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Les acteurs privés traditionnels de la diffusion du français : entre défection et étatisation

CHAPITRE 2 – Institutionnalisation de la diffusion du français dans le

1. Les acteurs privés traditionnels de la diffusion du français : entre défection et étatisation

Au sortir de la guerre, dans la sphère privée, quatre puissantes « sociétés sœurs » (Cortier, 1997 : 38) aux motivations diverses et présentant de forts clivages idéologiques assurent la diffusion du français tout autour du globe. Le français est, pour trois d’entre elles, un médium qui occupe le statut de langue de scolarisation, c’est-à-dire de « langue apprise pour enseigner d’autres matières qu’elle-même »81 (Vigner, 1992 : 40) : c’est le cas dans les écoles congrégationnelles catholiques, dans le réseau de l’Alliance israélite universelle et au sein des établissements de la Mission laïque française. En revanche, à l’Alliance française, le français est appris hors du cursus scolaire, en tant que langue étrangère, discipline à part entière qui constitue à la fois la fin et le moyen de l’apprentissage d’une culture. « Chacune de ces institutions possède un caractère spécifique et des aires d’expansion particulières, mais c’est dans la relation à la langue qu’il faut trouver un critère de différentiation marquant » (Spaëth, 2010 a : 43). Afin de définir les conditions de production des différents discours qui constituent le corpus, et de pouvoir dégager les idéologies propres à chaque institution ou largement partagée, une présentation critique de ces agents privés de la diffusion du français s’impose, de sorte à prendre la mesure de l’ascendant croissant exercé par l’État sur ces dernières.

1.1. Mise en retrait des institutions religieuses enseignant en français Parmi les grands agents privés traditionnels de la diffusion du français on compte tout d’abord des institutions d’obédience religieuse : les écoles chrétiennes et l’Alliance israélite universelle. Bien qu’employant le français comme langue d’enseignement, toutes deux ont en commun de poursuivre un but premier qui n’est pas la diffusion de la langue ni de la culture françaises.

1.1.1. Un principe idéologique commun et pérenne : le messianisme français

Les institutions religieuses contribuent fortement à véhiculer une idéologie linguistique constitutive du français à l’extérieur, qui connaît une forte expansion dans le champ : la mystique du « messianisme français », « ensemble des mythes et idées-forces qui sous-tendent l’action culturelle de la France dans le monde » (Salon, 1983 : 31). Selon cette mystique, la France serait une nation-guide favorisant l’élévation et la libération des individus et des peuples.

81 Cette langue de scolarisation « peut, dans certains pays, être présente dans l’environnement économique et social des élèves » (Vigner, 1992 : 40).

Être toute à tous, parce que totalement humaine, retenir sur elle le regard confiant des peuples qui croient à la primauté de la pensée et de la justice, exprimer cette justice en leur nom, du droit qu’elle tient de l’avoir définie la première, voilà, n’est-ce pas ?, sa vraie mission. Voilà son héritage et ce que signifie la présence de nos milliers d’étudiants et d’amis (Mauger, dans EFE, no 65, février 1956 : 2).

Elle est fondée sur l’identification entre la religion catholique et la civilisation française, sur la base de leur recherche commune d’un salut universel, par le christianisme pour les uns et la culture pour les autres. La philosophie des Lumières et les idéaux des Révolutionnaires ont en effet repris à leur compte l’idéologie au nom d’un messianisme français qui tend à faire du message porté par la France dans le monde un prolongement laïcisé du message chrétien.

Matrice théologico-juridique de l’Occident, née de la rencontre entre le christianisme et le droit juridique romain (Legendre, [2004] 2008 : 19), cette idéologie a cependant été sécularisée et transposée dans la civilisation française des Lumières82 et de la Révolution.

Croyance en la venue d’un Messie dans la spiritualité juive, enseignement de la parole du Messie [...] dans la spiritualité chrétienne, le messianisme, par sécularisation, exprime plus généralement l’attente et l’annonce de la réalisation sur terre d’une Cité humaine juste, fraternelle et heureuse, le désir de contribuer à cet avènement, la conviction d’être appelé à y contribuer et de devoir y appeler les autres. Le messianisme caractérise l’ensemble des zélateurs des religions messianiques, ainsi que les cultures et les peuples qui en sont profondément imprégnés [...] Dans le messianisme chrétien, plusieurs peuples peuvent prétendre montrer sa voie à l’humanité tout entière.

