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5.1 Trois approches concernant le défini

5.1.3 Études du défini en linguistique

Un des apports des linguistes par rapport aux philosophes du langage est l’introduction d’une distinction entre le posé et le présupposé : nous l’avons déjà présentée dans (4.2.3). Bien que cette opposition s’applique aux énoncés en géné- ral22, elle peut être très utile dans le cas des expressions définies. On peut ainsi ad- mettre qu’un énoncé comme (1) mentionné dans (5.1.1) contient deux affirmations, une posée et une présupposée :

Présupposé de (1) : il existe un individu qui est roi de France Posé de (1) : cet individu est chauve

Dans cette optique, le défini pourrait s’expliquer par le fait que l’existence d’un in- dividu qui est roi de France fait partie du présupposé de l’énoncé.

En nous inspirant de St-Germain (1995 : 48), nous pouvons définir deux oppositions semblables : Donné/Nouveau et Connu/Inconnu.

Donné par rapport à un énoncé T : ce qui fait partie explicitement du contexte de T.

22 L’opposition posé ~ présupposé peut s’appliquer même aux définitions lexicographiques. Cf.

Nouveau par rapport à un énoncé T : ce qui ne fait pas partie explicitement du contexte de T.

Connu par l’auditeur A : ce qui fait partie des connaissances de A.

Inconnu pour l’auditeur A : ce qui ne fait pas partie des connaissances de A.

Dans un tel cadre, il ne serait pas nécessaire que le défini fasse partie du donné : il pourrait aussi faire partie du nouveau pour peu qu’il soit du domaine de connu.

Chafe (1976) donne un assez bon aperçu de la question de la définitude. L’auteur considère que les objets particuliers sont, le plus souvent, exprimés à travers une catégorisation. Or, il existe un très grand nombre d’objets qui peuvent entrer dans la même catégorie. Lorsqu’un locuteur utilise une expression définie, il croit que son auditeur peut trouver, identifier parmi tous les référents qui pourraient être catégori- sés de la même façon, celui qu’il a en tête. Il ajoute même qu’il conviendrait mieux de parler d’identifiabilité plutôt que de définitude.

Chafe mentionne cinq considérations qui permettent au locuteur de croire que son auditeur est capable de trouver le référent de ce dont il parle.

1) Il existe soit un référent unique, soit un seul référent saillant, comme c’est le cas de la terre, de la lune, du ciel, etc.

2) Même s’il n’existe pas un seul référent saillant à l’intérieur d’une catégorie comme telle, il existe un référent saillant à l’intérieur d’un contexte précis. Dans

une salle de classe, on peut dire le tableau ; le référent en sera facilement identifia- ble. Un membre d’une famille précise peut dire à un autre membre As-tu promené le chien ? et on comprendra qu’il s’agit du chien de la famille.

3) Le référent d’une expression peut être établi à travers une mention antérieure dans le discours. On peut introduire un nouveau référent en disant J’ai reçu une lettre ce matin et ensuite dire tout simplement la lettre en considérant que dans ce contexte l’auditeur sera capable de l’identifier.

4) Le locuteur peut utiliser des spécificateurs afin de créer une catégorie ad hoc à un seul élément – même si le nom sans spécificateur ne permet pas de créer une telle catégorie. Par exemple, même si le référent de la description définie dans J’ai ren- contré le mécanicien n’est pas identifiable, il peut l’être dans J’ai rencontré le mé- canicien qui a réparé notre voiture la semaine passée.

5) Il existe des cas où une entité entraîne (entail) une autre. Après avoir dit Nous avons visité une nouvelle maison hier, le locuteur peut continuer par La cuisine était très grande puisque l’on peut s’attendre à ce qu’il y ait une cuisine dans une maison. Après avoir dit J’ai vendu mon vélo hier, on peut continuer par Je me demande ce que je vais faire avec l’argent.

Mel’čuk (1993, vol.II : 117ssq) présente le défini à partir de la catégorie de détermi- nation qu’il définit ainsi : c’est une catégorie dont les éléments spécifient le référent de l’expression nominale en question ou la façon dont ce référent peut être identifié. Elle comprend, le plus souvent, le défini et l’indéfini – bien qu’il puisse y exister des déterminations plus complexes.

Le défini et l’indéfini peuvent tous les deux avoir une fonction individualisante et une fonction générique. La fonction individualisante du défini et celle de l’indéfini sont fondamentalement différentes l’une de l’autre : celle du défini signale un objet qui est déjà identifié dans l’esprit des locuteurs alors que celle de l’indéfini signale un objet qui n’est pas encore identifié. Par contre, la fonction générique rapproche le défini et l’indéfini, qui peuvent même être mutuellement substituables dans certains contextes, sans affecter le sens de l’énoncé : Un/L’étudiant ordinaire n’aime pas se fatiguer.

