• Aucun résultat trouvé

Le marché de l‘ISR concerne plusieurs régions dans le monde, fait intervenir des investisseurs privés et institutionnels, intègre plusieurs marchés financiers et propose des offres adressées à une large clientèle.

I. Le marché de l’ISR : Une approche mondiale

1. Le marché global de l’ISR

Selon l‘étude d‘Eurosif (2008), le marché global de l‘ISR est estimé à environ 5 000 milliards d‘euros. Il se caractérise par une forte concentration, l‘Europe et les États-Unis représentent respectivement 53% et 39% du marché alors que les 8% restants sont partagés entre le reste du monde.

1.1. L’ISR européen

L‘Europe est une région active en ce qui concerne l‘ISR. Elle est le premier marché en volume avec des actifs sous gestion s‘élevant à 2666 Milliards d‘euros, soit plus de la moitié du marché mondial de l‘ISR et 17,6% de la totalité des actifs sous gestion en Europe (Eurosif 2008). Aussi, le broad ISR est plus répandu que le core ISR, ce dernier ne représentant que 19.2% mais croît à un rythme plus soutenu de 46.5%. Les deux stratégies dominantes sont l‘activisme actionnarial suivi de près par le filtrage négatif, alors que les pays les plus actifs sont le Royaume-Uni et les Pays-Bas.

1.2. L’ISR aux États-Unis

Aux États-Unis, le marché de l‘ISR est largement dominé, à plus de 71%, par le filtrage négatif. Les États-Unis profitent de l‘antériorité des démarches ISR et de l‘ancrage de la religion dans le pays. A noter également que le nombre de fonds ISR n‘est que 200 fonds, ces derniers ne représentent que 10% des actifs sous gestion sur le marché américain.

Le législateur américain statue pour encourager les entreprises à adopter une démarche socialement responsable. Ainsi, la section 406 de loi Sarbanes-Oxley impose aux entreprises de divulguer le code éthique adopté par leurs dirigeants.

1.3. L’ISR dans les autres pays

Il est vrai que les États-Unis et les pays Européens dominent largement le marché de l‘ISR. Cependant les investisseurs d‘autres pays commencent à intégrer la dimension éthique dans leurs critères d‘investissement. Citons l‘exemple du Canada et de l‘Australie.

En ce qui concerne le Canada, il s‘agit du 3ème marché mondial de l‘ISR. 19,9% des actifs gérés le sont sur des bases socialement responsables. En plus du filtrage négatif considéré comme activité éthique historique, les investissements communautaires et le capital-risque développement durable attirent de plus en plus d‘investisseurs canadiens22.

Quant à l‘Australie, il s‘agit du premier marché de l‘Asie Pacifique en termes d‘ISR. Il en est le leader incontesté avec 85% des actifs sous gestion dans toute la région. De culture anglo-saxonne, les investisseurs australiens ont un comportement proche de celui des américains en termes de préférence des critères de filtrage négatif. En termes de législation ISR, le pays s‘inspire des lois britanniques notamment dans la partie relative à l‘obligation imposée aux gestionnaires de divulguer les orientations éthiques, sociales et environnementales de leurs fonds d‘investissement. Selon le portail de Responsible

Investment Association Australasia23, les fonds gérés selon des critères SR ne dépassaient pas

10% en 1996 alors qu‘ils représentent maintenant 23% des actifs sous gestion. 2. Les perspectives d’évolution du marché de l’ISR

Depuis les années 2000, la prise en considération des facteurs extra-financiers dans la décision d‘investissement commence à prendre de l‘ampleur. Même si l‘encours géré par des fonds ISR est faible comparé au total des actifs gérés sur les marchés financiers, le nombre de ces fonds augmente progressivement.

Les facteurs qui vont accélérer ce développement concernent tout d‘abord l‘information des investisseurs. Ces derniers sont à la recherche d‘opportunités d‘investissement compatibles avec leurs convictions personnelles. Ils exigent cependant d‘être informés sur la destination de leur argent et une transparence vis-à-vis des critères motivant leurs choix d‘investissement.

22

voir : www.socialinvestment.ca 23 voir : www.responsibleinvestment.org

L‘engagement des gouvernements dans des démarches de protection de l‘environnement et la prise de conscience des investisseurs individuels au sujet de ces préoccupations ont largement contribué à sortir l‘investissement éthique de son anonymat. Puis est arrivée la 2ème étape durant laquelle l‘argument éthique était utilisé comme un argument marketing (Serret 2003) par certains fonds pour attirer une clientèle sensible.

Concernant l‘aspect financier, la surperformance de ces fonds reste à démontrer. De nombreux investisseurs sont prêts à intégrer les critères éthiques et sociaux dans leurs choix de portefeuilles et à penser au bien-être de la planète dès lors que le rendement de ces fonds est au moins égal à celui des autres fonds. De même, fournir des efforts en termes de création de nouveaux fonds demeure parmi les actions prioritaires. En effet, une telle innovation est susceptible de proposer d‘autres opportunités pour les investisseurs qui optent déjà pour la voie de l‘ISR pour diversifier leurs portefeuilles. Elle permettra également d‘attirer d‘autres investisseurs indécis ou indifférents.

