• Aucun résultat trouvé

Évolution des conditions trophiques de la tourbière à palses du lac à l’Eau-Claire 50

L’évolution de la tourbière à palse étudiée a débuté vers 6290 ans étal.BP. Elle se traduit par la succession de diverses phases : étang, de comblement (d’étang pour former une tourbière minérotrophe), de transition (de minérotrophe à ombrotrophe), ombrotrophe boisée, ombrotrophe (non boisée), une phase de formation de la palse et finalement une phase de thermokarst (Tableau 5).

5.1.1 Phase aquatique (6290-5790 ans étal. BP)

La déglaciation de la région du lac à l’Eau-Claire (LEC) a eu lieu entre 8000 et 7000 ans BP et aurait été suivie d’un stade de lac proglaciaire (Deshaye et Morisset, 1985). Lors de cette période, un climat plus clément fut favorable à l’établissement des tourbières dans la région du nord du Québec (p. ex. Payette, 1988 ; Lavoie et Payette, 1995 ; Lavoie et al., 1997 ; Bhiry et al., 2007). Le LEC fut sans doute plus vaste qu’actuellement et aurait inclus le site d’étude qui se situe à une centaine de mètres de la rive actuelle du lac. Le niveau du lac aurait baissé par la suite à cause du relèvement isostatique, laissant en place des petits lacs ou étangs. Ainsi, le site étudié aurait été un de ces étangs, tel qu’indiqué par la présence de sédiments argileux-silteux grisâtres identifiés à la base de la carotte de tourbe (Figure 21). Cet étang fut colonisé par des espèces de plantes aquatiques et subaquatiques, telles que Potamogeton alpinus, Ranunculus cf. aquatilis, Myriophyllum sp. et Warnstorfia

fluitans ; les premiers restes de ces taxa se sont accumulésvers 6290 ans étal. BP.

Tableau 5 : Évolution des conditions trophiques de la tourbière à palse du lac à l’Eau-Claire (LEC), Nunavik, Québec. (Nomenclature vasculaire selon Brouillet et al., 2000).

Zones macrofossiles

et dates (ans étal. BP)

Phases d'évolution Espèces indicatrices Conditions locales

MC 160-aujourd’hui Mare de thermokarst Comblée --- Milieu aquatique Rubus chamaemorus Ledum decumbens Sphagnum fuscum --- Carex canescens Carex cf. aquatilis Conditions moins humides --- Milieu subaquatique Mac 5 854-160 Formation de la palse Phase ombrotrophe moins humide Rubus chamaemorus Vaccinium vitis-idaea Rhododendron groenlandicum Sphagnum fuscum

Milieu sec et bien drainé Mac 4b 2210-854 --- Mac 4a 4350-2210 Phase ombrotrophe --- Phase ombrotrophe boisée Picea mariana Rubus chamaemorus Vaccinium oxycoccos --- Sphagnum fuscum Larix laricina Picea mariana Betula grandulosa Alnus crispa Conditions nettement moins humides --- Milieu assez bien

drainé Mac 3 5360-4350 Phase de transition minérotrophe- ombrotrophe Carex canescens Carex rostrata Carex aquatilis Chamaedaphne calyculata Vaccinium vitis-idaea Sphagnum lindbergii Diminution de l’humidité du milieu Mac 2b 5510-5360 --- Mac 2a 5790-5510 Phase de comblement (minérotrophe riche à minérotrophe pauvre) Vaccinium oxycoccos Scheuchzeria palustris Carex rostrata --- Vaccinium oxycoccos Menyanthes trifoliata Sphagnum riparium Sphagnum warnstorfii Conditions moins humides --- Conditions humides Mac 1 6290-5790

Phase aquatique (étang) Ranunculus cf. aquatilis Potamogeton alpinus Myriophyllum sp. Warnstorfia fluitans

