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A LA RECHERCHE DES PRINCIPES EVOLUTIFS DE L’INTERACTOME

EVOLUTIFS DE L’INTERACTOME

Dans le chapitre précédent, j’ai montré que le réseau interactome que nous avons

construit pour Arabidopsis Arabidopsis Interactome 1 », ou AI-1) représente un

ensemble d’interactions biophysiques de très bonne qualité technique et enrichi

en interactions pertinentes biologiquement. Cependant, AI-1 contient une quantité

encore inconnue de pseudo-interactions et ne représente qu’un échantillon limité

du véritable réseau interactome d’Arabidopsis. En étant bien consciente des atouts

comme des limitations de ce réseau, je l’ai analysé à la lumière de la théorie de

l’évolution pour vérifier une hypothèse centrale de la biologie systémique.

Une hypothèse centrale de la biologie systémique propose que les relations

entre génotype et phénotype soient sous-tendues par un ensemble de réseaux

moléculaires dynamiques au sein de la cellule. L’ensemble des interactions physiques

entre protéines constitue l’un de ces réseaux, mais pas le seul : les protéines

interagissent aussi avec des acides nucléiques, des métabolites, des lipides... Ces

différentes facettes des fonctions moléculaires des protéines s’additionnent comme

autant de contraintes sur les séquences qui les encodent. D’après la théorie de

l’évolution, les phénotypes résultants exercent une rétroaction sur les génotypes via

l’action de la sélection naturelle. Intuitivement, l’hypothèse centrale de la biologie

systémique vue sous un angle évolutif impliquerait donc que les pressions de

sélection qui façonnent les génotypes le fassent à travers le remaniement dynamique

de réseaux cellulaires (Figure 9A). Les travaux exposés dans ce chapitre valident

en partie cette hypothèse en mettant en évidence qu’une évolution de l’interactome

semble avoir accompagné l’évolution d’Arabidopsis.

Rôle de la sélection naturelle dans l’évolution des interactions

physiques entre protéines : le cas des duplications de gènes

Les travaux présentés dans ce sous-chapitre et la partie correspondante du

Document Joint 6 ont été effectués en collaboration avec Benoit Charloteaux

(alors au laboratoire de Marc Vidal), Murat Tasan (au laboratoire de Fritz Roth,

Harvard Medical School), Sabrina Rabello et Gourab Ghoshal (au laboratoire de

Laszlo Barabasi, Northeastern University).

Pour déterminer si le remaniement des interactions physiques entre protéines

joue un rôle évolutif, nous nous sommes placés dans le contexte très étudié des

duplications de gènes, phénomène fréquent et universel associé à l’innovation

études ont montré que les séquences initialement identiques de gènes issus du

même ancêtre par duplication (paralogues) divergent rapidement, puis continuent

à diverger mais plus lentement (Innan and Kondrashov ; Lynch and Conery 2000;

Kondrashov, Rogozin et al. 2002; Scannell and Wolfe 2008). Ce changement de taux

d’évolution, « rapide-puis-lent », est une signature de l’action de la sélection naturelle,

relâchée après duplication, puis resserrée sur les quelques paralogues maintenus

dans le génome (la plupart disparaissent). Au niveau de l’interactome, le modèle le

plus simple propose que les protéines paralogues partagent initialement tous leurs

interacteurs, puis que la fraction d’interacteurs partagés décroît suite à des pertes

et gains d’interactions (Figure 9B). Nombre de modèles théoriques ont estimé, et

des travaux empiriques ont tenté de mesurer, la valeur du taux de re-câblage des

profils d’interactions (Pastor-Satorras, Smith et al. 2003; Vazquez 2003; Ispolatov,

Krapivsky et al. 2005; Beltrao and Serrano 2007; Evlampiev and Isambert 2008;

Presser, Elowitz et al. 2008), supposée constante au cours du temps. En l’absence

de réseau interactome adapté à une telle étude, leurs conclusions demeuraient

limitées (Wagner 2001; Wagner 2003; Maslov, Sneppen et al. 2004). Or, le postulat

que le taux de re-câblage des interactions serait constant tandis que les séquences

paralogues divergent de manière rapide-puis-lente suppose implicitement que ce

re-câblage est aléatoire et indépendant de l’évolution fonctionnelle des protéines.

Autrement dit, déterminer si la divergence des profils d’interactions de protéines

paralogues a lieu à taux constant ou non permettrait de savoir si le re-câblage de

l’interactome joue un rôle évolutif ou non.

