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Accueillir : élaborer la réception d’un ambassadeur ottoman au XVIII e siècle

E) La circulation de l’information, un enjeu primordial

II) Accueillir : élaborer la réception d’un ambassadeur ottoman au XVIII e siècle

L’élaboration d’un plan pour réceptionner et loger une délégation requiert une logistique spécifique et produite avec tous les soins possibles. Pour ce faire, il n’est pas question de préserver les finances de la ville dans un tel contexte, bien au contraire, il s’agit de mobiliser tous les moyens et de mettre en œuvre les dispositifs adéquats dans ce but. Le premier enjeu est de garantir à la délégation le meilleur confort possible. Mais avant tout, il importe de satisfaire pleinement l’ambassadeur lui-même. Il s’agit de produire un espace à peu près similaire au cadre de vie de l’invité, l’accommodant selon les us et coutumes de son pays d’origine. Ainsi, l’apprêt d’un logis meublé selon un style et des caractéristiques typiquement traditionnelles du pays de l’envoyé a pour but d’indiquer un certain respect vis-à- vis de l’invité qui est « comme chez lui », mais aussi la prise en compte de son mode de vie au travers de recherches et de questionnements sur sa culture. Se pencher sur les modes de vie témoigne d’une démarche pensée et réfléchie, d’une interrogation sur autrui.

Le second enjeu concerne tout ce qui touche aux habitudes quotidiennes, et comprend plusieurs thématiques concernant l’ensemble des pratiques qui touchent aux règles alimentaires et éventuelles prescriptions ou interdits d’ordre religieux. La manière de coucher ou de manger ainsi que les aliments consommés amènent aussi à de multiples réaménagements en l’absence d’un équipement adapté. Dans notre cas d’étude toulousain par exemple, face à la venue d’orientaux, nous verrons que l’administration locale doit inévitablement faire face à de multiples interrogations qui émergent à ce sujet. Un autre domaine renvoie essentiellement à des conventions d’ordre diplomatique1. Il s’agit avant tout de mettre en œuvre une série de règles tendant à conférer à l’ambassade du prestige et à la revêtir d’un caractère unique et authentique. Cela s’incarne au travers d’une haie d’honneur bien disposée ainsi que d’un accueil en bonne et due forme. Il est donc primordial de garantir la protection du corps diplomatique d’heurts incertains, d’éviter tout débordement ou encore de signifier un intérêt pour sa personne et la position sociale qu’il occupe. Tout ce montage complexe permet aussi aux agents de la ville de mettre en avant leur rôle dans la préparation

1 Nous évoquons beaucoup plus amplement ce sujet dans le chapitre suivant de notre étude. Voir « La règle et le

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du cérémonial, règle qui a pour but d’accueillir comme il se doit un ambassadeur, en appliquant un dispositif particulier pour recevoir une personne de haut rang.

Au XVIIIe siècle, Toulouse est une ville essentiellement marquée par des bâtisses datées de l’époque médiévale. Face à des édifices décrépites et menaçant de s’effondrer, les pouvoirs publics entreprennent de nombreuses réformes urbaines, tendant à élargir et aérer le tissu urbain encore encombré de quartiers anciens irrespirables et insalubres. Comme l’évoque l’historien Michel Taillefer, souvent très exiguës les rues toulousaines sont propices au développement des contagions et à la diffusion d’exhalaisons mauvaises :« Les maisons « menaçant d’une chute prochaine […] font donc partie du paysage urbain. »2. Et pour cause, les Annales municipales font encore ce constat en 1732 :

« Si l’on voit avec plaisir la ville de Toulouse se renouveler pour ainsi dire par les constructions nouvelles et magnifiques que l’on y fait tous les jours, il faut accorder néanmoins qu’il y a encore une infinité de maisons mal bâties, anciennes et ruineuses, où l’on ne peut entrer qu’en tremblant »3.

Les politiques de transformation globale débutent dans la deuxième moitié du siècle, le réaménagement et la refonte du paysage entrainent la destruction des nombreuses bâtisses décrépites et vieillottes. Très austère, la ville est visuellement marquée par l’emploi massif de la brique rouge, uniformisant et assombrissant le paysage urbain. Au-delà de la thématique plastique, Toulouse garde un certain statut : prestigieux de par la présence du siège du parlement, elle est aussi un centre de gravité pour les étudiants grâce à son ancienne université4. Ses principaux atouts économiques reposent sur un réseau marchand particulièrement florissant, grâce à l’usage du Canal du Midi qui simplifie le transport. Celui- ci devient un chemin de communication fortement emprunté pour rejoindre la ville marchande par excellence qu’est Bordeaux. En plus d’être une halte sur le long et sinueux canal,

2 Taillefer, Michel. Vivre à Toulouse sous l’Ancien Régime, Toulouse, Ombres blanches, rééd 2014, p. 159. 3 Ibidem.

Cf. les annexes VII et VIII pour un aperçu de Toulouse au XVIIe siècle.

4 Fondée en l’année 1271, l’université de Toulouse est l’une des premières à être construite après l’obtention de

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Toulouse perçoit des revenus conséquents au travers de « l’essor du commerce des grains consécutif à l’ouverture du canal des Deux-Mers [qui] entraine une hausse de la rente foncière, sur laquelle repose principalement la richesse de la cité »5. L’économie toulousaine profite pleinement de sa situation géographique, qui lui permet de s’assurer une position de carrefour commercial actif incontournable.

Après avoir effectué un tour d’horizon des évolutions de la ville, mettons en parallèle ces données et les problématiques liées à la réception d’un ambassadeur ottoman à Toulouse : comment s’est organisée l’administration toulousaine pour aménager au mieux un logement digne et correct ? Note-t-on des précautions particulières prises dans le choix d’un logement original ? Assiste-on à une marginalisation spatiale de l’ambassade pendant ces quelques jours, ou au contraire préfère-t-on la rendre visible auprès des Toulousains en forme de spectacle exotique vivant ? Loge-t-elle dans un seul et unique lieu, un bâtiment quelconque ? Selon quelles méthodes l’administration prépare-t-elle ce lieu d’habitation ? Autant d’interrogations qui vont nous permettre de comprendre les nombreux enjeux que se pose l’administration toulousaine pour satisfaire un ambassadeur. Rechercher et comprendre, saisir l’altérité et s’adapter, tels sont les enjeux auxquels doit faire face l’administration toulousaine.