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Après avoir les principes de l’interrelation entre transport et urbanisme, nous prenons à présent en référence le modèle rhénan à travers le cas innovant du tram-train de Karlsruhe et celui de Bordeaux avec la création du nouveau réseau de tramway.

§ 1 – Une stratégie pionnière : le tram-train de Karlsruhe

Un réseau intégré et polyfonctionnel

Le réseau de transports en commun de l’aire métropolitaine de Karlsruhe se caractérise par son mode efficace : le tram-train. Véhicule articulé léger dérivé du tramway, il est apte à circuler indifféremment sur les plates-formes urbaines et ferroviaires de la Deutsche-Bahn (DB), supprimant ainsi les correspondances. Le principal intérêt du tram-train consiste à desservir à la fois les territoires urbains centraux et périurbains de même que les relations intercités, le tout avec un niveau technique très performant (capacités d'accélération et de freinage qui permettent des arrêts fréquents, vitesse maximale de 100 km/h). Ainsi, le tram- train représente le mode de transport le plus en adéquation à la desserte de l'armature urbaine de Karlsruhe, laquelle est organisée en chapelet de communes le long des axes ferroviaires. Depuis la mise en service de sa première ligne en 1992, le réseau de tram-train a connu une extension continue pour atteindre une longueur totale de 240 km et un rayon d’action de 50 km. La fréquentation s’est accrue de manière conséquente avec 177 millions de déplacements effectués en 2010 contre 100 millions en 2003 et à peine 50 millions à l’origine en 1990. L’exemple de Karlsruhe illustre parfaitement les enjeux actuels des transports publics avec une politique ambitieuse et pragmatique, s'adaptant à la demande en termes de dessertes et de services. Ainsi le centre-ville, entièrement dédié aux tramways et au tram- train, est interdit à la circulation automobile. Il en résulte une extrême performance des TC (fréquence, régularité et vitesse). Le niveau de l'offre repose sur un cadencement avec un passage toutes les 10 minutes en journée, heures creuses et heures de pointe confondues. Il répond ainsi à tous les besoins de déplacements (loisirs, consumérisme) et pas uniquement au navettage domicile-travail. Entre 1990 et 2003, la part des TC est passée de 10 à 35 % et le report modal de la voiture vers le tram-train a connu une progression spectaculaire (40 % des usagers sont d’anciens utilisateurs de la voiture).

Carte 31 - Réseau de transports de Karlsruhe

Source KVV - 2008

Il n'existe pas en Allemagne de plans de déplacements équivalents au PDU français mais il existe un schéma directeur des transports, le Nahverkehrsplan, qui intègre les projets à moyen et long terme.

Plusieurs caractéristiques propres au tram-train (intégration, interopérabilité) participent à l'attractivité et à la performance de ce réseau. Utilisant les mêmes voies et les mêmes stations, le tram-train fait disparaître les correspondances ou ruptures de charge responsables de déplacements longs et pénibles.

L'interopérabilité du système se définit par différentes modalités d’exploitation possibles : - la voie unique (tronçon d’une seule voie pour les deux sens de circulation nécessitant

une voie d’évitement pour les trains croiseurs) ;

Ce mode de transport repose également sur un système interconnecté avec un « effet réseau », reliant le tram-train, le tramway et le bus. Le nombre de destinations centrales rendues accessibles depuis une gare périurbaine avec une seule correspondance, s’est multiplié. La densité du maillage a favorisé un accès large et performant à l'ensemble des bassins de vie autour de Karlsruhe. La souplesse d'organisation permet d’éviter les conflits avec les services classiques du réseau ferré (passage du réseau urbain au réseau ferroviaire périurbain).

Autre élément facilitateur, l'intégration tarifaire et la simplicité de la billétique qui participent au confort du voyageur et à l'attractivité du réseau géré par le Karlsruher VerkehrsVerbundes (KVV), équivalent d’une AOT. Il est possible avec un seul titre de transport de circuler librement sur l'ensemble du réseau multimodal, moyennant une tarification fonction de plusieurs paramètres (distance, fréquence, etc.).

Un autre atout de l’offre KVV réside dans la fréquence de stations avec un temps d’arrêt très limité, condition de desserte rapide le long de l’axe ferroviaire.

La stratégie urbaine : un couplage avec la stratégie de TC

La stratégie urbaine engagée à Karlsruhe à partir des années 1990 repose sur une constante dans l'aménagement des centres urbains ou des localités périurbaines en cœur d'îlot. Des logements collectifs d’une hauteur maximale de cinq étages (R+5), dotés de parkings souterrains, sont entourés de nombreux espaces publics (aires de jeu, espaces verts). Les voies de cheminements doux (piétons et deux-roues) traversent les quartiers et opèrent des liaisons interquartiers contribuant à l’émergence de secteurs « apaisés » et « sécurisés » desservis par un TCSP de proximité (moins de 500 mètres de l’habitat, en agglomération dense).

Ces stratégies connexes (transport et urbanisme) se déclinent selon des principes dont les maîtres mots sont densification, renouvellement, mixité et aménagement fonctionnels. Ces quatre notions peuvent se combiner.

La densification correspond à une extension du tissu urbain préexistant. Dans le cas particulier des hameaux ou des bourgs, l'opération urbaine vise à éviter la dispersion de l'habitat et à assurer un haut niveau de compacité.

Le renouvellement urbain procède soit par réhabilitation, soit par reconversion des friches (démolition et reconstruction), voire par une combinaison des deux.

La mixité fonctionnelle consiste à mêler au sein d'un même quartier plusieurs activités, telles l'habitat, le commerce et les services.