La construction d’AI-1 et la mesure de ses limitations expérimentales

(chapitre 2) nous ont permis d’observer empiriquement le taux de divergence des

profils d’interactions de protéines paralogues (Document Joint 6). D’une part, la

grande taille d’AI-1 couplée à la haute fréquence de gènes dupliqués dans le génome

d’Arabidopsis, aboutit à la présence de près de 2000 paires de protéines paralogues

dans AI-1. Ce nombre est environ dix fois plus élevé que celui qu’on observe dans

les réseaux interactomes de qualité comparable disponibles pour l’humain (Rual,

Venkatesan et al. 2005) ou la levure (Yu, Braun et al. 2008). D’autre part, puisque

nous avons mesuré la sensibilité expérimentale d’AI-1 (chapitre 2), nous avons

pu normaliser la fraction d’interacteurs partagés par deux protéines par rapport à

une limite supérieure reflétant le manque de saturation de notre expérience. Pour

vérifier la validité de nos mesures, nous les avons comparées avec la divergence

fonctionnelle de paires de paralogues, résultat de leur évolution. En utilisant des

mesures phénotypiques comparatives recensées par Hanada et ses collègues

(Hanada, Kuromori et al. 2009), nous avons observé comme prédit que les protéines

plupart de leurs interacteurs, ce qui n’est pas le cas de protéines paralogues dont les

mutants ont des phénotypes distincts. AI-1 contient donc de l’information pertinente

sur l’évolution des paralogues.

Phénotypes Sélection Génotypes 700 600 500 400 300 200 100 0 100 80 60 40 20 0 Identité de séquenc

e moyenne (%, bleu) et fraction

moyenne corrigée d’

interacteurs partagés (%, rouge)

Temps écoulé depuis duplication (en millions d’années)

10

1

1 10 102 103

102

Duplication de A Re-câblage des interactions

Fraction d’interacteurs partagés 100% 50% 0% A A’ A A’ A A A’ Protéines paralogues Interaction entre protéines

Protéine

A

B

C

Figure 9 : Evolution de l’interactome d’Arabidopsis thaliana

A. Une hypothèse centrale de la bi-ologie systémique vue sous l’angle évolutif. Les interactions physiques entre protéines (schéma de réseau) représentent l’un des nombreux in-termédiaires (voies métabolique en illustration) entre génotypes et phéno-types. Le chapitre 3 étudie si le re-câblage des interactions physiques entre protéines est soumis aux lois de la sélection naturelle, dans le cas des duplications de gènes (premier sous-chapitre) et de l’évolution de la résistance aux pathogènes (second sous-chapitre).

B. Modèle de re-câblage des interac-tions entre protéines paralogues au cours du temps.

C. Fraction moyenne corrigée d’interacteurs partagés (cercles roug-es) et identité de séquences proté-iques moyenne (carres bleus) entre paires de protéines paralogues en fonction du temps écoulé depuis la duplication. Encart : représentation à l’échelle logarithmique. Lignes pleines : loi de puissance ajustée aux données ; ligne rouge en pointillés : loi expo-nentielle ajustée au re-câblage des in-teractions entre protéines paralogues au cours du temps. La divergence des profils d’interactions de protéines paralogues peut être approximée par une loi de puissance (somme des car-rés car-résiduels = 85) bien mieux que par une loi exponentielle (somme des car-rés car-résiduels = 144).

En utilisant des résultats récents de génomique comparative datant

phylo-génétiquement les duplications de gènes d’Arabidopsis (Hedges, Dudley et al. 2006;

Vilella, Severin et al. 2009)(gramene.org), nous avons pu mesurer la proportion

moyenne d’interacteurs partagés par des protéines paralogues en fonction du temps

écoulé depuis qu’une duplication leur a donné naissance. Nos résultats (Figure 9C)

montrent que la fraction d’interacteurs partagés par les protéines paralogues diminue

à un rythme qui s’apparente plus à une loi de puissance qu’à l’exponentielle attendue

si le re-câblage avait lieu à taux constant. Cette observation ne semble pas être

influencée par la magnitude des duplications (grandes familles de gènes, duplication

du génome entier). L’évolution des interactions physiques entre protéines,

rapide-puis-lente, suit donc un profil similaire (même loi mais exposant différent) à celle des

séquences de gènes dupliqués, et n’a pas lieu à un taux constant. Cette corrélation

nous permet de rejeter l’hypothèse selon laquelle le re-câblage de l’interactome est

indépendant des pressions de sélection qui façonnent la divergence fonctionnelle

des paralogues. Il est donc fort probable que, au moins dans le contexte de

l’évolution par duplication de gènes chez Arabidopsis, la sélection naturelle agisse,

entre autres, directement ou indirectement, à travers le re-câblage des interactions

physiques entre protéines.

