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Évaluation subjective des effets de l’intensité sur la santé

Dans le document Temps et travail: l’intensité du travail (Page 69-72)

En utilisant le même modèle de régressions logistiques que précédemment, on a tenté de mesurer les effets de l’intensité du travail sur l’évaluation subjective que les travailleurs font du lien entre leur travail et leur état global de santé:

Le sentiment que le travail fait peser une menace sur la santé ou la sécurité40

La vision subjective, par les travailleurs eux-mêmes, du caractère soutenable de leur travail approchée par la perception de pouvoir continuer à 60 ans à exercer la même activité

40Question Q34: «Pensez-vous ou non que, à cause de votre travail, votre santé ou votre sécurité soit menacée?»

qu’aujourd’hui. On a étudié la probabilité de répondre à cette question par la négative, c’est-à-dire soit «non, je ne le pense pas», soit «non, je ne le voudrais pas» (cette dernière réponse n’étant pas suggérée par l’enquêteur, mais seulement enregistrée si elle est donnée spontanément). La question a en fait une signification différente selon l’âge de la personne interrogée. Pour cette raison, on a procédé à des analyses séparées par tranches d’âge. Les effectifs de chaque tranche d’âge étant réduits, on a procédé au test de significativité statistique des coefficients au seuil 10% (au lieu de 5%).

Le travail comme menace pour la santé

La perception d’une menace pour la santé et la sécurité est, toutes choses égales par ailleurs41, d’autant plus probable que les contraintes de rythme sont élevées. Plus précisément, les contraintes de type automatique, la dépendance au travail des collègues, la surveillance par le supérieur hiérarchique l’obligation de respecter des normes de qualité précises, la présence quasi continue des clients et les interruptions fréquentes de tâche ont un impact statistiquement significatif. Le cumul d’une contrainte de type industriel et d’une contrainte de type marchand (au sens le plus large) paraît jouer dans le même sens mais le coefficient n’est pas significativement différent de 0.

L’appréciation subjective des menaces que l’intensité du travail représente pour la santé traduit donc assez bien les liens entre cette intensité et les divers troubles recensés dans l’enquête:

l’intensité du travail est donc clairement ressentie comme une menace pour la santé.

On notera par ailleurs qu’un degré élevé d’autonomie procédurale ou temporelle incite à l’optimisme, de même qu’un haut niveau de soutien social. Le travail répétitif à cycle court incite au contraire au pessimisme de même qu’une forte charge cognitive. Les autres facteurs qui incitent au pessimisme sont un horaire supérieur ou égal à 45 heures par semaine et l’exercice d’une profession non qualifiée ou, surtout, ouvrière. Être âgé ne rend pas plus pessimiste, mais les moins de 25 ans sont, toutes choses égales par ailleurs, plus optimistes. Les plus optimistes sont les employés administratifs, puis les cadres.

Le caractère soutenable du travail

En rendant les conditions de travail plus difficiles, en créant de nombreux troubles de santé, notamment des petits troubles, pas forcément invalidants, mais pénalisants pour la poursuite de l’activité professionnelle, l’intensité du travail peut gêner la poursuite de cette activité. C’est pourquoi, dans l’appréciation des effets de l’intensité du travail, il faut «raisonner à l’échelle de la vie» (Guérin et Rochefort, 1999). L’intensification du travail pose la question du caractère

«soutenable» du travail. Une forme minimale de justice sociale est que le travail ne compromette pas le maintien des compétences, de «l’employabilité» et de l’insertion sociale. Un manque de

«soutenabilité» du travail poserait aussi un problème d’efficacité économique collective en raison du vieillissement démographique de la main d’œuvre européenne. Enfin le travail non soutenable représente un transfert inéquitable au bénéfice des entreprises qui offrent de mauvaises conditions de travail et au détriment de celles qui offrent de bonnes conditions de travail, des salariés eux-mêmes et des organismes de protection sociale.

