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---Étude de la pièce, scène par scène

---Acte I, scène 1

Notes

- Vers 1 : «tandis que Néron s’abandonne au sommeil» est une nette indication du souci de Racine de faire se dérouler l’action en un seul jour fatal. La première scène s’ouvre à l’aube.

- Vers 4 : «César» : Titre donné aux empereurs romains.

- Vers 7 : «chagrins» : «tourments».

- Vers 11 : «impatient» : «qui ne sait pas se contraindre». L'épithète suggérant I'imminence du changement, Ie vers présente une antithèse traduisant la versatilité propre aux adolescents.

- Vers 17 : «Le fils de Claudius» : Racine, pour de simples raisons de prosodie, employa tantôt

«Claude», tantôt «Claudius», mot qu’il faut d’ailleurs prononcer avec une diérèse («Claudi-us») pour obtenir les douze syllabes de l’alexandrin.

Britannicus est né du premier mariage de l’empereur Claude avec Messaline.

- Vers 18 : «Domitius» : C’est le nom de la famille d’origine de Néron.

Il faut respecter la diérèse : «Domiti-us».

- Vers 21 : «généreux» : «avec des sentiments conformes à son origine noble».

- Vers 27 : «depuis deux ans» : en effet, Néron régnait personnellement depuis deux ans ; les «trois ans» évoqués au vers 25 indiquent le temps écoulé depuis que l’empereur Claude l’a adopté, et désigné comme son successeur au détriment de Britannicus.

- Vers 30 : «Auguste vieillissant» : Octave, petit-neveu de César, accéda au pouvoir par la violence en éliminant ses rivaux ; il prit le titre d’Auguste, et gouverna alors avec modération pendant dix-sept ans.

L’aspect magnanime de ce personnage apparaît dans ‘’Cinna’’ de Corneille.

- Vers 35 : «se déguise» : «se dissimule».

- Vers 36 : «fiers» : «cruels».

«triste» : «farouche».

- Vers 38 : «fierté» : «cruauté».

«Nérons» : Agrippine rappelle ici qu’elle appartient à une grande famille, la dynastie des Julio-Claudiens, qui fournit à Rome des empereurs célèbres pour leur cruauté et leurs excès (Tibère et Caligula, le propre frère d’Agrippine). Néron s’inscrit donc dans une lignée tragique.

- Vers 39 : «prémices» : «débuts».

- Vers 40 : «Caïus» : Il s’agit de l’empereur Caligula qui régna de 37 à 41 ; il sombra dans la folie meurtrière, et fut assassiné.

- Vers 41 : «se tournant» : «devenant».

«fureur» : «folie furieuse».

- vers 44 : «une longue vertu» : «qui dure longtemps».

- Vers 45 : «le timon de l’État» : Le timon est la barre du gouvernail d’un navire ; cette métaphore souligne que c’est bien Néron qui gouverne.

- Vers 46 : «du peuple et du sénat» : Les deux instances du pouvoir au temps de la république de Rome.

- Vers 47 : «père» : De «pater patriae», «père de la patrie», titre honorifique donné à Néron par le sénat.

- Vers 51 : «leur amour […] ignorée» : Au XVIIe siècle, le mot «amour» était fréquemment féminin.

- Vers 60 : «avancé» : «provoqué», «favorisé».

«ruine» : «perte». Il faut prononcer ce mot avec une diérèse («ru-ine»).

- Vers 61 : «le sang» : «la naissance».

«l’a dû» : «aurait dû le».

- Vers 63 : «hymen» : «mariage».

- Vers 65 : «Silanus» : Frère de Junie. Il se suicida quand Agrippine donna sa fiancée en mariage à Néron.

- Vers 67 : «pour récompense» : «en compensation», «en contrepartie».

- Vers 71 : «un port dans la tempête» : métaphore pour «sécurité en cas de danger».

- Vers 73 : «soins» : «précautions».

- Vers 81 : «prodigue amitié» : Hypallage car c’est l’amitié qui est prodiguée.

- Vers 84 : «Livie» : Seconde épouse d’Auguste. De son premier mariage avec T. Claudius Néron, elle eut Tibère (empereur de 14 à 37). Elle fut l’arrière-grand-mère d’Agrippine.

- Vers 86 : «faisceaux couronnés de lauriers» : honneurs réservés aux principaux dignitaires de l’empire qui se déplaçaient précédés de licteurs portant un faisceau de verges.

- Vers 88 : «confiance» : Il faut respecter la diérèse : «confi-ance».

- Vers 89 : «irritent» : «excitent».

- Vers 90 : «crédit» : «influence», «considération».

- Vers 91 : «n’est plus que» : «n’est plus où». Cet emploi de «que» à la place d’«où» était courant au XVIIe siècle.

- Vers 95 : «voile» : métaphore désignant la discrétion de l’exercice du pouvoir par Agrippine.

- Vers 96 : «ce grand corps» : «le sénat».

- Vers 110 : «je m’allais placer» : Au XVIIe siècle, le pronom complément d’un infinitif se plaçait devant le verbe dont dépendait l’infinitif.

- Vers 114 : «Sénèque» : Philosophe stoïcien qui devint le précepteur de Néron avec l’appui d’Agrippine, mais fut contraint au suicide en 65, après l’échec d’une conspiration contre Néron.