À l’avenir, afin d’analyser plus finement l’évolution de l’organisation de

l’interactome, je propose de comparer les vitesses de divergence des profils

d’interactions des protéines paralogues en fonction des types de pression de

sélection s’exerçant sur leurs séquences, ainsi qu’en fonction de leurs catégories

fonctionnelles. Par ailleurs, lorsque des réseaux interactomes contenant

suffisamment de paires de protéines paralogues seront disponibles pour d’autres

organismes, il sera intéressant d’explorer si nos observations sont valides en dehors

des plantes. Arabidopsis et les plantes à fleurs en général possèdent bien plus de

paralogues que les autres phylums, pour des raisons probablement liées à leur

mode de reproduction. Cette capacité à tolérer les duplications est supposément

à l’origine de l’explosion du nombre d’espèces angiospermes. Mieux comprendre

et pouvoir prédire la réponse des systèmes cellulaires de plantes aux duplications

serait extrêmement utile à l’industrie agronomique (Leitch and Leitch 2008).

Les résultats résumés dans ce sous-chapitre et exposés dans le Document Joint

6 suggèrent la possibilité que, comme prédit par l’hypothèse centrale de la biologie

systémique, le réseau interactome « évolue » au sens darwinien du terme. Le

sous-chapitre suivant et le Document Joint 8 abordent la même question fondamentale

millions d’années de co-évolution entre le système immunitaire d’Arabidopsis et

divers phyto-pathogènes se reflètent sur l’organisation de l’interactome.

Attaques ciblées et défenses gardées: la course aux armes entre

phyto-pathogènes et le système immunitaire d’une plante

Comprendre les mécanismes d’attaque et de défense entre les plantes et leurs

pathogènes représente un enjeu crucial pour l’agriculture durable et l’équilibre

de l’environnement. Vingt ans de recherches fondamentales utilisant Arabidopsis

comme organisme modèle ont abouti à un concept surnommé « zigzag», qui

décrit les relations dynamiques entre plantes et phyto-pathogènes (Nishimura and

Dangl). La détection de molécules du « non-soi » par des récepteurs membranaires

déclenche une première ligne de défense immunitaire générique, le « zig ». De

nombreux pathogènes sont capables d’injecter à l’intérieur des cellules végétales

des « effecteurs » moléculaires qui, affaiblissant l’effet du zig, augmentent la

susceptibilité à l’infection : le « zag ». En réponse, des récepteurs intracellulaires

semblent pouvoir reconnaître le « soi modifié » et provoquer une seconde vague

de défense immunitaire, un second zig. Le degré de résistance de la plante au

pathogène dépend de l’amplitude de ces deux lignes de défense, ainsi que de

l’amplitude de l’attaque.

Indépendamment de ces mécanismes physiologiques complexes, la science

des réseaux propose une élégante prédiction. Des travaux théoriques datant de

dix ans ont montré que, lorsque la distribution des degrés (nombre de connections

par composant) d’un réseau suit une loi de puissance (i.e. un petit nombre de

composants, les hubs, établissent de nombreuses connections tandis que la plupart

des composants font peu de connections), la structure de ce réseau est robuste aux

« erreurs » aléatoires en général, mais en revanche très sensible aux « attaques »

dirigées contre les hubs (Albert, Jeong et al. 2000). La distribution des degrés des

réseaux interactomes semble suivre une loi de puissance (Jeong, Mason et al.

2001), même si on ne peut pas en être certain au vu de leur couverture limitée ((Han,

Dupuy et al. 2005) et chapitre 2). En conséquence, les pathogènes maximiseraient

leur virulence en ciblant les hubs.

La science des réseaux et la physiologie moléculaire se rencontrent donc

dans la question fascinante des interactions hôtes-pathogènes. Comment concilier

le modèle zigzag et la prédiction de la science des réseaux ? En accord avec cette

prédiction, plusieurs études ont montré que les protéines de pathogènes, viraux ou

bactériens, interagissent préférentiellement avec les hubs du réseau interactome

(Dyer, Neff et al. ; Calderwood, Venkatesan et al. 2007; de Chassey, Navratil et al.

2008). Ceci étant, comment déterminer s’il ne s’agit pas d’un artefact technique ? Si

les hubs étaient des protéines « collantes » interagissant de manière non spécifique

avec de nombreux partenaires, comme il a été suggéré (Hart, Ramani et al. 2006),

leurs interactions avec des protéines de pathogènes n’auraient rien de surprenant,

ni rien d’intéressant. Par ailleurs, le modèle zigzag repose sur des hypothèses qui

pour la plupart n’ont pas été démontrées systématiquement. Pour permettre l’étude

des interactions plantes-pathogènes à la lumière de la science des réseaux, il était

donc nécessaire de cartographier le premier interactome du système immunitaire

végétal.

