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Introduction

Dans ce chapitre, nous nous proposons de passer en revue quelques éléments qui ont présidé à l’écriture romanesque de Tahar DJAOUT, notamment dans nos corpus d’analyse, et qui, de fait, ont capté notre intérêt. En effet, le langage de dénonciation est une caractéristique essentielle des textes de cet auteur, tous les thèmes qu’il développe dans ses romans sont emprunts d’un contre-discours, du langage de remise en cause d’un déjà-là, des thèmes qui suscitent les débats et la lutte idéologique dans la société. En sa qualité d’écrivain-journaliste, DJAOUT s’est évertué à évoquer les sujets sensibles que nous examinerons ci-après, et dont les répliques ont atteint les différentes strates de la société, hommes politiques, intellectuels et journalistes.

1. L’écriture journalistique.

En effet, certains passages des romans que nous avons cités se sont nourris abondamment du réel, notamment des reportages effectués par DJAOUT dans divers endroits d'Algérie. Le repérage que nous effectuons ci-dessous certifie notre propos.

Le dernier été de la raison et Les Vigiles sont une réplique de certains passages d'articles de

presse, parfois une insertion intégrale de ces derniers, ce qui nous amène à dire que DJAOUT le romancier ne se distingue que relativement de DJAOUT le journaliste-reporter, un fait que l'universitaire Afifa Bererhi à noté dans ce classement des « quatre sous-ensembles [qui] se

dégagent de ce passage du style journalistique"102 à l'écriture romancée.

Pour notre part, nous nous intéresserons uniquement à ces trois sous-ensembles que nous énumérons ci-après, étant donné qu’ils sous-tendent les deux genres d'écritures, journalistique et romancée, chez ledit auteur.

1e Identité des textes journalistiques et littéraires. 2e Représentation spatiale romanesque.

3e lieu de l'enfance, disséminé dans le texte littéraire.

Pour vérifier ces assertions, nous empruntons quelques exemples au roman Les Vigiles pour voir de quelle manière s'opère l'entrelacement des deux registres d'écriture.

En effet, le roman Les Vigiles porte les traces de l'article de presse de l'hebdomadaire Algérie

Actualité, intitulé "Sidi Moussa- Banlieue lointaine et prospère"103. Le passage de l'écriture

102- BRERHI Afifa, Vols du guêpier, Migration vers une cohérence esthétique. P39

journalistique à la fiction littéraire s'est effectué au moyen du procédé du changement des toponymies, comme c'est indiqué dans ce tableau.

Réalité Fiction - Sidi moussa - Larbaâ - Bougara - Hammam Oulouane - Galeries algériennes - Sidi mabrouk - Rodana - Mekie - Bordj-Ettoub - Galeries nationales

Il ressort de ce tableau que tous les espaces fictionnels insérés dans le roman de Les Vigiles ont été inspirés de l'article de presse précité.

Ce même procédé de changement des toponymies, lors du passage de l'écriture journalistique à l'écriture fictionnelle, apparaît dans les pages 62 et 63 du même roman. En effet, un tiers de l'article intitulé "Jardin de Prague, anachronique et providentiel", a été repris dans la fiction. Les lieux réels ont été fardés par une dénomination différente, jardin de Prague devient Jardin

de l'oasis dans la fiction.

Probablement par cette réécriture, l'auteur entend créer une familiarité avec les lieux en situant le lecteur de la fiction dans un espace algérien, voire maghrébin, puisque pour le lecteur autochtone l'oasis évoque le désert et l'imaginaire qui s'y rapporte.

Il en est de même pour son roman Le dernier été de la raison, où le procédé de substitution prend une place prépondérante. En effet, la fusion de l'écriture journalistique et romanesque génère un univers fictionnel soutenu par une langue hybride et innovatrice, à mi chemin entre les exigences de l'écriture journalistique, à savoir l'énoncé dénotatif et informatif, et l'écriture romanesque abreuvée de métaphore et de connotation, tel qu'il ressort de cette comparaison entre la chronique de l’hebdomadaire Algérie Actualité et un passage du roman précité.

