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R ÔLE DES INTERACTIONS CLIMAT FEU VÉGÉTATION DANS LA RÉSILIENCE DES ÉCOSYSTÈMES FORESTIERS BORÉAU

Carole Bastianelli, Christelle Hély, Yves Bergeron, David Paré, Adam Al

5.2 R ÔLE DES INTERACTIONS CLIMAT FEU VÉGÉTATION DANS LA RÉSILIENCE DES ÉCOSYSTÈMES FORESTIERS BORÉAU

Finalement, les résultats de nos travaux permettent de dégager une synthèse éclairée et de compléter la compréhension fondamentale des interactions réciproques dans le système climat- feu-végétation en forêt boréale au cours du temps. La mise en évidence de l’importance des cycles géochimiques dans le maintien des équilibres écosystémiques permet en effet d’y ajouter une dimension mécanistique (Figure 5.1).

103 Figure 5.1 Schéma synthétique des interactions réciproques au sein du système climat-feu- végétation et de leurs impacts sur les propriétés physico-chimiques du sol et des sédiments. FRI=Intervalle de retour de feux. MO=matière organique. [Aloxa]=concentration des oxydes d’Aluminium. [BC]=concentration des cations basiques (Ca2++Mg2++Na++K+). Les flèches et lettres correspondent aux différentes interactions, détaillées au paragraphe 5.2.1.

5.2.1 ÉQUILIBRE DU SYSTÈME CLIMAT-FEU-VÉGÉTATION

Le climat, la durée des saisons et les conditions météorologiques influencent les patrons de feux, leur fréquence, leur intensité et leur sévérité (Figure 5.1, flèche A) (Johnson, 1996 ; Dale et al., 2001 ; Ali et al., 2012). En effet les facteurs climatiques ont des conséquences sur les capacités d’initiation et de propagation des feux dans la mesure où ils influencent la composition, la structure et les propriétés d’inflammabilité de la végétation. Les conditions de propagation sont par exemple plus favorables lorsque la biomasse combustible est sèche, accessible et continue (e.g. non couverte de neige), en présence de vent ; sous condition d’initiation par un événement déclencheur (e.g. la foudre) (Jonhson, 1996 ; Weber & Flannigan, 1997). En retour, les activités de feux peuvent aussi avoir des conséquences sur le

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climat via les émissions de gaz à effets de serre (GES) et la réduction de la biomasse séquestratrice que la combustion engendre (flèche A) (Kurz et al. 1995 ; Randerson et al., 2006 ; Flannigan et al., 2006). À court terme, la fumée est également promotrice de nouveaux départs de feux par la foudre, et réduit les précipitations (Lyons et al. 1998 ; Rosenfeld, 1999 ; Flannigan et al., 2006). Enfin, le rôle de la végétation dans la régulation du climat, tant en termes de flux d’eau et de carbone que de rugosité et d’albédo, est un service écosystémique bien connu (flèche B) (Costanza et al., 1997 ; Bonan, 2008).

Les conditions climatiques ont également des impacts directs sur les écosystèmes (flèche B) via la productivité ou les conditions de régénération des espèces (Churkina & Running, 1998 ; Boisvenue & Running, 2006). Et enfin, elles alimentent et régulent les flux du système hydrologique, ce qui impacte les transferts horizontaux et verticaux de matière dans le bassin versant (Hope et al., 1994). Par relation de cause à effet, les conditions climatiques ont des conséquences sur le développement, la composition géochimique et les propriétés physiques des sols (flèche C) et des sédiments (flèche D), justement observées dans les chapitres 2 et 3 de cette thèse.