Nous avons couplé ce projet avec la construction d’AI-1, en collaboration

avec les groupes de Jeff Dangl et Jim Beynon (Université de Warwick). Nos

collaborateurs ont cloné ~60 effecteurs injectés dans la plante par la bactérie P.

syringae (Psy), ~100 par l’oomycète Hyaloperonospora arabidopsidis (Hpa), ainsi

que 3 types de protéines ayant un rôle dans le système immunitaire connu ou

prédit : ~180 domaines cytoplasmiques de récepteurs membranaires (RLKs), ~140

domaines N-terminaux de récepteurs intracellulaires (NB-LRRs), et ~80 protéines

de fonction variées impliquées dans la défense (Defense). Tous ces clones (les

« appâts ») ont été systématiquement testés en Y2H entre eux, et contre les 8430

protéines utilisées pour AI-1 (« Space I », les « proies »), en même temps que les

8430 protéines ont été testées contre elles-mêmes. J’ai trié informatiquement les

résultats de cette expérience pour en extraire deux réseaux : AI-1, et un réseau

contenant toutes les interactions impliquant au moins un appât. Ce second réseau

comprend 1358 interactions entre 926 protéines, dont 83 effecteurs pathogéniques,

170 protéines ayant un lien connu ou prédit avec l’immunité, et 673 proies (Figure

10A). J’ai proposé d’augmenter la connectivité de ce réseau en intégrant toutes

les interactions entre ces 926 protéines décrites dans la littérature ou provenant

d’AI-1. Cela aboutit à un nouveau réseau, comprenant 3148 interactions physiques,

constituant la première carte du système immunitaire d’une plante en interaction

avec des pathogènes (en anglais « first plant pathogen immune network », ou

PPIN-1) (Figure 10B). Grâce à cette carte, nous avons pu tester plusieurs hypothèses

Hpa Psy NB-LRR Défense RLK 1358 interactions 926 protéines 3148 interactions 926 protéines

Figure 10: Réseau interactome plante-pathogènes (PPIN-1).

A. Présentation en étages du résultat d’un crible double hybride; les appâts sont représentés par des nœuds en couleurs, les proies en gris. Chaque interaction est représentée par un lien gris.

B. La connectivite du réseau (A) est augmentée par l’addition d’interactions d’AI-1 et de la littérature. Dans cette schématisation, la taille des nœuds est proportionnelle au nombre de protéines dans chaque catégorie; l’épaisseur des liens représente le nombre d’interactions entre chaque groupe de protéines, avec 1-10 interactions = 1 (unité arbitraire), 11-100 interactions = 2, 101-250 interactions = 4 et >250 interactions = 8. Les liens gris résument les interactions de (A), les verts ceux d’AI-1 et de la littérature, et les oranges ceux communs à (A) et à AI-1 ou la littérature.

Dans (A) et (B), PPIN-1 est organisé en quatre niveaux. En haut, les effecteurs des deux patho-gènes sont regroupés en deux cercles, un pour la bactérie (Psy) et l’autre pour l’oomycète (Hpa). Au deuxième niveau en partant du haut, les protéines d’Arabidopsis interagissant directement avec au moins un de ces effecteurs sont assemblées en trois rectangles selon si elles interagissent avec des effecteurs de l’un, de l’autre ou des deux pathogènes. Aux troisième niveau se trouvent les trois types de protéines d’Arabidopsis utilisées comme appâts. Pour simplifier, les rectangles du deuxième niveau en partant du haut sont entièrement gris dans (B). Le niveau inférieur représente les protéines proies qui n’interagissent avec aucun effecteur.

Attaques ciblées. L’une des métaphores militaires décrivant les relations

hôtes-pathogènes propose que les effecteurs se livrent à des attaques ciblées contre

les protéines-clés de l’hôte afin de prendre contrôle de la cellule, ainsi que contre les

défenses de l’hôte pour les affaiblir. Si les théories évolutives et les connaissances

actuelles sont en faveur de ce modèle, il n’a jamais été réellement démontré. Nous

avons comparé le nombre de protéines d’Arabidopsis avec lesquelles les effecteurs

interagissent dans PPIN-1 avec le nombre auquel on s’attendrait si les effecteurs

établissaient le même nombre de connections mais avec des protéines aléatoirement

choisies parmi toutes celles de PPIN-1 et AI-1. Nos simulations prédisent que, si

l’hypothèse des attaques ciblées était fausse, les effecteurs interagiraient avec 320

protéines d’Arabidopsis en moyenne, dont ~1% partagées par Hpa et Psy. En fait,

dans PPIN-1 les effecteurs ont ciblé de manière répétitive seulement 165 protéines,

dont 10% partagées par Hpa et Psy. Un tel degré de convergence de la part de

deux espèces de pathogènes éloignées d’environ un milliard d’années d’évolution

apporte un argument fort en faveur de l’hypothèse des attaques ciblées.

