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CHAPITRE 1 : DU BRUIT A LA GENE EN SITUATION DE MULTI-EXPOSITION SONORE

3. Le concept de gêne sonore

3.3. Comment évaluer la gêne ?

3.2.2.1. Gêne due au bruit de la circulation routière

Fields [Fie93] a réalisé une méta-analyse d’enquêtes in situ (la plupart traitent de bruit de la circulation routière, mais il n’est pas possible d’en avoir le détail), et a ainsi tenté d’évaluer si l’effet des facteurs non-acoustiques précédemment résumés (cf. Tableau 1.4) sont importants ou pas23. Il a montré que les facteurs liés à l’attitude par rapport à la source de bruit tels que la crainte d’un danger par rapport à une infrastructure proche du logement ainsi que la sensibilité au bruit sont deux facteurs importants. Langdon ([Lan76a, Lan76c]) avait pour sa part constaté que la sensibilité au bruit permettait d’expliquer une plus grande proportion de la variance constatée dans les réponses au bruit de la circulation

routière que ne le permettaient les mesures physiques (LAeq,T, etc.). La méta-analyse de Job

[Job88] révèle qu’en moyenne sur les enquêtes in situ, la sensibilité au bruit permet d’expliquer 17% de la variance constatée dans les réponses de gêne due au bruit routier.

Fields [Fie93] montre également que les facteurs socio-démographiques (âge, CSP, genre, etc.) n’ont pas d’effet important sur la gêne ressentie. Plus récemment, Van Gerven et al. [GVBJ+09] ont montré au travers d’une nouvelle méta-analyse que l’âge a bien un effet sur la gêne ressentie, mais que cet effet n’est pas linéaire. En effet, la gêne ressentie atteint son maximum entre 40 et 50 ans.

Enfin Fields [Fie93] a également montré que parmi les facteurs situationnels, seule l’isolation du domicile a un effet important sur la gêne ressentie.

Il est important de souligner que les auteurs cités ont souvent pointé des relations complexes entre facteurs non-acoustiques (par exemple relation entre la sensibilité et l’âge, eux-mêmes liés à la gêne ressentie, etc.). Ces résultats montrent bien la complexité de l’étude de la gêne sonore.

3.2.2.2. Gêne due au bruit industriel

Comme nous l’avons signalé précédemment, les bruits industriels ont été peu étudiés comparativement aux bruits des transports. Cette section sera par conséquent moins détaillée que la précédente concernant le bruit de la circulation routière.

Miedema et Vos [MV04] ont établi à travers une enquête in situ portant sur des bruits industriels que comme pour la gêne due au bruit de la circulation routière, l’âge a une influence non linéaire (la gêne est maximale entre 40 et 50 ans). Ces auteurs ont également retrouvé l’influence de la sensibilité au bruit. De même, le fait d’avoir une vue sur l’industrie depuis son logement contribue à augmenter la gêne ressentie. Enfin, la crainte par rapport à l’installation industrielle responsable de l’émission du bruit a un effet important [MV04].

3.3. Comment évaluer la gêne ?

Nous avons défini le concept de gêne sonore, en section 3.1, puis nous avons rapporté un ensemble de facteurs qui peuvent l’influencer en section 3.2. Nous allons maintenant dresser un résumé des différentes méthodes permettant de récolter des réponses de gêne autant in situ qu’en laboratoire.

3.3.1. In situ

3.3.1.1. Evaluation indirecte

Selon Fidell [Fid03], la comptabilisation des plaintes interprétées comme une attitude résultant de l’exposition au bruit était anciennement utilisée pour mesurer les effets néfastes du bruit.

23

Fields utilise un ensemble de critères objectifs pour quantifier l’importance des facteurs. Se reporter à [Fie93].

35 Cette méthode a été progressivement remplacée par une évaluation directe de la gêne (cf. section 3.3.1.2) ; un exemple d’étude analysant les plaintes recueillies a été mené par Häberle et al. concernant le bruit industriel [HDS84].

Un reproche que l’on peut faire à cette évaluation indirecte est que l’analyse des plaintes sous-estime la gêne ressentie, dans la mesure, où l’on ne va pas porter plainte à un

commissariat ou toute autre institution, dès que l’on ressent la moindre gêne (cf. [Moc89]24).

3.3.1.2. Evaluation directe

L’évaluation directe de la gêne in situ se fait généralement par passation d’un questionnaire. La passation du questionnaire peut être soit réalisée au domicile des riverains enquêtés, soit par téléphone, soit par courrier (postal ou électronique).

