatrie et aux services pour itinérants.

B2 Se transformer

Pas de stratégies dans cette catégorie

B3 Mettre les conditions salutaires en place Pas de stratégies dans cette catégorie

B4 Se préparer au futur

B5 Maintenir les acquis fragiles Pas de stratégies dans cette catégorie C. L’ADAPTATION DE SURFACE

C1 Les stratégies tentées ont été sabotées

Il a parlé ouvertement, mais cela lui a coupé une chance d’emploi. Donc le dévoilement et la recherche d’emploi ont été sabotés.

C2 Les stratégies accessibles ne sont pas accessibles ou attirantes : la personne choisit de ne pas agir

Il n’est pas scolarisé et est visiblement trop malade (entend des voix et est fréquemment halluciné) pour retourner à l’école pour le moment. Il ne fait pas grand-chose de ses journées, mais est-ce au final un véritable choix? C’est plutôt le “moins pire choix”.

C3 Les stratégies accessibles ne sont pas accessibles ou attirantes : la personne choisit des stratégies alternatives

On pourrait juger ses fréquentations, mais il n’a pas les outils ou les ressources pour agir autrement. Il consomme un peu, mais tout son entourage consomme. Il vit de l’aide sociale, et les ressources existantes ne sont pas optimales pour lui. Il socialise avec son chat, car il est, au final, isolé.

Donc, pour ce qui est de l’adaptation de surface, on peut la juger nettement insuffisante :

- Se nourrit mal ou insuffisamment. - Consomme.

- A un réseau social pauvre.

- Ses symptômes sont mal contrôlés.

- Il n’a pas d’emploi, il n’a pas terminé son secondaire. - Il a de mauvaises relations avec sa famille.

- Il ne fait rien de “productif” dans son quotidien.

Cependant, l’examen des filtres a mis en évidence qu’en grande partie, il a peu de pouvoir sur sa situation, il est très vulnérable et encore malade.

Les filtres aident à comprendre que dans cette situation, même le fait de trouver un traitement plus efficace ne suffirait pas. Les problèmes d’adaptation se sont aussi construits sur l’abandon de la part de la famille, la stigmatisation sociale de la maladie mentale, le manque de ressources pour le traitement et le suivi (les travailleurs de rue ont un rôle d’aide ponctuelle, mais pas de thérapie ou de psychoéducation à long terme). Il y a un problème de coût du logement et d’aide sociale insuffisante, où il manque d’argent pour se nourrir, etc. Il s’agit, au final, d’un jeune en mode “survie”.

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