Défenses gardées. Le modèle zigzag repose sur une autre hypothèse aux

consonances militaires, selon laquelle certaines protéines, appelées « R » pour

résistance, sont capables de détecter le soi modifié et de déclencher une réponse

immunitaire de forte amplitude, comme les « gardes » d’une citadelle (Dangl and

Jones 2001). Cette hypothèse s’oppose au modèle « gène pour gène », où la plante

aurait développé des récepteurs pour chaque effecteur pathogénique possible.

Selon ce second modèle, les protéines R devraient interagir directement avec les

effecteurs, alors que selon l’hypothèse des défenses gardées, ces interactions

devraient être indirectes. Dans PPIN-1, les interactions entre effecteurs et protéines

R (ici fragments de NB-LRRs) se sont avérées majoritairement indirectes, donc en

accord avec l’hypothèse des défenses gardées.

Course aux armes. Le système immunitaire est probablement en

co-évolution permanente avec les mécanismes de virulence des pathogènes qui tentent

de déjouer les défenses de l’hôte. Chez les plantes, cette hypothèse est soutenue

à l’échelle moléculaire par le fait que les gènes R (NB-LRRs) évoluent à un taux

plus rapide (Caldwell and Michelmore 2009) que le reste des gènes d’Arabidopsis.

En collaboration avec Jonathan Moore (Université de Warwick), j’ai montré qu’il en

va de même pour les 673 proies que nous avons découvertes avec PPIN-1, ce qui

appuie l’hypothèse de la course aux armes.

Ciblage des hubs. Comme prédit par la science des réseaux, les cibles

des effecteurs de phyto-pathogènes dans PPIN-1 sont en général des hubs dans

des 18 protéines ciblées par Hpa et Psy, dont les 16 présentes dans AI-1 sont des

hubs ayant plus de 10 interacteurs. Neuf de ces mutants sont significativement plus

susceptibles à l’infection que la plante sauvage, et sept sont plus résistants. Sept

mutants choisis au hasard ont aussi été testés, mais n’ont presenté aucun phénotype

immunitaire. Le ciblage des hubs par les pathogènes n’est donc pas un artefact du

Y2H.

Comme je viens de le montrer, la construction et l’analyse de PPIN-1 nous

ont permis de tester rigoureusement plusieurs hypothèses clés liées à l’organisation

du système immunitaire végétal. Deux observations supplémentaires, sans relation

avec les hypothèses mentionnées ci-dessus, ouvrent peut-être la voie vers de

nouveaux axes de recherche dans ce domaine. Premièrement, les protéines de

PPIN-1 qui ne sont pas les cibles des effecteurs de pathogènes sont elles aussi

fortement connectées dans notre réseau systématique AI-1. Cette observation, qui

ne prend pas en compte les interactions biaisées de PPIN-1, peut suggérer que

les cibles font partie intégrante d’une machinerie de défense qui serait elle-même

fortement connectée, ou bien que la machinerie de défense est entremêlée avec

d’autres processus cellulaires centraux. Deuxièmement, l’expression des protéines

qui interagissent avec des récepteurs est étonnamment stable dans des contextes

de défense, tandis que les récepteurs eux-mêmes sont fortement régulés. Ceci

pourrait signifier que l’amplitude de la réponse immunitaire dépend principalement

de l’abondance des récepteurs, ou que les récepteurs peuvent s’associer au reste

du réseau cellulaire, indépendamment du système immunitaire.

En conclusion

,

nos travaux démontrent que des effecteurs de pathogènes

séparés par un milliard d’années d’évolution convergent sur et manipulent des

machines intracellulaires extrêmement connectées entre elles et au reste de

l’interactome. Réciproquement, le systeme immunitaire d’Arabidopsis a donc

probablement évolué de manière à utiliser un nombre limité de protéines pour

défendre l’organisme contre des pathogènes différents. Ces résultats, avec ceux

présentés dans la première partie du chapitre 3, démontrent clairement que l’histoire

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