Les questionnaires comportent un ensemble de questions et nous ne détaillerons ici

que les questions qui concernent la gêne25. Un des problèmes soulevés par les chercheurs

qui ont effectué des méta-analyses de données d’enquête in situ (par exemple Schultz [Sch78], Job [Job88] ou encore Fields [Fie93]) est la comparaison de données récoltées issues de différentes enquêtes, notamment parce que la question posée ou l’échelle de réponse étaient différentes.

Dans le but de pouvoir comparer les résultats d’enquêtes, des experts internationaux se sont réunis et ont proposé des formulations de questions relatives à la gêne sonore, traduites dans plusieurs langues, qui ont par la suite fait l’objet d’une norme (cf. Fields et al. [FJGF+01], et norme ISO 15666 [ISO03]).

Deux modes de récolte des réponses sont proposés, dont voici la traduction en français [ISO03] :

(1) Au moyen d’une échelle d’évaluation verbale

« Si vous pensez aux derniers (12 mois environ), quand vous êtes ici, chez vous, le bruit (de la source) vous gêne-t-il ?

Pas du tout ; Légèrement ; Moyennement ; Beaucoup ; Extrêmement. »

(2) Au moyen d’une échelle numérique avec introduction

« Voici une échelle d’opinion graduée de 0 à 10. Vous devez noter sur cette échelle la façon dont le bruit de (la source) vous gêne, lorsque vous êtes ici, chez vous. Notez 0 si le bruit ne vous gêne pas du tout et notez 10 si le bruit vous gêne extrêmement. Si vous êtes entre ces deux situations, choisissez une note intermédiaire entre 0 et 10.

Question :

Si vous pensez aux derniers (12 mois environ), quelle note comprise entre 0 et 10 exprime le mieux la façon dont le bruit de (la source) vous gêne ? »

La gêne récoltée par ce biais est une gêne à long-terme, qui est à même de prendre en compte à la fois les facteurs acoustiques et les facteurs non-acoustiques liés au contexte personnel et à l’environnement des enquêtés.

24

[Moch89], MOCH A. Les stress de l’environnement. Culture et société. Saint Denis : Presses Universitaires de Vincennes, 1989. Citée dans [Ala09] p. 7.

25

Pour la méthodologie de l’établissement d’un questionnaire et pour la formulation des différentes questions, le lecteur peut se référer au rapport de Champelovier et al. [CCL03].

36

3.3.2. En laboratoire

Avant de détailler les différentes méthodes de collecte de réponses de gêne à court-terme en laboratoire, nous allons parler des différents contextes possibles pour une étude en laboratoire.

3.3.2.1. Contextes d’une étude de gêne sonore en laboratoire

Pour étudier la gêne à court-terme en laboratoire, nous l’avons évoqué en section 3.1.2, l’expérimentateur peut proposer au sujet une mise en situation complètement imaginaire, et place le sujet dans l’écoute. Le plus souvent ce genre d’expérimentation a lieu dans une salle calme dédiée au test d’écoute en laboratoire d’un aspect visuel très éloigné de ce qu’un sujet pourrait rencontrer à son domicile. Les stimuli sonores sont relativement courts, de l’ordre de la dizaine de secondes (par exemple [Nil07, AMVM+10, KLHL10], etc.). Les stimuli sonores peuvent être soit reproduits au moyen d’enceintes ou par un casque audio (nous discuterons plus en détail le choix de la technique de reproduction au Chapitre 2 ). Dans la littérature on retrouve une diversité de mises en situation différentes. Par exemple Berglund et al. [BBL75] proposent aux sujets de s’imaginer chez eux après une dure journée de travail, assis dans un fauteuil confortable en essayant de lire le journal26. Nilsson [Nil07] propose quant à lui aux sujets de s’imaginer dans un jardin en train de se

relaxer.27 Enfin, plus récemment, Kim et al. [KLHL10] ont encouragé les sujets à s’imaginer

en train de lire un livre, en regardant la TV ou toute autre activité similaire. La gêne à court-terme évaluée en laboratoire, où le sujet est placé dans l’écoute et mis dans le contexte d’une situation imaginaire, est corrélée aux jugements d’intensité (par exemple [BBL75, Gus97]). De plus dans la mesure où l’évaluation de la gêne à court-terme est instantanée après l’écoute du bruit, on peut la rapprocher du désagrément sonore (ce que tend à confirmer l’étude de Guski et al. [GFS99], en examinant les réponses des experts étudiant la gêne sonore en laboratoire). Néanmoins la mise en situation permettant dans une certaine mesure d’activer des représentations en mémoire de situations vécues, le jugement de gêne à court-terme, même s’il se rapproche d’un jugement de désagrément est plus large que ce dernier.