Dans sa chronique, DJAOUT parle d'un rêveur innommé, qui remémore son passé où les hommes étaient libres et se côtoyaient sans méfiance ni défiance :

« Le rêveur se met à penser à des scènes jadis courantes et naturelles d'hommes et de jeunes […] tellement éloigné de ces bêtes d'affût qu'ils sont désormais devenus les uns pour les autres. » 104

L'appendice de cette chronique se trouve inséré dans l'écriture fictionnelle, notamment dans

Le dernier été de la raison, sous l'apparence suivante :

« Boualem YEKKER pense à des scènes jadis courantes et naturelles d'hommes et de femmes […] tellement éloignés de ces bêtes d'affût qu'ils sont désormais devenus les uns pour les autres. »105

Ici, le rêveur de la chronique est remplacé par le personnage principal du roman, à savoir Boualem YEKKER. Le syntagme verbal "Se met à penser" est remplacé par le verbe épistémique Penser tout seul, afin de consacrer le style romanesque au moyen de ce travail effectué sur la phrase qui devient plus courte et légère. Quant au nom commun Jeunes, il a été remplacé par Femmes pour mettre en exergue l'interdiction de la mixité qui est devenue une nouvelle règle instaurée par les islamistes pendant les années 90.

Par ces énoncés, l'auteur entend interpeller les lecteurs, voire toute la société sur le danger qui la guette, à savoir le recul des libertés individuelles par rapport à ce qu'elles étaient auparavant. En effet, durant les années de plomb (1989-1999) marquées par l'hégémonie de l’islamisme intégriste, la chasse aux couples s'est érigée en pratique autorisée. Les couples étaient pourchassés et harcelés par les dépositaires de cette nouvelle ère.

Abondant dans le même sillage de l'écriture journalistique et fictionnelle, le passage qui suit rend compte davantage de l'enracinement de l'écriture de DJAOUT dans le vécu quotidien, donc dans son écriture journalistique. En effet, son écriture fictionnelle se nourrit abondamment du compte rendu journalistique et des chroniques politiques, comme dans ces assertions où il expose son point de vue sur le statut de la femme otage de la vision islamiste sexiste :

« Le résultat est là, sous nos yeux : couples forcés, attachés par le même joug afin de perpétuer et multiplier l'espèce précieuses des croyants. Les femmes réduisent leur présence à une ombre noire sans visage. Elles rasent les murs humbles et soumises, s'excusent presque d'être nées. Les hommes devancent leurs femmes de deux ou trois mètres, ils jettent de temps en temps un regard en arrière pour s'assurer que leur propriété est toujours là : ils sont gênés voire exaspérés par cette présence à la fois indésirable et nécessaire. »106

Le même texte est repris, à quelques différences près, dans Le dernier été de la raison :

104 Algérie Actualité. Du 21 au 28 janvier 1991.

105 - DJAOUT Tahar, Le dernier été de la raison, op.cit. 106- Ibid.

« Le résultat est là, sous les yeux : couples forcés, attelés sous le même joug afin de perpétuer et multiplier l'espace précieux des croyants. Les femmes réduisent leur présence à une ombre noire, sans nom et sans visage. Elles rasent les murs, humbles et soumises, s'excusant presque d'être nées. Les hommes devancent leurs femmes de deux ou trois mètres, ils jettent de temps en temps un regard en arrière pour s'assurer que leur propriété est toujours là : ils sont gênés, voire exaspérés, par cette présence à la fois indésirable et nécessaire. »107

L'examen de ces deux textes nous permet de déceler les modifications opérées sur les deux registres d'écriture, à savoir journalistique et fictionnelle. En effet, l'empreinte de DJAOUT le chroniqueur est toujours présente dans son écriture romanesque, la différence entre ces deux passages est insignifiante. D’emblée, nous pouvons relever la mise au point effectuée sur l'adjectif possessif « Nos » qui, dans le texte fictionnel, devient « Les ».

En suite, il y a un renforcement de sens dans le texte fictionnel par l'usage de la virgule qui assure une régulation du texte littéraire, l'orne de l'intonation qui embellit le texte et permet au lecteur de se délecter du style, tandis que l'absence de celle-ci dans la chronique journalistique attribue au texte un caractère figé, le propre du texte informatif.