L’imprégnation du peuple de France par la religion chrétienne, dans sa forme précisément la plus universaliste, le catholicisme, s’est accomplie très tôt [...] Ce qui fut au Moyen Âge – dans les croisades – Gesta Dei per Francos devint ensuite assimilation entre l’Église catholique et sa « fille aînée », entre la civilisation chrétienne et la civilisation française, entre l’universalité de l’une et celle de l’autre (Arnaud, Guillou et Salon, 2005 : 19-21).

Durant la période étudiée, malgré le poids quantitatif83 de ces institutions religieuses qui forment de nombreux francophones, elles ne développent aucune véritable réflexion pédagogique ni n’élaborent de politique linguistique concertée neuve. C’est la raison pour laquelle aucun discours n’émanant de ces institutions n’a été intégré au corpus. La mise en évidence de leur idéologie constitutive, l’idéologie messianique du français, est cependant nécessaire pour comprendre l’arrière-plan sur lequel se fonde par la suite l’ensemble de la diffusion du français.

82 Lumières que Kant définissait comme « la sortie de l’homme de sa minorité, dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui » (Kant, [1784] 2006 : 11).

83 En effet, les écoles religieuses ainsi que l’AIU continuent à enseigner le français à de très nombreux apprenants même après la Seconde Guerre mondiale. Salon donne en 1983 le chiffre d’un million d’élèves scolarisés entièrement ou partiellement en français dans les écoles congrégationnelles, ce qui, précise-t-il, est supérieur au total cumulé des effectifs de tous les autres agents de la diffusion du français, dont les Instituts et Centres culturels français (Salon, 1983 : 83).

1.1.2. Le déclin et l’adaptation au milieu local des écoles congrégationnelles

1.1.2.1. L’Église, agent patriotique de francisation

La France, au titre de « fille aînée de l’Église » (Lacordaire, 1841) a su imposer le français comme langue de la chrétienté dans les aires colonisées et en Orient, trouvant dans la religion un partenaire de choix pour favoriser la diffusion de sa langue. Certes, au XIXe, et plus encore au XXe siècle, la « mission religieuse n’est pas […] un agent “légitime” de la colonisation » (Spaëth, 1996 : 44) du fait de la séparation de l’Église et de l’État (1905). Toutefois, pendant des siècles :

fortes [d’une] longue tradition […] les missions catholiques françaises restent les premières institutions françaises à diffuser la langue et la culture françaises dans de nombreuses régions du monde, par leurs œuvres d’enseignement, de soins et de développement (Salon, 1983 : 83).

Premières par le nombre d’apprenants, les missions religieuses enseignantes forment un ensemble très varié, des écoles catholiques prosélytes à l’« internationale huguenote de la francophonie, fournissant non seulement les cadres intellectuels du français hors de France mais aussi les maîtres et les gouvernantes nécessaires à sa dissémination quotidienne parmi les élites et les bourgeoisies étrangères »84 (Frijhoff, 1998 : 12), en particulier en Europe du Nord et aux États-Unis. Mais malgré le rôle important joué par les Protestants pour l’expansion du français aux XVIIe et XVIIIe siècles, et même si quelques écoles protestantes, dirigées notamment par la Société des écoles des missions évangéliques de Paris (créée en 1822), participent encore à la diffusion du français85, les écoles catholiques86 sont les plus nombreuses, les plus anciennes et les plus efficaces agents de francisation. « Il est clair que l’action missionnaire de la France fut à l’origine de son action culturelle et linguistique [puisque] la langue française [était] bien l’organe de la propagation du catholicisme » (Cortier, 1997 : 45).

La plus ancienne mission catholique enseignante, la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, plus connue sous la dénomination de la Propagation de la foi, a été fondée en 1622

84 Frijhoff (1998 : 11) distingue deux moments importants de ces « refuges confessionnels » : la fuite des calvinistes wallons hors des Pays-Bas à partir de 1560 pour échapper à une politique ultra-catholique ; et celle, en France, des huguenots suite à la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685.