Les aménagements fonctionnels contribuent à la mixité d’usage des espaces publics (parkings, jardins, aires de jeux et de loisirs).

Toutes ces notions sont associées et déclinées dans la pratique avec un haut niveau d'efficacité et un certain pragmatisme :

- Densification en périurbain lâche, mixité et aménagements fonctionnels : Forchheim est l’exemple d’un hameau périphérique de Karlsruhe dont la population s’est renouvelée. La gare désaffectée a été réhabilitée et l’habitat développé selon des normes écologiques. Des bâtiments dédiés à l'activité économique longent la ligne de chemin de fer contribuant ainsi à l’expansion du lieu.

- Densification ex nihilo, mixité et aménagements urbains fonctionnels : le quartier de Waldstadt constitue une nouvelle centralité dépourvue de toute antériorité. La desserte par TC y est assurée par un maillage serré du réseau tram-train.

- Densification en tissu périurbain dense préexistant : le quartier de Leopoldshafen offre un cas intéressant. Sa gare initialement située en périphérie se retrouve au cœur de la centralité du fait d'une opération de densification : le découpage spatial a été surmonté. - Densification, renouvellement urbain et mixité fonctionnelle : Südostadt est plutôt emblématique d'une opération de reconversion réussie. Le quartier s’est développé sur d'anciennes friches ferroviaires où les bâtiments ont été rénovés et coexistent avec de nombreux collectifs d'habitations ou de travail, de facture plus récente. Ce quartier constitue un nouveau cœur d'îlot à Karlsruhe centre ; sa desserte par un TCSP est déjà programmée. De même, à Nordstadt, le départ des effectifs de l'armée américaine a laissé tout un secteur libre, objet d'une réhabilitation et d'une densification avec desserte par le tram-train.

Les enseignements de Karlsruhe

Un certain nombre d'éléments sont transposables au cas girondin pour assurer :

- le succès commercial du tram-train (garantir le confort des rames, le cadencement, le niveau de service indifférencié en heures de pointe/heures creuses/week-end…) ;

- l'exploitation (prolonger des lignes existantes avec des capacités accrues pour la desserte des territoires périurbains les plus éloignés, tout en maintenant des temps de parcours performants) ;

- la planification pérenne des réseaux de transports collectifs sur le long terme (durée de 20 ans) ;

- une politique de stationnement en périphérie par l'aménagement ponctuel de parcs-relais situés à proximité immédiate des gares ferroviaires, condition du rabattement ;

- l’intégration des modes doux dans les projets d'aménagement (en cœur d'îlot, le long des axes de transports en commun, etc.) ;

- l’utilisation du réseau tram-train pour structurer l'urbanisation (en chapelet ou par polarisation le long des axes).

Un certain nombre d'éléments sont difficilement transposables à l’agglomération bordelaise. Le modèle vertueux de Karlsruhe est pleinement efficace dans une configuration caractérisée par des polarités urbaines suffisamment vastes et organisées en chapelet, pour laquelle les dessertes de TC sont performantes et rentables. Or les territoires périurbains girondins, souvent fragmentés et dispersés, se prêtent beaucoup moins bien à la desserte par tram-train.

§ 2 – Des corridors prioritaires de densification : le réseau du tramway bordelais

La construction du tramway bordelais a pleinement contribué à rendre l’hypercentre à nouveau attractif. Deux principes d’aménagement ont été retenus pour atteindre cet objectif.

Le premier consistait à prendre en compte la zone de recrutement des stations, plutôt large si on la compare à d’autres modes de transport. Le tramway influence l’environnement davantage que les bus. Les zones de recrutement des stations génèrent un continuum d’attraction le long de la ligne : ce sont les corridors du tramway (ils sont représentés de manière synthétique et sans échelle).

Zones de recrutement générées par une ligne de bus autour des stations :

Zones de recrutement générées par une ligne de tramway autour des stations :

L’attraction exercée par le tramway est censée susciter une adhésion des voyageurs. C’est ainsi que le développement du tramway à Bordeaux est passé d’une stricte logique de transport à une logique d’habitat (voir Carte 32 ci-après).

Le tramway de Bordeaux a retenu dans son tracé les zones fortement équipées ou densément urbanisées. La desserte a donc privilégié l’existant afin que les utilisateurs soient attirés par ce TCSP et effectuent ainsi un report modal.

Toutes ses lignes convergent vers le centre historique de Bordeaux. La densité s’intensifie dans un périmètre où se croisent les trois lignes de tramways. Cette zone s’étend des Chartrons à la Victoire et à la gare Saint-Jean via les Quinconces, et du quartier Mériadeck à la Place Stalingrad (rive droite).

Carte 32 - Corridors de densification du tramway

Source : a’urba, PLU, 2000.

A la faveur de la construction du tramway (à partir de 1995), une politique de renouvellement urbain très volontariste s’est engagée. Elle constitue le second principe organisateur du développement de Bordeaux.

L’objectif était de faire bénéficier ces corridors de gains de population. Ce phénomène s’est concrétisé par l’intérêt retrouvé pour le centre-ville. L’urbanisation des quartiers, le long des lignes du tramway, a de même été fortement dynamisée : programme d’amélioration de l’habitat ; constructions neuves ; aménagement d’espaces publics ; création d’équipements… Sans s’appuyer sur des contrats d’axes, cette politique a permis de créer de véritables corridors de densification le long des lignes de tramway, en redynamisant un centre historique qui se vidait peu à peu de sa population et de ses activités depuis plusieurs décennies.