Ce procédé de passage de l'écriture journalistique à l'écriture romanesque est d'autant plus visible dans les chroniques rédigées par DJAOUT où il retrace les habitudes vestimentaires des islamistes. En effet, dans cette chronique, le journaliste décrit les islamistes en caricaturant leur façon de s'habiller par une écriture ponctuée d'une pointe d’ironie que se permettaient à l'époque les journalistes chroniqueurs dans leur entreprise de discréditer l'idéologie islamiste importée de l'Afghanistan : " J'étais frappé, par l'accoutrement d'un des leaders coiffure afghane, blousons

Jeans, Kamis, chaussure adidas portées sans chaussettes".108

Ce même article a été retravaillé pour le besoin de la fiction : " Jeunes hommes barbus,

accoutrés comme des guerriers afghans mais avec une pointe de fantaisie constituée par le mariage de tennis haute gamme et de pyjamas, de gandouras et veston en cuir".109

A l'examen de ces deux genres d'écriture, romanesque et journalistique, nous déduisons que le style de la chronique se présente comme étant banal, simple, et présentant des informations sur le mode vestimentaire des afghans, importé et imposé aux algériens durant les années 80 et 90, à l'apogée de l'intégrisme. L'article de presse est simple et dénudé de toute recherche stylistique et esthétique. En revanche, le style romanesque est plus élevé et incorpore des figures de style, telle que la comparaison suivante : « Jeunes hommes barbus […] comme des guerriers

107- Ibid.

108 Algérie actualité, n° 1349, du 26 septembre au 2 octobre 1991. 109 DJAOUT Tahar, Le Dernier été de la raison, op. Cit.

afghans»110, et cette anacoluthe, une figure morphosyntaxique qui apparaît dans ce passage : "Accoutrés comme des guerriers afghans mais avec une pointe de fantaisie"111.

Cette figure témoigne de la poéticité de l'énoncé, de la langue littéraire et soutenue qui caractérise le style de cet écrivain.

De même que l'écriture romanesque de DJAOUT intègre la catachrèse, une figure de style, comme dans ce passage : " Le mariage de tennis de haute gamme et de pyjamas […] de veston

en cuir"112, où le mot "Mariage" a fait une rupture de la logique sémantique qui donnera lieu à un sens figuré.

A la lumière de cette comparaison entre le style journalistique et romanesque, nous concluons que l'écriture fictionnelle de DJAOUT prend ancrage dans l'aire géographique, sociale, politique, donc idéologique de l'Algérie de la postindépendance. La fiction n'a que partiellement dissimulé le réel. La sensation est telle que le lecteur des romans dudit auteur croit lire un reportage journalistique imbriqué dans la fiction littéraire. Cela tient probablement au fait que sa vocation d'écrivain se confond par endroit avec celle du journaliste-reporteur, deux genres d'écriture indissociables et qui puisent leur sève dans le réel et dans le contexte idéologique de l'Algérie des décennies 80 et 90. Ainsi, aussi bien dans ses articles que dans ses fictions, DJAOUT investi son texte d’un contre-discours qui remis en question certains faits nouveaux, secrétés par l’idéologie islamiste, telles que la tenue vestimentaire importée de l’Afghanistan, qui renseigne sur les mutations qui gagnent la société algérienne, et le statut rétrograde réservé à la femme sous l’idéologie islamiste.

Par ailleurs, le discours de dénonciation chez DJAOUT cible aussi la marginalisation et l’oubli des intellectuels, une réalité qu’il déplore dans ses écrits, tel qu’il ressort du point suivant.

2. Le combat contre l’oubli des intellectuels.

Le contexte politique et culturel dans lequel a vécu DJAOUT fut marqué par la marginalisation des intellectuels. Censurés ou poussés à l'isolement, leur parole avait un impact insignifiant sur la société, sinon minoré.

En effet, les régimes qui se sont succédés depuis l'indépendance ont érigé l'oubli de l'élite intellectuelle en pratique courante. Cette démarche vise à couper la société de son élite intellectuelle. Cette exclusion a profondément affecté DJAOUT qui y voyait une mesure sévère,

110 Ibid. 110. 111 Ibid. 110. 112 Ibid. 110.

contraignant les intellectuels à l'autocensure, à l'exil intérieur, au pire des cas, à être enfermés dans un oubli atterrant.

