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Évolution des profils combinatoires et orientations discursives

Migrants et réfugiés : dynamique de la nomination de l'étranger

4. Évolution des profils combinatoires et orientations discursives

Cette section vise à expliciter les facteurs linguistiques à l’origine des tendances statistiques établies dans la partie précédente. Il s’agit, d’une part, de mettre en évidence les différences sémantiques entre migrant et réfugié telles qu’elles se manifestent à travers leurs profils différentiels et, d’autre part, de relever les points essentiels concernant leur similarité distributionnelle. Les profils différentiels sont constitués par les collocatifs exclusifs à chacun des substantifs étudiés et, de ce fait, ne contribuent à aucun moment à la similarité de leurs profils combinatoires. Le tableau 1 en donne un aperçu restreint aux collocatifs les plus saillants, situés dans le premier décile des inventaires collocationnels en termes de score d’association.

Tableau 1 - Profils différentiels constitués par le premier décile des collocatifs exclusifs à migrant et à réfugié

migrant réfugié Dépendances en aval (régime) Dépendances en amont (termes recteurs) Coordin ation Dépendances en aval Dépendances en amont Coord inatio n Epithètes Compl. du nom Compl. objet Compl. circ. Sujet Compl. du nom Epithètes CDN CO CC Sujet CDN irrégulier illégal clandestin âgé Calais Calaisis situation dissuader entasser refouler secourir retour langue déferleme nt réadmissi on - politique palestinien afghan vietnamien irakien cambodgien persécuté réinstallé

guerre affluer statut protection (Haut-) Commissar iat qualité relocalisati on distinction concubin défi apatri de bénéfic iaire déplac é migra nt

Parmi les collocatifs saillants du nom réfugié, on notera d’abord la forte présence d’une série de termes (statut, qualité ; (Haut-)Commissariat ; protection ; apatride)1 qui renvoient au cadre des dispositions relevant du droit international qui imposent aux autorités un devoir d’assistance envers des personnes dont le départ de leur lieu de résidence habituelle est considéré comme étant contraint par une menace existentielle. Catégoriser une personne au moyen du terme réfugié revêt donc un enjeu juridique, administratif et politique, dont l’ampleur peut se voir régulée d’une part, par des mises en paradigme explicites avec d’autres termes dans le cadre d’une coordination (cf. les collocatifs apatride, bénéficiaire, déplacé et migrant) et, d’autre part, par des catégorisations secondaires exprimées par des expansions nominales (épithètes ou compléments du nom) caractérisant les causes du départ forcé. A travers les modifieurs du nom réfugié impliquant une relation causale (politique, persécuté ; (de) guerre) se construit un paradigme, et finalement une hiérarchie de causes potentiellement légitimes ou non-légitimes (et de réponses à apporter aux conséquences liées à ces causes).2 A côté de ces modifieurs, qui dénotent directement la cause du départ forcé, on trouve toute une série d’adjectifs ethnonymiques (palestinien, afghan, vietnamien, irakien, cambodgien) qui la dénotent indirectement en s’appuyant sur le savoir partagé concernant l’histoire troublée de ces pays. Cet environnement discursif montre que le mot réfugié se présente comme la nomination d’un statut juridique et qu’il est intégré à une argumentation orientée positivement.

Les collocatifs de migrant révèlent un profil sémantique bien différent, en ce sens que ce terme place au centre de l’intérêt la question de la (non- )conformité à des dispositions légales imposées à des personnes dont le séjour sur un territoire différent de celui de leur lieu résidentiel d’origine est considéré comme étant le résultat d’un déplacement conditionné par des considérations utilitaires (et en premier lieu économiques). C’est bien à cette dimension sémantique que se rapporte, dans le profil différentiel de migrant, de façon saillante la série des collocatifs irrégulier, illégal, clandestin et situation (qui, quant à lui, s’oppose, de ce point de vue, à statut et qualité, collocatifs exclusifs à réfugié). Ayant hérité les traits aspectuels du participe en –ant dont

1 On trouve dans les déciles inférieurs – non documentés ici – d’autres collocatifs

comme statutaire ou conventionnel qui rentrent dans cette même série.

2 On peut observer que cette sous-catégorisation va souvent de pair avec une

modalisation d’appartenance catégorielle, exprimée par l’adjectif épithète véritable qui constitue avec vrai et authentique une série de collocatifs (appartenant à la catégorie de l'enclosure) exclusifs à réfugié qui sont néanmoins représentés à des rangs inférieurs de l’inventaire cooccurrentiel.

il est issu par conversion, le nom migrant présente le séjour momentané de la personne qualifiée en tant que telle à un endroit donné comme étant l’épisode d’une série inaccomplie de déplacements3 – séjour et déplacements qui, à travers des collocatifs tels dissuader, refouler et retour, se voient caractérisés comme relevant aussi bien de la volonté des personnes en mouvement, que de la bienveillance ou du refus des autorités qui en ont le contrôle potentiel. Faut-il voir en cela la motivation inférentielle de l’évaluation négative que véhicule un terme comme déferlement contrairement à ses variantes axiologiquement plus neutres afflux, flux ou encore arrivée, qui, eux, font tous partie des collocatifs partagés des noms migrant et réfugié ? Pour mieux cerner les collocatifs partagés qui contribuent le plus à l’évolution de la similarité distributionnelle des deux noms en question, nous avons mis en œuvre la méthode de classification proposée par Trevisani & Tuzzi (2016), en l’appliquant aux séries chronologiques des produits de scores d’association normés propres à chaque collocatif, qui entrent dans la composition des sommes donnant les produits scalaires lesquels représentent les indices de similarité retenus.

Figure 4

L’application de la méthode4 fait ressortir, sur l’ensemble des 72 collocatifs communs à migrant et réfugié, 6 classes de profils évolutifs, dont 5 sont

3 Contrairement à cela, réfugié, qui résulte de la nominalisation d’un participe

passé, est associé à la représentation d’un seul épisode de déplacement accompli et envisagé en termes de son origine.

4 Nous remercions Arjuna Tuzzi d’avoir mis à notre disposition le script R

constituées par un seul terme, à savoir millier, afflux, accueillir, crise et accueil (cf. figure 3). D’un point de vue sémantique, ces 5 collocatifs, qui, à différents moments de la série chronologique analysée, occupent les premiers rangs en termes de contribution aux scores de similarités respectifs, forment tout un condensé de la trame discursive impliquant les noms migrant et réfugié au cours de la période étudiée, avec :

 millier et afflux, qui renvoient à une affluence perçue comme massive ;  crise, qui caractérise ce processus comme ayant atteint un point

culminant à fort potentiel de déstabilisation ;

 ainsi que accueillir et accueil qui se rapportent à la prise en charge des conséquences immédiates du processus concerné.

Facteurs distributionnels de premier ordre, ces collocatifs placent migrant et réfugié dans un rapport paradigmatique associé à plusieurs dimensions sémantiques, qui, en vue des orientations argumentatives fortement divergentes instaurées par les deux noms (cf. supra), fait de leur choix un véritable enjeu discursif.