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 Nécessité d’un apprentissage

3. Les propriétés référentielles de la voix peuvent-elles être utilisées par l’animal ?

1. LES ANIMAUX SONT SENSIBLES A LA VOIX HUMAINE

Nous avons étudié la sensibilité des porcelets aux signaux vocaux humains, à partir d’enregistrements vocaux féminins aux caractéristiques physiques, prosodiques ou émotionnelles opposées (Chapitre I). Les résultats obtenus montrent que les animaux sont sensibles à la diffusion de la voix féminine, montrant une sensibilité particulière pour la voix féminine aigüe et lente. En effet, la phrase prononcée sur un ton neutre a attiré plus de regards de la part des animaux que le bruit de fond de l’enregistrement qui lui était opposé. La voix féminine neutre possède une fréquence moyenne de 223 Hz, ce qui correspond aux fréquences de grognements associés à des situations neutres à positives (allaitement (Jensen et Algers, 1984 ; Tallet et al., 2013), rencontre sociale (Kiley, 1972 ; Tallet et al., 2013)). La voix neutre pourrait donc avoir été associée à un stimulus neutre à positif. De plus, les vocalisations longues (jusqu’à 1.2 s dans (Kiley, 1972)) sont utilisées par les porcs pour signaler leur position dans un environnement où ils ne se voient pas (Pajor, 1996, cité dans Kiley, 1972 ; Marchant et al., 2001). La longueur de la phrase diffusée (3.3 s) pourrait avoir attiré l’attention visuelle des porcelets par similitude avec une vocalisation émise dans une situation d’isolement. Les porcelets n’ont pas plus grogné vers la zone de diffusion de la voix neutre mais la réponse aux vocalisations de contact ne nécessite pas d’être à proximité de la source. Une analyse complémentaire de l’intervalle entre l’émission de la voix et l’émission des grognements apporterait des informations sur une éventuelle corrélation entre ces paramètres.

La transformation de la phrase prononcée sur un ton neutre vers un enregistrement plus aigu et plus lent a attiré physiquement les animaux. Ceux-ci ont passé plus de temps vers le haut-parleur diffusant cet enregistrement versus son opposé (phrase prononcée rapidement sur un ton grave). Chez les porcins, les sons aigus peuvent être émis dans des situations à valence positive, par exemple au cours de l’allaitement (Jensen et Algers, 1984) ou dans une situation de réunion avec la portée et la mère après une séparation, ou encore lorsque les porcelets se blottissent les uns contre les autres (Tallet et al., 2013). Les cris aigus peuvent être émis dans des situations très négatives (castration (Weary et al., 1998) et (Tallet et al., 2013)). Cependant, nous avons observé peu de comportements associés à des émotions négatives tels que décrits par Reimert et al. (2013) à savoir des tentatives de fuite ou des cris aigus, ce qui suggère que la voix humaine ainsi diffusée déclenche peu d’émotions négatives pour les porcs.

Le rythme lent a pu également rendre la voix attractive, bien que peu de vocalisations lentes soient rapportées dans les études sur les vocalisations des porcs. En fin d’allaitement, le rythme des grognements de la mère diminue, ce qui correspond à la fin du repas des porcelets et pourrait être associé à une sensation positive de satiété (Fraser, 1980). Chez d’autres espèces, le

rythme des vocalisations décroît lorsque l’aversion pour une situation diminue. Les femelles singes écureuils émettent des vocalisations défensives en présence d’un individu mâle inconnu et leur rythme diminue lorsque ce dernier s’éloigne (Fichtel et al., 2001). De même, le rythme des vocalisations d’un chaton isolé de sa portée est moins élevé que lorsqu’il est isolé et retenu par un expérimentateur (Scheumann et al., 2012). Chez le porc, les rythmes de vocalisations rapides sont plus souvent citées et peuvent être associées à des situations à valence négative comme la frustration (Kiley, 1972). Elles sont également associées à un état d’éveil élevé des animaux (Briefer, 2012). Par opposition, dans notre étude, la phrase prononcée lentement avec une voix aigüe pourrait présenter un effet apaisant et attractif pour les porcelets.

La sensibilité à la voix que nous avons observée chez le porc ne permet pas de se référer au modèle du conditionnement affectif proposé chez les primates par Owren et Rendall (1997). Ce modèle suggère que des vocalisations aux propriétés acoustiques opposées s’appliquent dans des situations de valence opposée. Ainsi, par opposition à une situation affiliative, impliquant des vocalisations tonales de fréquences aigües, une situation agonistique, comme une agression, conduit à l’expression de vocalisations de fréquences basses et comportant du bruit, comme les grognements. Or, par opposition à l’attirance pour la voix aigüe parlant lentement, nous n’avons pas observé, dans notre étude, de répulsion marquée pour la combinaison de caractéristiques opposées, une voix grave parlant rapidement. La voix humaine ne semble ainsi pas provoquer de réaction émotionnelle réflexe, à la manière d’un stimulus inconditionnel.

