Évaluer l’atelier à partir des résultats de la mise à l’essai

Les résultats obtenuslors de la mise à l’essai, notamment les propos des participants à chacune des activités, montrent de quelle manière la séquence d’activités développées a favorisé l’émergence de réflexions de différents ordres chez les enseignants participants. Ces réflexions se font particulièrement visibles quand ils sont invités à prendre position face à certains enjeux ou à certaines controverses (par exemple, si les fêtes multiculturelles favorisent l’intégration des élèves issus de l’immigration), quand ils doivent répondre aux questions pour lesquelles ils ne sont pas toujours prêts à répondre (par exemple, identifier le récit historique sous-jacent à un objectif d’apprentissage) ou quand ils doivent répondre à des questions qui les font sortir un peu de la routine (par exemple, quelle est l’utilité de ce contenu dans la vie des élèves?).

Le caractère collectif de l’atelier et le partage des idées qui s’est produit a favorisé aussi la construction de ces réflexions, puisqu’il n’y avait pas toujours de consensus par rapport à certains sujets.On peut penser par exemple au rôle de l’enseignant comme médiateur des sources historiques, sujet sur lequel les enseignants avaient des positionnements divergents. Dans ce même cas, c’est le dialogue entre certains participants qui a aidé à nuancer ou à modifier leurs propres conceptions : rappelons- nous du cas de Roberto qui, au début, soulignait l’importance de l’accès direct des

enfants à la source, mais qui, après les interventions de Julia et de Rodrigo,a nuancé sa position en admettant le rôle de l’enseignant (p. 98).

Certaines idées qui entrent dans ce que nous avons nommé la « zone de réflexion sur la pédagogie » montrent notamment les difficultés et les résistances auxquelles font face les enseignants lorsque vient le temps de mettre en œuvre des pratiques novatrices de travail curriculaire ou de porter un autre regard sur le programme. Le récit de Magdalena (p. 98) sur les attitudes de ses collègues illustre de quelle manière les motivations et l’étape de la carrière professionnelle influencent le rapport au programme et l’intérêt à proposer des innovations. De la même manière, la discussion sur l’autonomie nécessaire pour développer des propositions alternatives au programme prescrit est aussi révélatrice des problèmes du système éducatif chilien, basé sur l’exigence de redditions de comptes et sur la standardisation (Falabella, 2014). À cet effet, le propos de Miguel (p. 99) montre de quelle manière l’exigence de résultats aux tests standardisés limite l’autonomie des enseignants pour proposer d’autres lectures du programme, effets pervers qui ont été reconnus par des études qui se penchent sur les conséquences de l’implantation des logiques d’accountability en éducation (Falabella, 2014).

À propos dela « zone de réflexion sur la discipline », les questions proposées dans les outils ont favorisé, chezles enseignants participants, la remise en question du récit qu’ils qualifientd’officiel ou d’institutionnel, qui exclut les femmes, les autochtones et les classes défavorisées et qui est centré sur l'institutionnalité politique. Par exemple, Magdalena parle de l’exclusion des classes populaires pendant la naissance de la République, et Miguel souligne l’absence de la perspective des groupes autochtones sur l’occupation de leur territoire au XIXe _{siècle. Les conséquences sur la} pertinence de ces apprentissages pour les élèves sont évidentes pour les participants.En effet, tant que l’histoire scolaire sera surtout un récit sur l’État

national dont les protagonistes sont des hommes blancs membres de l’élite, il y aura une grande distance avec la réalité des élèves, peu importe leur nationalité.

Le type de discussion mené dans le cadre de la « zone de réflexion sur la discipline »fait ressortir le besoin de remettre au centre du travail de l’enseignant les enjeux relatifs aux contenus à enseigner, sur quoi enseigner et non seulement la préoccupation entourant la façon derendre l’apprentissageplus efficace. À cet égard, nous croyons que l’importance des idées contenues dans la zone de réflexion disciplinaire réside dans son potentiel de professionnalisation des enseignants, puisqu’elle permet de réduire la distance entre la discipline savante et la discipline scolaire. Par l’inclusion de concepts issus des perspectives féministes, indigénistes et antiracistes utilisés en sciences sociales, le récit hégémonique peut être abordé autrement, ouvrant ainsi la porte à la construction d’une histoire scolaire plus dynamique et conforme aux connaissances qui circulent en dehors de l’espace scolaire.Toutefois, nous comprenons la difficulté de parcourir ce chemin car, d’une part, il s’agit d’une discussion éminemment politique, ce qui n’est pas toujours bien vu au sein des équipes-écoles et, d’autre part, cela exige la formation continue des enseignants, c'est-à-dire, l’étude et la formation disciplinaire permanente dans un contexte de surcharge de travail.

Finalement, l'émergence de la « zone de réflexion sur la diversité ethnoculturelle à l’école », qui n’avait pas été envisagée dans les objectifs spécifiques initiaux de la recherche,nous renseignesur le potentiel des outils développés, en particulier ceux qui sont relatifs à l’activité d’explicitation des croyances. Les résultats montrent en effet un groupe d’enseignants dont les idées sur l’interculturalisme et sur l’intégration des élèves issus de l’immigration viennent nuancer les résultats des recherches chiliennes sur le sujet(Stefoniet al.,2016; Poblete, 2018), notamment à l’égard des fêtes multiculturelles. Adoptant une perspective éminemment critique à l’égard de ces événements, les participants plaident pour une révision de ce type d’activité pour

avancer vers des pratiques d’intégration bidirectionnelles et sensibles aux identités et aux préférences des élèves. Il y a lieu de croire que cette perspective critique pourrait également être partagée par d’autres enseignants.