85 Voir la thèse de Zorn (1993), Le Grand Siècle d’une mission protestante. Outre la Mission de Paris, on peut citer les Œuvres protestantes de Syrie et du Liban, la Mission suisse en Afrique du Sud, la Société belge des missions protestantes au Congo, ou encore le Comité des Amitiés françaises, associé à la Fédération protestante de France, fondé en 1915. À cause des guerres de religion, beaucoup de réformés ont en effet émigré à l’étranger, participant indirectement au rayonnement de la langue française puisque la prédication et le culte ont continué dans de nombreuses communautés à se faire en français. Cependant, durant l’époque étudiée, l’action éducative de l’Église réformée est peu signifiante par rapport à celles des missions catholiques,

« ne concernant que quelques milliers d’élèves en Afrique et au Liban » (Salon, 1983 : 84). En effet, leurs activités portent davantage sur la diffusion de la pensée protestante, l’aide au développement et la liaison dans la communauté protestante internationale.

86 Qui appartiennent à une trentaine d’ordres masculins et une cinquantaine d’ordres féminins.

par le pape Grégoire XV.Mais la plus active fut sans doute l’Œuvre des écoles d’Orient, fondée en 1855 suite à la proclamation de la liberté religieuse dans l’Empire ottoman à la fin de la guerre de Crimée, alors que le Traité de Paris (1856) reconnaissait en la France la protectrice des chrétiens autochtones. L’institution, reconnue Œuvre d’Église en 1856 par le pape Pie IX et rebaptisée « Œuvre d’Orient » – nouvelle nomination qui souligne l’élargissement de son domaine d’action hors du champ scolaire – s’est grandement développée sous la direction de l’abbé Lavigerie (à sa tête de 1857 à 1863), souvent loué par l’Alliance française en raison de son rôle majeur pour la propagation de la langue française (Cortier, 1997 : 44). Après la Seconde Guerre mondiale, l’Œuvre d’Orient s’étend du Levant à l’Europe de l’Est et en Inde.

Sa triple mission repose sur des fondements religieux évidents : « témoigner de [la] foi en Jésus-Christ par une démarche de service, travailler à refaire l’unité des chrétiens […], et enfin […]

aider les chrétiens matériellement » (Legrand, 2010 : 14). La diffusion de la langue n’est donc nullement un objectif en soi mais un outil commode, l’Œuvre d’Orient s’appuyant pour parvenir à ses fins sur les écoles, dans lesquelles elle employait de façon privilégiée le français comme langue de scolarisation. C’est pourquoi elle était soutenue financièrement, au même titre que les autres écoles congrégationnelles, par l’Alliance française. Ainsi, la mission apostolique au Liban avait deux moyens d’action suivant le public visé : « les œuvres de charité pour tous et les écoles françaises pour les enfants » (Lavigerie, cité dans Chabanon, 2010 : 30). Les congrégations, notamment féminines, « se pli[ai]ent sans difficulté, par patriotisme linguistique comme par ses politiques avisées, aux inspections et bientôt aux programmes et aux examens français » (Langlois, 2010 : 107). Celles-ci ont ainsi joué un rôle essentiel dans la lutte contre l’italianisation de la Méditerranée, en faveur de la francisation de la langue et, consécutivement, des mœurs. Lacordaire, évoquant l’Association pour la Propagation de la foi, n’affirmait-il pas que les frères des écoles chrétiennes, mêlant « Dieu à l’enseignement élémentaire », étaient les « apôtres obscurs du peuple de France » (Lacordaire, 1841) ? De même, l’Alliance française invitait à « considérer [ces] missionnaires, en dehors de leurs caractères religieux, comme des agents patriotiques », les invitant à « [faire] des chrétiens pour eux et des Français pour nous » (Alliance française, citée par Cortier 1997 : 43). Le terme de « missionnaire », fréquemment employé au début du XXe siècle pour désigner les conférenciers de l’Alliance française, institution pourtant non-confessionnelle, renforce encore cette assimilation. Les deux missions, évangélique et patriotique, ont donc longtemps fusionné en vertu des relations historiques liant la France et l’Église. Mais au tournant du siècle, et plus encore suite aux guerres mondiales, les missionnaires de l’Église ont commencé à dissocier leur action de l’œuvre patriotique.