De même, nos travaux n’ont pas mis en évidence d’effets des caractéristiques simples de la voix sur le comportement des porcs, que ce soit pour la hauteur, le tempo mais également le ton ou l’émotion transmise. De plus, nous n’avons pas pu statuer quant à la valence des combinaisons de ces caractéristiques. Certains sons se sont distingués, suggérant que cette absence de différence entre les autres caractéristiques testées soit réelle, et non pas seulement liées à des biais méthodologiques. D’après le modèle de Morton (1977), il existe une attirance générale chez les mammifères pour les vocalisations intraspécifiques aigües, les rythmes rapides et une répulsion pour les vocalisations graves. Ce modèle ne semble pas s’appliquer aux interactions vocales entre l’homme et le porc, contrastant avec les résultats observés chez le chien. La réponse de ce dernier à des instructions (« assis » ou « vient ») peut être réduite par une modification de l’instruction impliquant un changement de voyelle, donc de hauteur de fréquence de l’instruction (Mills D. S., Fukuzawa , M. et Cooper, 2005 cité dans Mills (2005)) ou encore par un contenu émotionnel triste (Mills et al., 2005). L’ancienneté de la domestication du chien constitue le fondement d’une plus longue histoire partagée avec l’homme et d’une plus longue expérience des interactions vocales humaines. Il a été proposé que la sélection du chien

sur ses capacités de coopération avec l’homme découlerait d’une plus grande sensibilité aux subtiles variations des signaux humains (Miklòsi et al., 2006). Des comparaisons parmi d’autres espèces domestiques, en particulier sélectionnées pour le travail avec l’homme (bœufs, chevaux) et pour des critères de production comme le porc, les volailles ou encore pour leur rôle d’auxiliaire de protection des récoltes (chat : Vigne et al., 2004, autres espèces : pour revue Vigne, 2011) ainsi qu’avec leurs apparentés sauvages, apporteraient un éclairage sur le potentiel rôle de la domestication.

La sensibilité à certaines caractéristiques de la voix humaine a donc passé la barrière des espèces, de l’homme vers le porc, même si nos résultats restent à ce jour limités. Les mécanismes impliqués et les particularités des espèces nécessitent de plus amples recherches. Ce premier résultat s’avère prometteur pour l’utilisation des interactions auditives dans le développement de la relation homme-animal.

2. LA VOIX : UN ELEMENT DE CONSTRUCTION DE LA RELATION HOMME

-ANIMAL ?

Dans la suite de la thèse, nous nous sommes demandé si la sensibilité à la voix humaine que nous avons identifiée (Chapitre I) pourrait être utilisée pour faciliter le développement de la relation entre l’homme et l’animal (Chapitre II).

2.1. SPONTANEMENT, LA VOIX HUMAINE ASSOCIEE A SA PRESENCE

N’ATTIRE PAS LES ANIMAUX

Le fait de diffuser une voix ne permet pas d’attirer les porcelets vers l’homme ni de réduire la peur naturellement générée par la présence de l’homme chez les animaux domestiques (Vandenheede et al., 1998 ; Boissy et al., 2002 ; Jones et Boissy, 2011). La voix semble même augmenter la peur puisque au début des traitements, lorsque la voix était diffusée, moins de porcelets se sont approchés de l’expérimentatrice que lorsqu’elle n’était pas diffusée. Les porcins, comme les bovins ou les ovins, présentent des réactions de néophobie à l’encontre de personnes inconnues sans avoir été exposées à l’homme de manière répétée au préalable (Romeyer et Bouissou, 1992 ; Hemsworth et al., 1996a). Ces réactions se traduisent par des latences d’approche plus longues, un temps passé à proximité de la personne inconnue réduit tout comme la locomotion dans la zone de test comparativement à ce qui est observé chez des animaux exposés régulièrement à l’homme. Dans notre étude (Chapitre II), cette réponse de néophobie s’applique à nos deux traitements. Toutefois, la nouveauté du signal vocal semble l’avoir accentuée au début du traitement. Cependant, cette réponse de peur diminue au cours du temps, et tous les animaux ont investigué l’expérimentatrice dès le second jour de traitement, le temps de contact avec l’expérimentatrice devenant rapidement similaire au temps passé près de l’expérimentatrice sans diffusion de voix. La familiarité d’une interaction entre l’homme et l’animal intervient dans son évaluation par l’animal (Désiré et al., 2002). Parler aux animaux pourrait donc nécessiter de le faire de manière régulière afin de dépasser la réaction initiale de néophobie.