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Chapitre 2 : Cadre théorique

2.6 Activité et tâche individuelle au sein de la CHAT

Une question émerge : nous avons vu que l’activité, pour Engeström, est collective. Or, le système d’activité introduit la possibilité que cette activité collective soit séparée en tâches individuelles, une distinction qui apparaît de facto en ajoutant la division du travail. La distinction entre l’activité collective et la tâche individuelle est souvent attribuée à Léontiev (Engeström, 1987). Voyons ce qu’il en est.

Léontiev récupère l’héritage de Vygotsky sur l’activité mais en élargit la portée. Plutôt que de limiter la médiation à la sémiotique, il considère que c’est l’application pratique qui sert de ballant au développement cognitif (Kozulin, 1986; Léontiev, 1981).

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Cette filiation est encore une fois contestée et représente l’une des critiques de la CHAT que nous aborderons plus loin (Kozulin, 1986). Fait important, néanmoins, Léontiev introduit la notion de niveaux hiérarchiques dans le comportement humain, ce qui lui permet d’intégrer une dimension sociale à la réflexion sur ce comportement. Il en distingue trois niveaux, présentés à la figure 9 : l’activité, l’action et l’opération.

Figure 9 : Représentation de la deuxième génération de la théorie de l’activité par Hardman (2007)

Pour Léontiev, l’activité est le but ultime du comportement humain et existe en relation avec une motivation ou un objectif, une finalité. Pour y arriver, le sujet pose des actions, qui font partie de l’activité mais qui, prises séparément, ne justifient pas le comportement du sujet. On dira que ces actions sont mues par des buts. L’activité serait donc décomposable en une somme de buts. La coupure la plus nette se dessine entre les actions et les opérations. Ces opérations rassemblent les gestes automatiques posés par le sujet lors de l’accomplissement des actions. C’est le caractère automatique sur lequel insiste Vygostky. En effet, le niveau de conscience du sujet change entre l’action, qui est consciente et délibérée, et l’opération, déclenchée par une condition mais le plus souvent réalisée inconsciemment.

Comment un geste ou un comportement peut-il être inconscient? Et plus largement, comment ces trois items s’imbriquent-ils? Hardman (2007) donne l’exemple d’un journalier sur un chantier de construction. Son activité est la construction de la maison. Il

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s’agit d’un objectif ultime auquel conduit chacune de ses actions. Cependant, ses actions concrètes, observables, sont liées à des actions conscientes qui mènent à la construction de la maison. Par exemple, ce matin, notre journalier conduisait un camion de briques destinées au recouvrement des murs extérieurs. L’action est la conduite du camion, comportement conscient puisqu’il implique des choix conscients en termes de vitesse, de direction et de respect des règles de la route.

Au cours de sa conduite, le conducteur effectue un nombre important d’opérations, le plus souvent inconscientes. Ainsi, dans une période de trente secondes, il procède à de légers ajustements avec le volant, effectue un changement de vitesse sur une boîte manuelle, jette un coup d’œil dans le rétroviseur et sur le cadran de vitesse. Hardman (2007) présente ces comportements comme automatiques et issus de la répétition de gestes volontaires (donc d’actions) au cours d’une période d’apprentissage, jusqu’à l’automatisme.

Pour illustrer la différence entre les concepts de cette pyramide, on utilise ad

nauseam l’exemple de la chasse primitive. Dans cet exemple, un groupe de chasseurs se

sépare les tâches liées à la chasse d’un gros animal. Léontiev se concentre sur le rabatteur, dont la tâche consiste à effrayer l’animal pour l’envoyer dans le piège tendu par ses collègues chasseurs.

When a member of a group performs his labor activity he also does it to satisfy one of his needs. A beater, for example, taking part in a primeval collective hunt, was stimulated by a need for food or, perhaps, by a need for clothing, which the skin of the dead animal would meet for him. At what, however, was his activity directly aimed? It may have been directed, for example, at frightening a herd of animals and sending them toward other hunters, hiding in ambush. That, properly speaking, is what should be the result of the activity of this man. And the activity of this individual member of the hunt ends with that. The rest is completed by the other members. [...] What the processes of his activity were directed to did not, consequently, coincide with what stimulated them, i.e., did not coincide with the motive of his activity; the two were divided from one another in this instance.

Processes, the object and motive of which do not coincide with one another, we shall call "actions". We can say, for example, that the beater’s activity is the hunt

and the frightening of game his action. (Léontiev, 1981, p. 210; c’est nous qui

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Il existe deux interprétations de cet exemple. On peut d’abord le voir comme un cas de séparation de l’activité collective et des tâches individuelles et, donc, une reconnaissance implicite par Léontiev de l’existence de ces deux catégories distinctes. Cela justifierait, notamment aux yeux d’Engeström (1987), que l’on considère que l’inclusion du collectif dans l’activité en représente la deuxième génération. Tous ne partagent pas cette interprétation. Kaptelinin (2005), notamment, croit plutôt que la distinction opérée entre tâches et activité demeure au niveau individuel et que Léontiev, tout en reconnaissant le caractère social de l’activité, n’avait pas l’intention de distinguer la tâche individuelle de l’action collective.

Cela nous laisse donc avec un modèle, le système d’activité, dont la construction historique est plutôt contestée. Il ne s’agit pas de la seule critique : la théorie historico- culturelle de l’activité telle que promue par ce que nous appellerons l’« École de Helsinki » est souvent la cible de remontrances épistémologiques et méthodologiques.