1.1.2.2. Les causes externes du déclin des écoles catholiques Comme les écoles congrégationnelles se sont développées dans le sillage de la colonisation française, elles sont fortement déstabilisées par la guerre et l’effondrement de l’Empire colonial français, qui remet en cause le message universaliste partagé par la France et le catholicisme. La laïcisation de l’enseignement en France en 1882 n’avait d’abord que peu touché l’enseignement du français à l’étranger. Mais la nouvelle loi de séparation de l’Église et de l’État (1905) entraîne la fermeture de nombreuses écoles dans l’Afrique noire française (Capelle, 1990 : 22). La célèbre formule de Gambetta (1877), « l’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation », est encore moins de mise en 1945, comme en témoigne la réduction des subventions accordées par le MAE aux écoles religieuses87 (DGACT, 1960 : 34). À ces raisons se surajoutent d’autres motifs. « Les années d’après-guerre et les décennies suivantes constituent […] une période d’épreuve pour les congrégations dans un Proche-Orient bouleversé par les guerres, les révolutions, les nationalismes et les intégrismes » (Sorrel, 2010 : 247). Plusieurs établissements religieux ferment sous la pression des nationalismes arabes, comme à Alep en 1936, à Damas en 1945, ou au Caire en 1952. D’autres voient leur programme scolaire, jusqu’alors conforme au programme métropolitain, se nationaliser (Salon, 1983 : 83).

De plus, avec le peu d’échos trouvés par le message spirituel dans un monde de plus en plus tourné vers des valeurs matérialistes, à l’origine d’une crise des vocations, le bien-fondé de l’action des écoles confessionnelles dans le monde moderne est remis en cause : « c’est une entreprise qui risque très rapidement de dater, en raison de sa capacité limitée d’adaptation à un monde très mouvant »88 (Trimbur, 2010 : 139). Mais, outre ces motifs externes généraux exerçant une influence néfaste sur le réseau des écoles religieuses enseignantes, la diffusion du français par les écoles religieuses est surtout freinée en raison de choix internes.

1.1.2.3. Vers une évangélisation en langue(s) locale(s)

Si l’action éducative occupait une part essentielle de la mission des œuvres catholiques à l’étranger, la diffusion du français n’en constituait pas un objectif prioritaire. Le choix du français comme langue de scolarisation s’expliquait par des raisons historiques et politiques rendues de plus en plus caduques par la nouvelle donne internationale. Comme le français était avant tout un médium de l’enseignement, progressivement, il en vint à le céder de plus en plus aux langues nationales, jugées plus à même de diffuser la parole évangélique car plus audibles.

87 Les subventions qui leur sont consacrées passent ainsi de 2 443 460 en 1938 à 945 334 francs en 1959 (Sorrel, 2010 : 250).

88 Déjà, en 1914, alors qu’une délégation officielle de l’Œuvre d’Orient avait été envoyée au Levant pour « ressusciter une sorte de royaume latin » et francophone (Trimbur, 2010 : 141), le constat était sans appel : « il est […] bien tard pour rétablir un ordre catholique et français au Levant alors que ses potentialités ne cessent de s’amenuiser avec le temps, et [...] il est devenu nécessaire de passer à un autre registre » (Trimbur, 2010 : 141).

L’Œuvre d’Orient, à l’instar des autres écoles chrétiennes, a ainsi commencé à adopter les langues locales à partir du démembrement de l’Empire ottoman par les nations européennes en 1914, en même temps qu’apparaissaient les premières revendications nationales. Ces mutations instaurent une dissociation entre la langue française et celle de l’Église. L’ouverture aux langues vernaculaires est accréditée par le concile œcuménique de Vatican II (1962-1965), selon lequel « réduire l’annonce de l’Évangile à une seule langue représente [...] une contradiction dans les termes, et ne vouloir tolérer dans l’Église qu’une ou deux langues est un signe de schisme ou d’hérésie89 » (Legrand, 2010 : 78). Cette affirmation, qui vise certes avant tout le latin, invalide du même coup le recours systématique au français comme unique langue de scolarisation. Ainsi, pour des raisons à la fois politiques, idéologiques et prosélytes, le français perd de sa superbe dans les écoles religieuses.

Les congrégations ont incontestablement servi de vecteur efficace à la diffusion de la langue française.

Mais elles ne pouvaient négliger les autres langues, soit pour les apprentissages élémentaires, soit pour la formation d’élites évoluant dans un contexte de multilinguisme (Langlois, 2010 : 108).

Ainsi, la place accrue accordée aux langues locales dans l’enseignement se fait a fortiori au détriment de la langue jusqu’alors dominante, à savoir le français.