Des chercheurs utilisent également une mise en situation partiellement imaginaire : mise en contexte en environnement simulé. La salle d’écoute du laboratoire est équipée comme un salon typique, pour faciliter la projection des sujets dans la situation imaginaire proposée. Rice [Ric77] a été le premier à proposer un tel environnement simulé, dont l’idée a été reprise par d’autres par la suite (par exemple [Pow79a, Pow79b, Fli82, KMM99a, KMM99b, OYT08], etc.). Généralement, les enceintes ne sont alors plus visibles par les sujets, et ceux-ci peuvent effectuer différentes activités (par exemple, jouer aux cartes, lire un journal, etc.). Dans ce type d’environnements simulés, les sujets sont pris par petits groupes, et peuvent également avoir des conversations entre eux. Généralement les stimuli ont des durées plus longues, de l’ordre de la dizaine de minutes. L’avantage de ce type d’étude est que l’on peut évaluer par exemple des facteurs non-acoustiques tels que la perturbation des activités (par exemple [KMM99a, KMM99b]).

Enfin récemment, De Coensel et al. [CBBN+07] ont monté une expérience en

environnement simulé, en investissant une villa de vacances située dans un

environnement calme. La reproduction des stimuli est assurée par des enceintes placées à l’extérieur de la villa et prend en compte le filtrage par les murs et fenêtres de la villa. Cette expérience est très proche de celles citées précédemment, mais De Coensel et al.

26

“After a hard day’s work, you have just been comfortably seated in your chair and intend to read your news-paper.”

27

37 [CBBN+07] parlent d’une expérience de terrain, et non plus de laboratoire. Cette expérience était originale à la fois par sa méthode de présentation des stimuli, mais également par l’échantillonnage rigoureux de ses sujets, qui a permis de mettre en évidence l’effet de facteurs non-acoustiques sur la gêne ressentie ([CBML+05, CBBN+07]).

3.3.2.2. Présentation des stimuli et collecte des données

L’étude de la gêne en laboratoire permet de se focaliser sur les effets d’un nombre réduit de paramètres contrôlés sur les jugements de gêne émis par les sujets.

La plupart des procédures d’évaluation de la gêne en laboratoire sont empruntées à la psychophysique28, et font appel à d’autres domaines, comme les statistiques, la théorie du mesurage, les sciences humaines, etc. [MPA05].

Dans cette section nous décrirons brièvement les principales méthodes employées dans la littérature pour évaluer la gêne sonore en laboratoire sans rentrer dans les détails concernant les différents domaines évoqués ci-dessus. Le lecteur pourra se référer à la synthèse de Marquis-Favre et al. [MPA05] pour obtenir plus de détails et de références bibliographiques.

Evaluer la gêne en laboratoire nécessite de définir au préalable une procédure qui comprend un mode de collecte des réponses de gêne, et un mode de présentation des stimuli aux sujets qui vont devoir en évaluer la gêne ressentie. Dans le domaine de la gêne sonore on utilise principalement 3 modes de collecte des réponses de gêne : (1) utilisation d’échelles de rapport, (2) utilisation d’échelle de catégories, et (3) utilisation d’échelles de discrimination [MPA05]. Nous allons expliciter ces modes de collecte de réponses de gêne en précisant le(s) mode(s) de présentation des stimuli usuellement associé(s).

(1) Des échelles de rapport sont produites en employant notamment la méthode d’estimation de grandeur qui consiste à donner un chiffre (réel positif) proportionnel à la gêne ressentie. Le jugement peut être réalisé avec ou sans référence. Sans référence, le jugement tient compte de l’estimation antérieure.

