1
HOIBIAN O. (2000), Les alpinistes en France – 1870-1950, une histoire culturelle, Coll. Espaces et temps
du sport, L’Harmattan, Paris, page 297.
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Même si ces activités connaissent toujours une sur représentation des classes supérieures, elles deviennent
plus facilement accessibles aux classes moyennes et potentiellement aux classes ouvrières. De nombreuses
approches socio -historiques (Cf. travaux de J. Dumazedier, A. Rauch, M. Boyer, etc.) montrent leur
pénétration différenciée selon les classes sociales concernées.
5. L’ère californienne et technologique : vers une
diversification, massification et diffusion spatiale des
pratiques sportives de nature
La fin des années 1970 et le début de la décennie 1980 voient l’inscription d’une
rupture très nette dans l’histoire des pratiques sportives de nature. Au-delà du terme de
rupture, il est possible de parler de révolution culturelle qui va profondément modifier les
rapports aux lieux des pratiquants et insuffler une nouvelle organisation de l’espace sportif
à l’échelle nationale. Pour pondérer cette première affirmation, il faut reconnaître que
l’organisation sociale et spatiale des sports de nature, héritée des périodes modernes, va
parallèlement perdurer. Elle va même parfois intégrer ou s’adapter aux différentes
évolutions ou innovations aussi bien sportives que culturelles issues de cette période. Cette
lecture fera dire à certains auteurs, qu’il s’agit plus d’une [profonde] « recomposition »1
que d’une réelle coupure. L’espace des sports de nature et les différentes ères ou phases qui
ont été identifiées ne s’apparentent pas à un palimpseste. P. Vilar mettait d’ailleurs en
garde sur une approche historique trop empreinte de césures ou de discontinuités ;
« l’illusion de la nouveauté, n’est souvent qu’ignorance de l’histoire. Non que l’histoire ait
pour fin de démontrer que rien n’est nouveau. Mais il lui arrive de faire la preuve que tout
n’est pas aussi nouveau que l’opinion commune ne l’imagine »2.
Pourtant, de multiples éléments et logiques peuvent être identifiés, qui vont
participer concomitamment à l’avènement de cette période charnière. La principale
illustration de cette dernière est l’apparition de ce qui est communément appelé les
« nouvelles pratiques sportives de nature ». Mais ce qualificatif de « nouveau » recoupe
diverses réalités. Il peut s’agir, comme le montrent quelques exemples représentatifs de ces
évolutions, de :
- nouvelles activités, en tant que telles, comme le vol-libre par exemple (delta plane
et parapente) permettant de conclure le triptyque élémentaire des supports possibles de
pratique (terre – puis eau et enfin air) ;
- nouvelles instrumentalisations issues d’innovations techniques comme le Vélo
Tout Terrain (V.T.T. ou Mountain Bike) ou encore les rivières qui ne se descendent plus
uniquement en canoë-kayak ou en raft mais aussi grâce à des engins flottants individuels
appelés « hydro-speeds » ;
- l’utilisation ou l’invention de nouveaux supports (phénomène de transgression
sportive par des logiques d’adaptation ou d’artificialisation présenté dans le Chapitre 1 de
1
AUGUSTIN J. P. (2002), La diversification territoriale des activités sportives, Année sociologique,
Vol. n°52-2, pages 417 à 435.
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la Partie III). La pratique de l’escalade permet de l’illustre par un développement très
rapide des Structures Artificielles d’Escalade permettant d’importer l’activité au sein
même des systèmes urbains ;
- l’apparition de nouveaux usages ; l’excursionnisme, qui est devenu plus
communément « randonnée » après la seconde guerre mondiale, s’appelle, dès lors,
trekking et ouvre aux pratiquants une multitude de destinations lointaines ;
- l’hybridation entre différentes pratiques existantes. Par exemple, l’apparition du
canyonisme qui utilise le matériel et les techniques de progression de diverses pratiques
telles que l’escalade, la spéléologie ou encore des activités d’eau vive ;
- mais aussi et surtout de nouvelles formes de cultures sportives s’inscrivant dans
de nouvelles relations au corps, à la nature et aux autres, permettant l’émergence de
nouvelles formes de pratiques et de sociabilités sportives qui vont participer à construire de
nouveaux rapports à l’espace et aux lieux.
Une évolution des pratiques et cultures sportives, du « digital » à
« l’analogique » ?
De nombreux sociologues du sport se sont penchés sur cette discontinuité dans les
usages et représentations des espaces d’activités sportives. Même si leurs analyses
divergent quant aux modalités d’appréhension de cette rupture, cette dernière s’inscrit dans
un changement de valeur et de référent culturel analysé par A. Loret1. Il présente le
passage d’une culture sportive à dominante digitale (forte institutionnalisation des
pratiques sportives avec une main mise des systèmes fédératifs associée à une demande
sportive construite sur une implication durable dans une activité normée et standardisée
pour une pratique unifiée reposant sur un système distinctif dominant) vers des référents
inscrits dans une culture plus analogique. « Le monde du sport traditionnel [digital] vit (au
sens strict) de classements, de mesures ultra-précises qui permettent de distinguer le
premier du second, le record de l’absence de record. […] Au contraire, les nouvelles
formes de sports apparues depuis deux décennies, tout en sensibilité et en subjectivité,
fonctionnent selon une logique floue, dite analogique »2. Dans la lignée de cette réflexion,
G. Lacroix3 montre comment ce changement de style de pratique sur-valorise les thèmes de
la glisse en référence aux notions de « free » et de « fun ». Elle l’interprète comme une
recherche d’une nouvelle forme de liberté : « libre dans l’espace, refusant les terrains
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