Affligé par cette dénégation, DJAOUT évoque le cas de Mouloud MAMMERI, un intellectuel omis en raison de ses positions peu conformistes et de ses écrits qui incommodent les officiels. La lettre posthume, intitulée lettre à Da L'mulud, écrite par DJAOUT à cette figure de proue, témoigne sur son refus d'assister passivement à la marginalisation des intellectuels :

« Tes rapports avec le pouvoir (tous les pouvoirs) ont été très clairs, une distance souveraine […] Tu étais, au lendemain de l'indépendance, président de la première union d'écrivains algériens. […] Le soir ou la télévision avait annoncé laconiquement et brutalement ta mort, je n'ai pu m'empêcher, en dépit de l'indicible émotion, de remarquer que c'était la deuxième fois qu'elle parlait de toi, la première fois pour t'insulter lorsque, en 1980, une compagne honteusement diffamatoire a été déclenchée contre toi et la deuxième fois, neuve ans plus tard, pour nous annoncer ta disparition. La télévision de ton pays n'avait aucun document à nous montrer sur toi, elle ne t'avait jamais filmé, elle ne t'avait donné la parole, elle qui a pérennisé en des kilomètres de pellicules tant d'intellectuels approximatifs. »113

A ces "intellectuels approximatifs", DJAOUT oppose les intellectuels probes, "ceux qui osent

réfléchir"114 en accord avec leurs principes. Ce fait de l’exclusion fut maintenu pendant longtemps pour pousser cette frange d’intellectuels à la lassitude et à la démobilisation.

Cette dénégation ciblant une bonne partie d’intellectuels, car Mammeri n'est ici qu'un échantillon représentatif, se trouve être une source d'inspiration pour DJAOUT. Le roman Les

Vigiles abonde dans ce sens, il dénonce l’exclusion du personnage Mahfoud LEMDJAD, aux

prise avec une administration qui refuse de breveter son invention (métier à tisser), considérée comme un non événement, comme le souligne ce passage : « C'est nerveux et jubilant […] que

LEMDJAD s'achemine, son dossier sous le bras, vers la mairie »115. Ce verdict qui lui est signifié indique qu'il n’a pas de place dans cette communauté qui n’a aucune considération pour l’intelligence :

« Vous savez en outre, comme moi, que nous constituons aujourd'hui un peuple de consommateurs effrénés et de farceurs à la petite semaine. Des combinards, oui, il en existe, des bricoleurs aussi qui font dans le trompe-l'œil et l'immédiatement utilitaire. Mais l'inventeur – auquel se rattachent des notions aussi dépaysante que l'effort, la patience, le génie, le désintéressement – relève d'une race encore inconnue chez nous. »116

Transposé à la réalité algérienne, ce passage semble dénoncer l’absence de statut de l’intellectuel. Ce mépris frustrant pousse quelques fois l’intelligentsia à l’exil. On ne s'étonnera

113 Algérie actualité du 9 mars 1989, Lettre à Da L'mulud. 114Rupture, n°12, Minorer, exclure, du 30 mars au 5 avril 1993. 115 Tahar DJAOUT, Les Vigiles. Op.cit.. p 37.

pas donc d'entendre une personnalité ayant occupé par le passé des fonctions de grande responsabilité dénoncer ce fait affligeant :

« Une intelligentsia de puissante stature se trouve contrariée dans son ascension. Ce qui lui tient lieu d'ébauche vit mal, malgré le nombre, sa marginalité. L'arme absolue : l'exil, n'est pas celle de la misère, mais un refus désespéré de l'irrationnel. Par parenthèse, un signe infaillible : non seulement, rien n'est fait pour retenir les cadres, mais leur départ, à la limite, réjouit. Allergiques aux lumières, l'obscurantisme, en un sens, est lui-même un produit de nos mains […] corruption et démagogie constituent les symptômes classiques d'un dysfonctionnement de l'État […] le salut ne réside pas dans la morale – ou la théologie-, mais dans un retour au rationnel. »117