Le régime des feux a un rôle crucial dans la régénération des écosystèmes et la dynamique des successions (flèche E) (Ryan, 2002 ; Archibald et al., 2018), en particulier en forêt boréale (Johnson, 1996). En retour, le type d’écosystème, l’inflammabilité, l’adaptabilité ou la résistance aux perturbations des espèces constituantes, la densité de végétation et les conditions environnementales induites (e.g. d’humidité), influencent le régime des feux et ses caractéristiques (flèche F) (Lynch et al., 2004). Des processus d’adaptation d’espèces à des régimes de feux spécifiques qu’elles entretiennent en retour ont ainsi été mis en évidence à plusieurs reprises (Archibald et al. 2018). Par exemple, dans le cas des LW, la faible densité d’arbres est propice à la pénétration de la lumière et à la circulation de l’air. Sans compétition pour la lumière, les branches basses des arbres peuvent se développer, et l’absence d’humidité en fait du matériel facilement inflammable (Scheffer et al., 2012). Ces écosystèmes sont donc en équilibre avec des cycles de feux courts. Au contraire, dans les MF, l’humidité ambiante et la densité des arbres peut constituer un obstacle à la propagation du feu, elles sont en équilibre avec des cycles de feux plus longs. Girardin et al. (2013a) ont également démontré que les interactions entre feux et végétation en forêt boréale seraient fortement modifiées si les forêts conifériennes du sud (MF) étaient remplacées par des forêts feuillues ou mixtes comme celles actuellement localisées encore plus au sud.

105 Enfin, nos travaux et d’autres études soulignent l’importance des interactions réciproques entre les propriétés physico-chimiques du sol et la structure et la composition des écosystèmes (flèches G et H) (Bastianelli et al., 2017 ; Willis et al. 1997 ; Kardol, et al., 2006 ; Van der Putten et al., 2013). Les transferts de matière du sol aux sédiments par le réseau hydrologique de surface (flèche I) et par les réseaux souterrains (flèche J) permettent un enregistrement géochimique des conditions terrestres dans les dépôts lacustres (Mourier et al., 2010). Les impacts des feux sur les écosystèmes sont aussi enregistrés dans les sédiments au moyen de dépôt de cendres, charbons et par effets indirects sur la géochimie. Pendant les épisodes de feux, les éléments les plus légers sont préférentiellement volatilisés, ce qui peut résulter en un enrichissement des dépôts sédimentaires en éléments lourds (Certini, 2005 ; Dunnette et al., 2014). L’érosion accrue pendant les épisodes sévères constitue aussi des apports supplémentaires de matériel minéral (Leys et al., 2016).

5.2.2 SYSTÈME CLIMAT-FEU-VÉGÉTATION À L’ÉCHELLE DU PAYSAGE

A plus large échelle, il existe aussi des relations et un entretien des écosystèmes au niveau des paysages. Que cela soit pour la propagation des feux ou les capacités de régénération (e.g. approvisionnement en graines), la continuité des écosystèmes et les types de peuplements voisins sont importants. Les mêmes mécanismes d’interactions entre climat, feu et végétation mis en évidence à l’échelle d’un bassin versant s’appliquent aux paysages et expliquent l’existence, dans une zone homogène, de grands domaines bioclimatiques, plutôt qu’un éparpillement de petits patchs de différents écosystèmes. La mosaïque des peuplements au sein des domaines bioclimatiques est en réalité le fruit de discontinuités topographiques, induisant des conditions environnementales localement différentes. En effet, Johnstone et al. (2010a) concluent que les changements dans le régime de feux n’affectent pas les peuplements de la même façon au sein des paysages en fonction des conditions abiotiques et de la position des sites, dont certains peuvent être relativement protégés des effets d’une augmentation de la fréquence ou de la sévérité des feux (Kane et al., 2007). Ils suggèrent que les pessières sont plus susceptibles de changer de trajectoire de successions là où elles sont plus vulnérables. Ceci s’inscrit en parfait accord avec nos observations concernant les histoires de végétation des sites autour des lacs Adele (LW au sein d’une matrice MF) et Arthur (MF au sein d’une matrice LW) en fonction de leur exposition, plus ou moins protégée des feux.

A l’échelle des paysages, comme à l’échelle de l’écosystème, un changement dans le cycle d’interactions climat-feu-végétation est donc susceptible d’entraîner une rupture d’équilibre.

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Ces considérations peuvent aider à estimer les changements de paysages dans les conditions futures.