Chapitre 6. Discussion 156
6.1 Accessibilité géographique 161
Dans les districts étudiés au Burkina Faso, notre étude souligne l’absence de modification d’effet de la politique de subvention en fonction de la distance entre le ménage et la formation sanitaire la plus proche20. Nos résultats viennent ainsi infirmer notre cinquième hypothèse, à savoir :
« Hypothèse 5 -‐ L’effet de la politique de subvention des frais aux usagers introduite au Burkina Faso en 2007 sur le taux d’AA est modifié par l’accessibilité géographique, l’effet étant inversement proportionnel à la distance entre le ménage et la formation sanitaire ». Notre étude souligne néanmoins le gradient d’utilisation de l’assistance qualifiée à l’accouchement en fonction de la distance euclidienne (km). Les politiques visant à augmenter l’accessibilité aux soins obstétricaux devraient ainsi tenir compte de l’importante barrière géographique corroborée dans notre enquête, et couvrir les dépenses non médicales, y compris les frais de déplacement [310]. La couverture de tels coûts indirects permettrait de diminuer le premier retard du modèle de Thaddeus et Maine [104], puisque le processus de décision de recourir aux soins est tributaire des coûts directs et
20 Basé sur le test du ratio de vraisemblance (likelihood ration test ou LR test), le terme d’interaction entre l’intervention (politique SONU) et la distance n’a pas atteint le seuil de significativité statistique (p = 0,308).
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indirects anticipés, et ce en plus d’une action au niveau du deuxième retard, notamment la sélection d’un véhicule motorisé pour se déplacer au centre de santé.
L’accessibilité géographique a joué un rôle majeur dans l’amélioration des indicateurs de santé maternelle et infantile au Niger. Une des priorités du gouvernement nigérien depuis 1990 est d’assurer l’accès aux soins à moins de 5 km à toute la population, notamment par la construction de centres de santé et de postes de santé périphériques. L’amélioration de l’accès physique aux soins de santé primaires a été couplée à une politique nationale de gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans [132], en plus de l’amélioration de la qualité des services par le renforcement des capacités des prestataires des structures sanitaires. Alors que la majorité des pays d’Afrique de l’Ouest ne sont pas en voie d’atteindre le quatrième Objectif de Développement du Millénaire (OMD 4) – qui vise à réduire de deux tiers entre 1990 et 2015 le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans – le Niger a enregistré une chute de la mortalité infantile de 43 % entre 1998 et 2009, passant de 226 à 128 décès pour 1,000 naissances vivantes [311]. Le taux annuel de réduction de 5,1 % entre 1990 et 2009 dépasse ainsi les 4,3 % nécessaires pour l’atteinte de l’OMD 4, alors que les taux enregistrés dans les pays voisins représentent 2,2 % au Bénin, 1,8 % au Mali et 0,8 % au Burkina Faso [311].
L’expérience du Niger – bien que 186ème pays sur 187 selon l’Indice de Développement Humain (IDH) -‐ démontre que les efforts envers l’accès universel aux soins de santé primaires aux femmes et enfants se doivent d’être multisectoriels. Le besoin de développer des programmes de santé publique horizontaux qui ciblent plusieurs déterminants est d’ailleurs souligné par McNamee et al. (2009). Dans une revue systématique sur
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l’importance relative des barrières à l’utilisation des services de santé maternelle dans les pays à ressources limitées, les auteurs avancent : « it is not possible to state categorically whether one particular barrier is more important than others and that efforts should continue to consider demand-‐side barriers more fully, along with supply-‐side barriers » [312]. Cette opinion est corroborée par Jacobs et al. (2012), pour qui une
combinaison d’interventions semble plus efficace que des interventions
indépendantes [182]. La nécessité de programmes visant plusieurs déterminants de l’utilisation des services est d’ailleurs mise en exergue par notre revue systématique sur les inégalités dans le recours aux services postnataux dans les PRFI. Ce volet de recherche a engendré une évidence qui supporte notre Hypothèse 1, à savoir que : « l’utilisation des services de santé postnataux dans les pays à revenu faible et intermédiaire est supérieure au sein des ménages socioéconomiquement favorisés ». En fait foi notamment la mesure d’association agrégée du quintile socioéconomique supérieur (Q5) vis-‐à-‐vis le quintile le plus pauvre (Q1=ref), soit un ratio de cotes (RC, IC 95%) = 2.27 (1.75 – 2.93).
Notre revue systématique souligne aussi une inégalité géographique d’utilisation des services postnataux en vertu du lieu de résidence (urbain vs. rural = réf) de l’ordre de : RC (IC 95%) = 1.36 (1.01-‐1.81). Par contre, le manque d’homogénéité dans la classification de l’exposition selon la distance euclidienne (km) – voir le tableau 3 du chapitre 5 – a empêché le calcul d’une mesure agrégée à cet effet. Cependant, l’évaluation narrative de la distance mesurée en km ou temps de transport souligne de manière assez univoque la plus forte propension à utiliser les services postnataux au sein des ménages qui habitent à proximité d’une formation sanitaire. La méta-‐analyse du recours aux services postnataux en fonction
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du milieu de résidence, couplée à l’évaluation narrative de l’utilisation selon la distance, supporte ainsi notre Hypothèse 2, à savoir que « l’utilisation des services de santé postnataux dans les pays à revenu faible et intermédiaire est inversement proportionnelle à la distance entre le ménage et la formation sanitaire ».
Il est tout de même à noter que le gradient urbain-‐rural ne confère pas automatiquement un meilleur accès et des taux élevés d’utilisation des services de santé. Matthews et al. (2010) soulignent en effet que l’« avantage urbain » n’est pas déterministe, particulièrement pour les ménages urbains les plus pauvres. En se basant sur l’évidence quant à l’utilisation des services de santé maternelle dans 30 pays, les auteurs avancent que « les pauvres urbains n’ont pas nécessairement accès aux services, malgré une plus grande proximité des formations sanitaires », un phénomène associé à la « marginalisation urbaine » [313]. Par ailleurs, l’évaluation narrative de l’utilisation des services postnataux en fonction du niveau éducationnel de la femme et du mari vient supporter notre Hypothèse 3, à savoir que : « l’utilisation des services de santé postnataux dans les pays à revenu faible et intermédiaire est supérieure au sein des ménages plus éduqués ».
Cette évidence sur les déterminants et les inégalités devrait ainsi informer la planification et la mise en œuvre de politiques et de programmes de santé qui visent à améliorer les indicateurs de santé materno-‐infantiles dans les pays à ressources limitées. Cette assertion est d’autant plus vraie que les inégalités d’accès au continuum de services de santé materno-‐infantile engendrent une accumulation de conditions sous-‐jacentes défavorables, à l’origine d’un différentiel de risques et d’une importante vulnérabilité des femmes les plus pauvres, non éduquées et vivant en milieu rural.
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