5.1.2 Phase de comblement et minérotrophie du milieu (5790-5360 ans étal. BP)

La phase de comblement commença vers 5790 ans étal. BP. Le début de cette phase (entre 5790 et 5510 ans étal. BP) se caractérise par un taux relativement élevé d’accumulation de la tourbe (0,64 mm/an), ce qui suggère que le comblement du plan d’eau s’est effectué rapidement par l’accumulation de la matière organique. Cette intervalle fait partie de l’Hypsithermal qui est une période climatique chaude de l’Holocène durant laquelle l’évapotranspiration fut importante (Payette et Filion, 1993 ; Viau et Gajewski, 2009 ; Tremblay et al., 2014). Ceci, combiné à l’accumulation de la tourbe, engendre la baisse du niveau de la nappe phréatique et par le fait-même, la succession des espèces minérotrophes riches puis des espèces minérotrophes pauvres.

5.1.3 Phase de transition minérotrophe vers ombrotrophe (5360-4350 ans étal. BP) Cette phase a duré près de 1000 ans, pendant lesquelles 50 cm de tourbe se sont accumulées. Les macrorestes identifiés indiquent que la transition de la phase minérotrophe à la phase ombrotrophe a eu lieu vers 5000 ans étal. BP. L’ombrotrophication est un processus autogène menant à l’éloignement de la surface de tourbe au-dessus du sol minéral. Cette transition résulte de changements internes d’accumulation de la tourbe, de l’appauvrissement du milieu en nutriments et de l’acidification par les sphaignes (Payette, 2001; Filion et al., 2014). En plus de ces facteurs autogènes, Bhiry et Robert (2006) ont démontré que l’ombrotrophication d’une tourbière subarctique, située à l’est de Kuujuuarapik-Whpmagoostui, a été favorisée par la dégradation climatique survenue à l’Holocène récent, le Néoglaciaire (vers 3000-2500 ans étal. BP). Les auteurs ont mis en évidence un changement du milieu minérotrophe à ombrotrophe vers 2880 étal. BP. La combinaison de l’accumulation de la tourbe et des conditions froides du Néoglacaire aurait aussi mené à ombrotrophication d’une tourbière à palses située au sud de Kuujjuarapik- Whapmagoostui (Filion et al., 2014), alors que la transition s’effectue vers 2000 ans étal. BP. Au site du LEC, le passage de la phase minérotrophe à la phase ombrotrophe, a eu lieu vers 5000 ans étal. BP, ne coïncidant pas avec la période de refroidissement climatique. L’accumulation de la tourbe était donc le facteur principal à l’ombrotrophication de ce site.

5.1.4 Phase de tourbière ombrotrophe boisée (4350-2210 ans étal. BP)

Différentes études réalisées rapportent des conditions très humides ayant mené à une nappe phréatique élevée dans les lacs et les tourbières du nord du Québec, entre 4200 et 3000 ans étal. BP (Kuujjuarapik : Bhiry et Robert, 2006, Lizotte, 2002, Miousse et al., 2003; Lac des Pluviers/Rivière Boniface : Payette et Filion, 1993, Lavoie et Payette, 1994 ; Radisson : Tremblay et al., 2014). La tourbière à palse du LEC ne fait pas exception; la première moitié de cette phase est marquée par une nappe phréatique élevée, permettant l’installation de Larix laricina et le retour, bien qu’ils soient en faibles quantités, de taxa subaquatiques. Ensuite, entre 3500 et 2210 ans étal. BP, les conditions locales sont devenus relativement mieux drainées, tel qu’indiqué par la présence d’un nombre élevé d’espèces arborescentes et arbustives sur le site.