Mel’čuk (2001) examine le problème du défini à travers l’opposition entre donné et nouveau23. Cette opposition est une des huit oppositions qui font partie de la Struc- ture Sémantico-Communicative de la phrase. La Structure Sémantico- Communicative est une des quatre composantes de la Représentation Sémantique d’un énoncé qui décrit le sens propositionnel de cet énoncé.

Un segment de l’énoncé est considéré comme donné lorsque le locuteur l’expose comme étant déjà présent dans le conscient de son interlocuteur ou au moins comme étant facilement accessible à son conscient. Dans les langues qui ont une opposition entre le défini et l’indéfini, grosso modo, le donné correspond en général (mais pas

23 La catégorie de Donné contient trois valeurs : donné, nouveau et non-applicable. Nous laissons de

toujours) au défini et le nouveau à l’indéfini. Par exemple, dans (3) livre et table sont considérés comme donnés, alors que dans (4), seulement table est donné alors que livre est nouveau.

(3) Le livre est sur la table. (4) Il y a un livre sur la table.

Contrairement à l’opposition thème-rhème qui est orientée vers l’énonciateur, l’opposition donné-nouveau est orienté vers l’auditeur. L’énonciateur choisit entre le donné ou le nouveau en fonction de ce qu’il croit être ou bien déjà présent dans le conscient de son auditeur ou bien facilement accessible à son conscient. Cela signi- fie que l’on a besoin d’un modèle qui décrit le conscient humain pour rendre compte clairement de l’opposition donné-nouveau. Étant donné qu’il n’existe pas encore un tel modèle tout ce que l’on peut dire concernant cette opposition reste provisoire et quelque peu intuitif.

L’énonciateur choisit d’attribuer le trait défini à une expression E en fonction de la prévisibilité de E par son auditeur A. La prévisibilité de l’expression E pour l’auditeur A signifie que A est capable, d’une part, de prévoir l’apparition de E dans le discours, d’autre par, d’identifier le référent de E sans ambiguïté. On peut distin- guer deux types de prévisibilité : prévisibilité à partir du contexte linguistique et prévisibilité à partir du contexte extralinguistique.

L’expression E est prévisible à partir du contexte linguistique si le locuteur peut considérer que, à partir de ce qui précède E dans le discours, l’auditeur peut prévoir l’apparition de E et peut trouver son référent. Cette prévisibilité peut être basée aussi bien sur les connaissances linguistiques que sur les connaissances extralinguistiques. Lorsqu’elle est basée sur les connaissances linguistiques, elle peut être directe, c’est- à-dire qu’elle peut consister à répéter le même nominal (J’ai vu un livre hier… Le livre était très intéressant.) ou bien elle peut être indirecte, c’est-à-dire qu’elle peut faire appel à des relations lexicales. On peut illustrer ce dernier cas par l’exemple suivant :

(5) Un peloton américain a été attaqué ce matin à l’Est de Bagdad. Les soldats ont dû ouvrir le feu sur les assaillants.

Même si les soldats et les assaillants n’étaient pas littéralement mentionnés dans le discours auparavant, ils sont prévisibles à cause des relations lexicales qu’ils ont avec d’autres lexies déjà mentionnées : SOLDAT est le premier actant typique de PELOTON et ASSAILLANT est le premier actant typique de ATTAQUER.

La prévisibilité à partir du contexte linguistique peut être basée sur les connaissan- ces extralinguistiques aussi. Par exemple, dans un discours qui parle de Paris, il est prévisible de rencontrer l’occurrence de l’expression la capitale de la France : nos connaissances nous indiquent en effet que les deux ont le même référent.

Une expression E est dite prévisible à partir du contexte extralinguistique si, sans être mentionnée auparavant, l’auditeur peut prévoir son apparition et peut trouver son référent à l’aide du contexte extralinguistique. Cela peut être le cas lorsque le référent de l’expression est présent dans la situation de l’énonciation (Pose-le sur la table !) ou lorsque l’auditeur possède des connaissances extralinguistiques appro- priées :

(6) Ce midi, j’ai rencontré le doyen de la faculté.

Par défaut, il s’agit de la faculté à laquelle l’énonciateur est affilié : pour l’identifier, l’auditeur a besoin des connaissances sur l’énonciateur.

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