Intensité du travail et troubles de santé

41À durée du travail, degré d’autonomie procédurale ou temporelle, charge cognitive, degré de soutien social, sexe, âge, profession, activité économique et État membre de résidence égaux.

La perception par les salariés eux-mêmes de ne pouvoir continuer à exercer à soixante ans la même activité qu’aujourd’hui ne constitue naturellement qu’une opinion et on n’a, pour le moment, aucune idée de la validité du pronostic formulé par les salariés. Néanmoins cette opinion traduit clairement une inquiétude qui est par elle-même pénible. On a pu montrer d’autre part, grâce à l’enquête française Travail et modes de viede l’INSEE que le sentiment de n’avoir pas d’avenir est associé à l’expression de formes aiguës de souffrance au travail (Baudelot et Gollac, 1999).

Les résultats par tranche d’âge (Tableau 13) indiquent clairement que l’intensité du travail accroît, à tous les âges, le sentiment qu’on ne pourra pas «tenir» dans son travail jusqu’à 60 ans.

Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, l’effet propre de l’intensité du travail n’est pas plus grand chez les plus âgés. Toutefois les formes d’intensité les plus pénalisantes ne sont pas les mêmes à tous les âges. La nécessité de s’interrompre fréquemment dans sa tâche, les contrôles hiérarchiques et l’obligation de respecter des normes quantitatives sont vécues à tout âge comme des situations de travail qu’on aura du mal à supporter durant toute sa carrière. Les travailleurs vieillissants supportent particulièrement mal les contraintes de type automatique, et peut-être aussi une autre contrainte «en temps réel», celle due à la présence continue des clients. Au contraire, la dépendance au travail des collègues apparaît de plus en plus supportable au fur et à mesure qu’on progresse en âge. Peut-être est-ce dû au fait que dans les collectifs de travail, une répartition courante du travail est de faire retomber sur les plus jeunes la charge des tâches les plus pénibles et des aléas.

Tableau 13 Effet de l’intensité du travail sur le sentiment qu’on ne pourra pas faire à 60 ans le même travail qu’actuellement. Résultat d’une régression logistique

15 à 24 ans + 0,08 + 0,24 + 0,35 + 0,14 + 0,03 +0,27 - 0,20 +0,07 + 0,13 - 0,39 (0,13) (0,14) (0,10) (0,11) (0,12) (0,17) (0,14) (0,16) (0,10) (0,17) 25 à 34 ans + 0,02 + 0,19 + 0,31 + 0,33 + 0,16 + 0,01 + 0,09 + 0,01 + 0,20 -0,06

(0,09) (0,09) (0,07) (0,07) (0,08) (0,11) (0,09) (0,10) (0,07) (0,11) 35 à 44 ans + 0,23 + 0,05 + 0,16 + 0,06 + 0,11 + 0,18 - 0,26 - 0,35 +0,09 + 0,03

(0,10) (0,09) (0,07) (0,07) (0,09) (0,11) (0,09) (0,11) (0,07) (0,11) 45 à 54 ans + 0,27 + 0,31 - 0,06 + 0,17 - 0,08 - 0,05 +0,15 - 0,01 + 0,17 - 0,21

(0,11) (0,10) (0,08) (0,08) (0,09) (0,09) (0,10) (0,11) (0,08) (0,13)

Lire ainsi: le coefficient de +0,08 indique que les salariés de 15 à 24 ans soumis à des contraintes automatiques ont une probabilité plus importante que ceux qui n’y sont pas soumis de déclarer ne pas pouvoir faire le même travail qu’actuellement à 60 ans.

Les effets significatifs au seuil de 10% sont en gras. Les écarts types figurent entre parenthèses.

Contrainte automatique Normes quantitatives sans contrainte automatique Dépendance aux collègues Contrôle par le chef Normes de qualité Demandes des clients Clients présents au moins 3/4du temps Clients présents 1/4ou 1/2du temps Interruptions pluriquotidiennes de tâche Contrainte industrielle + marchande au sens large

Dans le document Temps et travail: l’intensité du travail (Page 69-72)