(2) Des échelles de catégories sont produites en utilisant des échelles verbales ou numériques. Les échelles verbales et numériques reprennent notamment les recommandations de la norme ISO 15666 [ISO03], c'est-à-dire qu’on utilise 5 catégories

verbales « pas du tout », « légèrement », « moyennement », « beaucoup »,

« extrêmement », ou des échelles numériques allant de 0 à 10 avec comme point central 5. Ces dernières échelles peuvent être continues ou discontinues [Bon86]. Fields et al. [FJGF+01] soulignent qu’étant donné la familiarité qu’ont la plupart des gens avec un système en base 10, cette échelle sera facilement comprise. Il est possible également d’associer des labels verbaux avec une échelle numérique discontinue (par exemple Kim et al. [KLHL10] pour étudier la gêne due à des bruits de transports) ou continue (Alayrac et al. [AMVM+10] pour étudier la gêne due à des bruits industriels). Les labels verbaux sont employés notamment dans le but de faciliter l’utilisation de l’échelle de réponse par les sujets.

Pour ces deux dispositifs de collecte des réponses de gêne, souvent les sujets effectuent un test d’entraînement pour se familiariser avec la tâche demandée, et deux modes de présentation des stimuli sont principalement employés.

Présentation par stimulus unique : les stimuli sont présentés un par un en

ordre aléatoire aux sujets ;

28

La psychophysique étudie les relations quantitatives démontrées entre des évènements physiques identifiés et mesurables et des réponses évoquées selon une règle expérimentale avérée [Bon86].

38 − Présentation par stimuli multiples : les stimuli sont tous présentés aux sujets dans un ordre aléatoire, avant de recueillir pour chaque stimulus le jugement donné par les sujets.

(3) Des échelles de discrimination sont produites en utilisant notamment le mode de présentation par paires, où le sujet doit comparer chacun des stimuli deux à deux. On trouve trois types de présentation des stimuli pour cette méthode [PHG05].

Présentation par choix forcé : les sujets écoutent chaque paire de bruits et

doivent choisir quel est le bruit le plus gênant par exemple ;

Présentation avec gradation du choix : les sujets écoutent chaque paire de

bruits et doivent choisir quel est le degré de différence entre les deux bruits (par exemple « A est beaucoup plus gênant que B », « A est plus gênant que B », « A et B sont également gênant », « B est plus gênant que A », « B est beaucoup plus gênant que A ») ;

Présentation avec une échelle continue : les sujets écoutent chaque paire de

bruits et doivent juger sur une échelle continue à quel point, par exemple, les gênes ressenties à l’écoute des deux bruits sont différentes.

Il existe peu d’études comparatives de ces différentes procédures. Citons principalement l’étude de Parizet et al. [PHG05], qui ont comparé 5 procédures pour juger le désagrément de divers bruits d’intérieur de voiture : (1) échelle de catégorie numérique continue avec présentation par stimulus unique, (2) échelle de catégorie numérique continue avec présentation par stimuli multiples, (3) présentation par paires avec choix forcé, (4) présentation par paires avec gradation du choix, et (5) présentation par paires avec une échelle continue. Il est ressorti que les deux premières procédures sont perçues plus rapides et légèrement moins difficiles que les autres. Elles posent en outre l’avantage de pouvoir recueillir des jugements sur un plus grand nombre de stimuli, ce qui est un avantage non-négligeable. Néanmoins les résultats affichent plus de dispersion qu’avec les autres procédures.

Citons également l’étude de Celik et al. [CPM05] qui ont comparé notamment vis-à-vis de la gêne (ainsi que l’intensité perçue et le désagrément) due à différents bruits (trafic routier, ventilation et bruits de restaurants) deux procédures qui nous intéressent, à savoir (1) échelle de catégorie numérique avec présentation par stimulus unique et (2) comparaison par paires avec choix forcé. Celik et al. [CPM05] ont montré que les résultats obtenus via ces procédures sont en accord.

Il n’y a donc pas de contre-indication à l’utilisation de l’une ou l’autre procédure. Dans la mesure où l’on a vu que la présentation par stimulus unique permettait de pouvoir juger un grand nombre de stimuli en un temps relativement réduit, et dans la mesure où cette méthode nous permet de nous rapprocher au mieux, au niveau de la question posée, des recommandations de la norme ISO 15666 [ISO03], nous privilégierons cette méthode pour étudier la gêne en laboratoire.

3.3.3. Gêne sonore in situ vs gêne sonore en laboratoire

Selon Marquis-Favre et al. [MPA05], il apparait dans la littérature un conflit entre l’évaluation de la gêne in situ et l’évaluation de la gêne en laboratoire. Cependant chaque technique d’évaluation possède ses avantages et ses inconvénients. Le Tableau 1.5 suivant en dresse une liste [Ric96].