Dans le même ordre d’idée, le passage suivant tiré de Les Vigiles renseigne sur cette détresse de l’intellectuel à travers le récit de déboires vécus par LEMDJAD. Très affecté par cette réalité, DJAOUT accorde la parole à son personnage qui renvoie, dans la réalité, à l’élite mise à l'écart :

« Le séjour à Heidelberg a été satisfaisant. Mahfoud […] est heureux de retrouver cette ville de chaux et de granite. Il l'aime comme un refuge, comme un giron affectueux. C'est à la fois pour lui le gîte douillet de l'enfance, le territoire du rêve, de l'effort et des passions […] Aujourd'hui, il y revient en enfant prodigue, vainqueur, avec ce joli trophée qu'il n'attendait pas. Non, il ne s'attendait vraiment pas à être primé à la prestigieuse Foire de Heidelberg. Et la joie est d'autant plus grande pour lui. »118

Ainsi, cette fiction nous circonscrit donc dans le territoire géographique de l'Algérie où l’oubli et la marginalisation de l’élite est un fait indéniable.

Parallèlement au thème de la marginalisation de l’intellectuel, le statut de la langue française est un sujet qui apparaît avec acuité dans les écrits de DJAOUT. En effet, ce sujet a donné lieu à beaucoup de supputations. Les unes y ont jeté l’opprobre pour discréditer l’élite francophone, les autres y ont trouvé dans ce jugement sévère un argument de plus pour riposter à la politique de l’arabisation, ainsi qu’il apparaîtra dans le titre ci-après.

3. La langue française.

Comme tous les écrivains francophones de sa génération, à l'exemple de KATEB Yacine, MAMMERI et MIMOUNI, DJAOUT doit beaucoup à la langue française en tant que langue de communication et de création littéraire. La langue française, pour cet auteur, est un moyen par lequel il transmit sa vision du monde.

Loin des considérations idéologiques, ayant fait de la question linguistique une tribune politique, DJAOUT considère le français comme une langue enracinée dans la société algérienne. Elle est,

117MALEK Rheda, Tradition et révolution, le véritable enjeu, Alger, Ed. Bouchène, 1991. 118 DJAOUT Tahar, Les Vigiles. Op.cit. P. 137.

de son point de vue, la langue de l'affect au point de ne pas la considérer comme une langue étrangère, comme il est indiqué dans cette citation où il s'exprime sur le bilinguisme en Algérie et sur la langue française :

« Le français est une langue extrêmement prégnante dans la société algérienne. Regardez le tirage des journaux de langue française est supérieur au tirage des journaux en langue arabe. Regardez toute la littérature algérienne produite en langue française. Donc, il y a une réalité de la langue qu'on veut ignorer. Le français est une langue pratiquée par les algériens, c'est une langue qui n'est pas proprement parlé étrangère. »119

En plus de cette propriété pragmatique et utilitaire qu'il assigne à la langue française, DJAOUT lui confère une fonction poétique et affective, en ce sens qu'elle véhicule ses sentiments et lui permet d'exprimer ses idées intimes loin des interdits sociaux et politiques, nettement plus réconfortante que le berbère, sa langue maternelle, ou la langue arabe qu'il a apprise à l'école, comme le souligne cette citation :

« J'ai toujours parlé l'arabe populaire d'Algérie, parce que né berbérophone, je parle et écris l'arabe classique que j'ai appris à l'école. Le français aussi. Mais la seule langue dans laquelle je peux vraiment exprimer tout ce que je veux et tout ce que je ressens, c'est le français […] La désacralisation. Il y a des choses très violentes que je dis en français que je n'aurais pas dites en arabe ou en berbère, parce que, alors, il y aurait tout un vécu qui aurait affleuré, des tas de tabous que ces langues entretiennent encore inconsciemment en moi. »120

C'est donc grâce à la langue française que l’auteur de Les Vigiles s'est affranchi des tabous sociétaux inconscients. L’usage du français lui a permis de raconter et de décrire son vécu, aussi bien dans ses fictions que dans ses articles de presse. Le signe chez DJAOUT s’insurge contre

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