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Entre fièvre éditoriale et scandales gouvernementaux, une mauvaise publicité depuis

Qu’est-ce qui ne réussit pas à Nippon Kaigi ?

9.2 Entre fièvre éditoriale et scandales gouvernementaux, une mauvaise publicité depuis

Nous avons montré que la stratégie de Nippon Kaigi consiste à créer des mouvements subalternes, qui lui permettent de militer sur diverses questions tout en restant en retrait de l’espace public. Pendant ses quinze premières années d’existence, Nippon Kaigi est ainsi parvenue à se maintenir à l’écart des attaques médiatiques et de l’investigation aca- démique. Toutefois, le retour d’Abe au poste de Premier ministre en 2012 et ses positions nationalistes décomplexées ont amené la curiosité de quelques observateurs à se focali-

japonaise contemporaine : si afficher une adhésion aux thèses et objectifs de Nippon Kaigi ne pose aucun problème, que ce soit par opportunisme ou non cela signifie bien que l’idéologie de Nippon Kaigi fait de plus en plus partie du politiquement acceptable.

6. Shibuichi, 2017. 7. Sugano, 2016. 8. Aoki, 2016. 9. Aoki, 2016, p. 237.

ser plus précisément sur Nippon Kaigi10. L’organisation et son réseau sont alors devenus

le centre d’une soudaine popularité éditoriale : neuf ouvrages furent publiés en 201611par

des journalistes et des chercheurs issus de champs variés, tels que les études religieuses ou féministes, et deux autres suivirent depuis12. Au Japon comme à l’étranger, le traite-

ment médiatique de l’organisation s’est transformé, passant d’un silence presque total à une mise en lumière de Nippon Kaigi comme principal facteur d’explication aux diverses prises de position conservatrices et nationalistes d’hommes politiques japonais. Sur le de- vant de la scène médiatique, Nippon Kaigi voit son idéologie minutieusement critiquée, et ses projets érigés en menace pour la démocratie japonaise.

De plus, du fait de la forte intégration de Nippon Kaigi au sein des gouvernements Abe successifs, le Premier ministre est devenu un symbole de l’organisation de facto. Or, Abe Shinzō et ses ministres font depuis quelques années l’objet de scandales récurrents. Inada Tomomi fut obligée de démissionner de son poste de ministre de la Défense en juillet 2017, après qu’un rapport a révélé sa tentative de dissimulation de comptes-rendus d’opérations menées par les Forces de Défense au Soudan du Sud. Abe lui-même est mis en cause depuis le début de l’année 2017 dans plusieurs scandales au sujet de pratiques népotistes. Le Premier ministre aurait, selon ces allégations, permis à certains de ses proches d’ouvrir des écoles sur des terrains publics rachetés à un prix très bas13 ou en

appuyant expressément leur demande de permis. Les documents et témoignages rassem- blés dans l’investigation qui fait suite à ces scandales mentionnent directement Nippon Kaigi, et notamment son Amicale parlementaire ; certains médias la mettent dès lors en cause comme lieu de trafic d’influence. Depuis 2017, Abe enregistre une cote de popula- rité plongeante, la plus faible depuis son retour au pouvoir14, annonçant des temps diffi-

ciles pour sa politique comme pour celle de Nippon Kaigi.

Cette mauvaise publicité a été, semble-t-il, lourde de conséquences pour Nippon Kai- gi : il devient difficile pour ses membres de mener leurs activités sans être la cible des critiques qui visent l’ensemble du réseau. Thierry Guthmann nous a fait remarquer que

10. Les premiers articles centrés sur Nippon Kaigi dont nous ayons trouvé la trace datent de 2015 (Sasa- gase, Hayashi et Satō, 2015 et McNeill, 2015).

11. Sugano, 2016, Uesugi, 2016, Tawara, 2016, Narusawa, 2016, Aoki, 2016, Yamazaki, 2016, Sansai Books, 2016, Matsutake, 2016 et Murakami, Uozumi, Yokoyama et Shirai, 2016. Les six premiers furent publiés avant les élections à la Chambre des Conseillers, le 10 juillet 2016.

12. Fujiu, 2017 et Sataka, 2018

13. Voir notre article sur l’affaire Moritomo Gakuen surhttps://tinyurl.com/asialyst-moritomo. 14. D’après le sondage publié par Japan Macro Advisors, cette cote de popularité n’a plus dépassé les 48% depuis le mois de mai 2017. Source :https://www.japanmacroadvisors.com/page/category/politics/ cabinet-approval-rating/.

Section 9.2 — Entre fièvre éditoriale et scandales gouvernementaux

la liste des administrateurs de l’Amicale des parlementaires de Nippon Kaigi, auparavant dis- ponible sur le site internet de Nippon Kaigi, en avait disparu dans le courant de l’année 2016 ; son changement de présidence (Furuya Keiji古屋圭司 succédant à Hiranuma

Takeo平沼赳夫en 2017) est d’ailleurs passé inaperçu. De plus, l’Amicale semble enregis-

trer moins de membres depuis cette période. Il est raisonnable de penser que ceux qui avaient pu rejoindre ses rangs par opportunisme soient davantage hésitants au vu de la mauvaise presse qui lui est faite. Dans cette perspective, il est vraisemblable que le vivier de représentants de Nippon Kaigi au sein de la Diète ou des assemblées locales soit ame- né à se contracter, ne retenant que ceux qui adhèrent fondamentalement à l’idéologie de l’organisation.

La nouvelle réputation dont Nippon Kaigi fait les frais a également des répercussions sur sa base populaire. Peu après la publication des premiers ouvrages sur Nippon Kaigi, le mouvement religieux Seichō no Ie publiait le 9 juin 2016 un communiqué annonçant qu’il ne soutenait plus la politique anti-démocratique et révisionniste d’Abe ni l’orienta- tion idéologique de Nippon Kaigi. Un tel désavœu de la part de sa propre parente est un indicateur significatif de sa nouvelle impopularité. Auparavant, Nippon Kaigi cachait ses liens avec les nouveaux mouvements religieux car ceux-ci avaient mauvaise réputation ; aujourd’hui, il semblerait que la situation s’inverse et que ce soit l’affiliation à Nippon Kaigi qui, peu à peu, devienne une étiquette lourde à porter. Il n’est pas impossible que cela affaiblisse le soutien populaire dont Nippon Kaigi et ses subalternes ont pu jouir jus- qu’ici, et porte un coup aux liens déjà fragiles au sein de leur réseau.