- Vers 115 : «prévenue» : «préoccupée».

- Vers 116 : L’image manque de cohérence, car nourrit-on un venin mortel pour soi-même,

«venin» étant une métaphore pour «haine néfaste pour qui la répand»? Mais cette image a une élégante hardiesse.

- Vers 117 : «vous éclaircir» : «vous expliquer clairement».

- vers 119 : «audience» : Il faut respecter la diérèse : «audi-ence».

Commentaire

En 55 avant J-C., «à Rome, dans une chambre du palais de Néron», au petit matin, Agrippine attend que veuille bien la recevoir celui-ci, son fils. Elle l’avait eu d’un premier mariage, l’avait fait adopter par son second époux, l’empereur Claude, auquel, avant de l’assassiner, elle lui en donna un autre, Britannicus, qui était donc le prétendant légitime à la succession. Mais elle fit accéder Néron au pouvoir. Pendant «trois ans de vertu» (vers 462), il suivit l’héritage d’Auguste, montra de nombreuses qualités, parut, aux yeux des Romains, comme un empereur bienveillant, Albine pouvant affirmer :

«Néron naissant / A toutes les vertus d'Auguste veillissant» (vers 30). Il gouverna avec sagesse sous la tutelle d’Agrippine, mais, sous ses attitudes encore vertueuses, il commence à laisser percer sa véritable nature, et elle se rend compte qu’elle est en train de perdre son influence comme le suggère cette didascalie : elle erre «sans suite et sans escorte» (vers 3).

Or elle vient d’apprendre qu’il a commis pendant la nuit une étrange action qui sème le désarroi et l’inquiétude dans son entourage : sans l’en avertir, il a fait enlever et conduire au palais, où il la séquestre, Junie, seule descendante d'Auguste, et «amante» de son demi-frère, Britannicus, dont il s'est épris.

Cette scène d’exposition répond aux exigences de la tragédie classique, et se présente comme un modèle du genre. On peut relever les éléments qui permettent de situer précisément le lieu, le temps et l’action à venir. Racine met en place le cadre historique de sa tragédie, et installe d’emblée la tonalité tragique de la pièce.

Dans la première tirade d’Agrippine (vers 6-14) apparaissent les principaux éléments du conflit tragique qui se prépare. Toute l'intrigue de la pièce est annoncée dès les vers 9-12, où elle définit bien le conflit, où elle prévient le spectateur de la gravité de la transformation de Néron.

Albine indique I'importance de sa maîtresse, et la nature filiale, morale et politique (vers 15-16) de l'ascendant qu'elle exerce sur son fils.

Dans la tirade des vers 31-58, Agrippine rappelle l’hérédité tragique de Néron, en évoquant son appartenance à une filiation criminelle : du côté paternel, «les fiers Domitius» à «I'humeur triste et sauvage» ; du côté maternel «la fierté des Nérons» et Caligula, le frère d'Agrippine, qu’elle présente d'une façon prémonitoire comme une première version du «monstre» (vers 40-42).

Elle évoque ses pulsions psychologiques, qui agissent comme des ressorts fondamentaux (vers 55-56), «haine» et «amour», d’une part, et, d’autre part, «plaisir» et «nuire», formant les couples antithétiques sur lesquels se bâtit sa personnalité.

Elle s’étonne de la conduite de Néron (vers 51-58). Mais c’est sa tutelle tyrannique qui l’a contraint à une fourbe rébellion, comme elle le constate elle-même en percevant une évolution, en évoquant le moment où, animé par I'amour de soi, il a commencé à devenir lui-même (vers 91-110).

Elle se sent de plus en plus délaissée par cet ingrat qui veut échapper à sa tutelle, lui enlever le pouvoir qu’elle avait (parlant de l’État, elle indique : «J’étais de ce grand corps l’âme toute-puissante»

[vers 96]), car, désormais, ils s’affrontent : «Je le craindrais bientôt, s’il ne me craignait plus» (vers 74), ce comportement prenant un tour exacerbé qui nourrit le processus tragique. Or l’enlèvement de Junie est le signe que son autorité sur son fils s'émousse. L’évènement lui fait pressentir, dès les premiers vers, l’émancipation de son fils (vers 11-12).

Car elle se rend compte que ses «gouverneurs» ont réussi à faire de lui un homme capable de gouverner.

Elle recherche d'emblée l'affrontement décisif, Albine, sa suivante, la réprimandant (vers 1-5). Elle rétorque aux vers 6-7 et 124-127.

Elle a le pressentiment de sa disgrâce, et cette menace imprécise qui pèse sur elle, qui ouvre l’aire illimitée des possibles, est l’un des ressorts de la tragédie. Elle engage une lutte pour un pouvoir qu'elle a mis en place mais qu'elle sent lui échapper.

Pour exprimer ses griefs à l’égard de Néron, elle utilise fréquemment l’antithèse, particulièrement au vers 88, qui révèle son caractère décisif, élément de ce premier portrait que nous avons d’elle.

Néron est absent physiquement de cette première scène, où c’est la parole d’Agrippine qui domine.

Mais il occupe une place centrale dans ses propos, cette présentation indirecte du personnage ne pouvant qu’intriguer le spectateur.

En observant les répliques d’Albine, on peut en déduire la fonction de la confidente.

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