5.1.5 Phase de tourbière ombrotrophe (2210-850 ans étal. BP)

Entre 2210 et 850 ans étal. BP, la tourbière était dominée par des espèces végétales ombrotrophes, telles Rubus chamaemorus et Vaccinium oxycoccos. L’influence climatique du Néoglaciaire s’est traduite par le ralentissement du taux d’accumulation de la tourbe, qui est passé de 0,25 mm/an à 0,10 mm/an. Dans le cadre de son étude sur le développement d’un plateau palsique sur l’île Centrale du LEC (Figure 5), Payette (1988) déduit que le début de cette période climatique s’est caractérisé par des conditions froides et sèches (moins de neige) qui auraient causé le dépérissement progressif des épinettes. Au site de la tourbière à l’étude, cette phase de tourbière ombrotrophe se distingue de la précédente par la disparition de la majorité d’arbres et d’arbustes, ce qui concorde avec les résultats de Payette (1988). La disparition des arbres et des arbustes aurait provoqué un changement nival important. En effet, l’accumulation de neige à la surface de la tourbière a sans doute fortement diminué et la tourbière aurait été exposée aux vents en période hivernale et privée des eaux de fonte de la neige, au printemps. Marion et al. (1995), qui ont étudié un glissement de terrain sur l’île des Foreurs au LEC (Figure 5), ont suggéré que la destruction du couvert forestier, suite aux passages d’une série de feux (entre 900 et 600 ans BP), aurait engendré des modifications dans la distribution de la neige, la température des substrats et

subi l’effet significatif des feux, mais celui de la disparition du couvert forestier. Ainsi, les conséquences des changements floristiques sous l’impact climatique du Néoglacaire sont significatives, puisqu’elles engendrent une modification dans les conditions de drainage du milieu.

Contrairement à la tourbière étudiée par Payette (1988) qui est située sur l’ile Centrale du LEC, ainsi que celles près de la côte de la baie d’Hudson et de la baie de James, la phase ombrotrophe de la tourbière à l’étude, qui a débuté dès 2210 ans étal. BP, ne démontre aucune présence de sphaignes ou de mousses brunes. Notre hypothèse concernant l’absence des sphaignes dans les échantillons serait le résultat d’une diminution du couvert nival à la surface de la tourbière pendant Néoglaciaire, diminuant l’apport d’eau. En effet, dans des conditions ombrotrophes, la croissance des sphaignes est directement corrélée à la présence de l’eau provenant de la fonte de la neige au printemps et des précipitations liquides.

5.1.6 Établissement du pergélisol et formation de la palse (160 ans étal. BP)

L’assemblage macrofossile de cette zone caractérisé, entre autres, par le retour des sphaignes (Sphagnum fuscum) indiquant que les conditions locales demeurent ombrotrophes. Toutefois, l’apparition à la surface des espèces de milieu bien drainé (Rhododendron groenlandicum, Rubus chamaemorus et des lichens) suggère un soulèvement de la surface de la tourbière. Ce soulèvement pourrait être associé à la formation progressive des lentilles des glaces dans les sédiments fins et le gel de la tourbe entre 850 et 160 ans étal. BP ; l’édification de la palse aurait été achevé vers 160 ans étal. BP.

Ainsi, l’évolution de la tourbière du LEC aurait culminé en la formation d’une palse, vers 160 ans étal. BP. Selon Couillard et Payette (1985), l’ombrotrophication des tourbières au Subarctique est généralement concomitante à la progression du pergélisol dans la tourbe et, par conséquent, mène à la formation de palses. Par ailleurs, il s’avère qu’une couche d’une épaisseur minimale de sphaignes est requise puisqu’elle sert d’isolant en période

Robert, 2006). Un refroidissement climatique, tel que celui du Petit Âge glaciaire (entre 500 et 200 ans BP), a induit la progression du pergélisol dans les profondeurs de la tourbière et ultérieurement la formation des lentilles dans le sédiment fin sous-jacent et le soulèvement de la tourbe. La diminution du taux d’accumulation (0,06 mm/an entre 160 ans étal. PB et aujourd’hui) confirme un ralentissement majeur de l’accumulation de la tourbe, suite à la formation de la palse.

Documents relatifs