1.1.2.4. L’ingérence de l’État à des fins d’amélioration de l’enseignement

Malgré ce recul dans les écoles religieuses, ces dernières demeurent des alliés importants de la diffusion du français et l’État sait qu’il aurait tort de les négliger car elles « apportent aux jeunes étrangers, dans beaucoup de pays, la formation de base indispensable, sur laquelle peut se développer ensuite notre action culturelle et technique » (DGACT, 1960 : 34). En 1958, l’enseignement religieux compte 10 congrégations de frères enseignants réunissant 850 000 élèves dans plus de 2 500 écoles et 150 congrégations féminines enseignant à 1 300 000 élèves (DGACT, 1959 a : 41).

L’emploi du français comme véhicule principal de la formation par les congrégations enseignantes garde […] des bases très solides dans la plupart des pays francisants d’Afrique, ainsi qu’en Égypte, au Liban et dans d’autres pays du Moyen-Orient (Salon, 1983 : 83).

Or, cet atout masque un problème majeur : la qualité de l’enseignement dispensé dans ces écoles, vanté par l’Alliance française à la fin du XIXe siècle (Melon, cité par Cortier, 1997 : 44), devient l’objet de critiques de plus en plus vives. Le premier Programme d’expansion et de reconversion des activités culturelles et techniques françaises à l’étranger du ministère des

89 D’autant plus qu’en adoptant les langues des autochtones, les missionnaires se rapprochaient du modèle plurilingue apostolique de la Pentecôte, durant laquelle les Apôtres « commencèrent à parler diverses langues, selon que l’Esprit-Saint leur donnait de parler » (Actes des Apôtres, chapitre II, 4, Tr. Glaire).

Affaires étrangères évoque « le problème que pose la situation actuelle de nos établissements tenus par nos congrégations » (DGACT, 1959 a : 22) tandis que le rapport d’activités de 1959 fait état de la dégradation avancée des établissements congrégationnels et de la piètre pédagogie employée, résultant de la mauvaise formation des enseignants et du manque de manuels, de matériel pédagogique et d’équipements adaptés (DGACT, 1959 b). Alors qu’il semble impératif de rééquiper ces écoles pour qu’elles répondent aux réglementations scolaires, le MAE indique qu’il est impossible de le faire, faute de nouveaux crédits (DGACT, 1960 : 5). Néanmoins, pour pallier les carences de ces écoles, des bourses de « programmes spéciaux » sont accordées, avec une générosité croissante à partir de 1958. Ces bourses dites de « noviciat » aident des religieux, surtout de Grèce, d’Amérique du Sud et du Proche-Orient, à se former en France sur une période allant d’un à trois ans. L’augmentation de ces bourses (31 en 1958 ; 61 en 1959) témoigne certes de la prise en compte du rôle des établissements religieux à l’étranger dans la diffusion du français et de ses limites mais est surtout une trace de l’ingérence de l’État au niveau pédagogique, même dans la sphère la plus privée qu’est la religion.

1.2. L’Alliance israélite universelle ou l’émancipation par le français S’il est avéré que les écoles chrétiennes ont beaucoup fait pour la diffusion de la langue française hors de l’Hexagone, il est une autre institution d’obédience religieuse qui a joué un rôle essentiel dans la « francisation » à l’étranger, cette fois à travers la « scolarisation des communautés juives du bassin méditerranéen » (Lévy, 1990 : 97) : l’AIU, qui est, historiquement, la première institution de diffusion extranationale de la langue française.

1.2.1. Une institution francophile soutenue par l’État français

Fondée en 1860 par des Français israélites mais « résolument laïques »90 (Lévy, 1990 : 1990), l’AIU implante autour de la Méditerranée un dense réseau d’écoles, d’abord élémentaires puis secondaires, dans une perspective confessionnelle à vocation philanthropique. Son but est avant tout de :

concentrer toutes les forces vives du judaïsme [et de] rassembler tous les cœurs généreux pour lutter contre la haine et les préjugés [et] créer une société de jeunes israélites idéalistes et militants qui se sentiraient solidaires de tous ceux qui souffrent par leur condition de juifs ou tous ceux qui sont victimes de préjugés quelle que soit leur religion [et de faire] enfin que la culture supplante l’ignorance de quelques fanatiques, pour le bien de tous (AIU, Appel de l’Alliance, 1860).

Pour mener à bien sa mission de liaison, de protection, d’instruction et de libération du peuple hébraïque, l’AIU s’appuie sur l’œuvre éducative. Elle publie dès 1861 des Bulletins portant sur

90 À savoir Charles Netter, Narcisse Leven, Isidore Cahen, Eugène Manuel, Aristide Astruc et Jules Carvallo.