Afin d‘assurer un développement constant des fonds ISR, il est évident que les acteurs ont un rôle à jouer. C‘est le degré d‘implication de ces acteurs qui conditionne l‘échec ou le succès de l‘intégration et la consolidation des démarches éthiques dans les marchés financiers. Nous proposons par la suite d‘étudier le rôle de chacun des acteurs présents sur le marché de l‘ISR.

II. Les acteurs du marché de l’ISR

En ce qui concerne les acteurs de l‘ISR, nous pouvons les regrouper en deux grandes catégories, à savoir : les acteurs de l‘offre et de la demande d‘une part et les agences de notation et les autorités de régulation d‘autre part.

1. Les offreurs et les demandeurs

1.1. L’offre de l’ISR

L‘offre de l‘ISR émane des sociétés d‘investissement qui proposent des fonds SR répondant à une demande des investisseurs individuels ou institutionnels. Elles se chargent également de promouvoir la légitimité de cette offre (Déjean 2005) par rapport aux offres concurrentes.

Lorsqu‘il s‘agit de la gestion sous mandat d‘un fonds éthique, le gérant est mandaté pour examiner l‘opportunité d‘investissement SR du point de vue financier et éthique. Actuellement, les OPCVM éthiques permettent de détenir une partie du portefeuille éthique (d‘actions et/ou d‘obligations) commun à plusieurs investisseurs. Ces derniers attendent en contrepartie une transparence et un degré élevé de respect des promesses de la part des gérants. Selon Schepers et Sethi (2003) et Hawken (2004), des efforts considérables restent à faire au niveau de la transparence des critères utilisés et en matière de respect des promesses éthiques données aux investisseurs. Une explication à cela peut être l‘absence d‘équipes

ad hoc dédiées uniquement à l‘ISR (De Brito et al. 2005) à cause d‘un manque d‘engagement

SR de la part de certaines sociétés de gestion. Les auteurs estiment que le marché n‘a pas encore atteint le seuil critique de maturité et que la taille du marché et les flux liés aux fonds SR ne sont pas très importants pour justifier de tels investissements.

1.2. La demande de l’ISR

La demande des fonds ISR est exprimée par des investisseurs individuels et institutionnels dont la diversité peut être justifiée par la panoplie de stratégies ISR utilisées. En effet, la préférence de ce type d‘investissement est due à la volonté de se conformer aux convictions personnelles (pour les investisseurs individuels), et pour défendre certaines causes qui soient compatibles avec les orientations générales des investisseurs institutionnels (développement durable, bien-être social, etc.).

En termes de comportement, les investisseurs selon des critères SR font des placements à long terme (Gond 2006; Jégourel et Verdié 2012) et s‘intéressent aussi bien à l‘activité des entreprises contenues dans leurs portefeuilles qu‘à leurs résultats. Leur fidélité se manifeste par une demande élastique aux gains et inélastique aux pertes (Déjean 2002) et ce contrairement aux investisseurs traditionnels dont l‘élasticité-prix est symétrique dans les deux situations. Certains investisseurs vont jusqu‘à accepter un coût supplémentaire (Dupré et al. 2006) pour investir conformément à leurs principes.

Pour assurer cette conformité, des agences de notation éthiques émettent des recommandations à propos du respect des critères éthiques par les différents fonds lors du choix des entreprises. C‘est une mission confiée aux agences de notation.

2. Les agences de notation et les régulateurs

2.1. Les agences de notation

Selon Déjean (2005), la notation sociétale désigne « un processus indépendant qui

cherche, dans la gouvernance actionnariale, à évaluer l’attention accordée aux formes de légitimité morale et cognitive des actions des dirigeants et des contrôlaires ». Le rôle des

agences de notation est ainsi de fournir aux investisseurs des appréciations et des opinions sur la base du respect des critères qu‘elles établissent elles-mêmes pour définir l‘investissement éthique.

Les premières agences ont été créées en 1980 dans le but de répondre à une demande des investisseurs désireux d‘intégrer les critères sociaux dans leurs pratiques d‘investissement. Au début, ces agences se contentaient d‘être des fournisseurs d‘informations et d‘analyses aux moyens limités (De Brito et al. 2005). Mais elles ont réussi à développer leurs activités à tel point qu‘elles sont devenues des intermédiaires incontournables (Pagès 2006) entre des investisseurs, à la recherche d‘opportunité d‘investissement éthiques, et les gérants de fonds, désireux de certifier leurs pratiques environnementales et sociales.

Le secteur de notation sociale est très diversifié avec une multitude d‘agences, chacune d‘entre elles utilise une méthodologie différente et des critères d‘évaluation qu‘elle juge pertinents. L‘observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE) recense ces agences. Parmi les plus actives, nous trouvons l‘agence américaine KLD (Kinder,

Lydenberg, Domini and Co.), la française Vigeo, la suisse SAM et l‘anglaise EIRIS. Une

tendance est observée ces dernières années, elle concerne l‘internationalisation des activités des agences pour évaluer des filiales dans plusieurs pays pour mieux connaître le marché et être proche des entreprises et des investisseurs.

En matière d‘évaluation des fonds, les agences s‘orientent de plus en plus vers une notation sollicitée par les fonds au lieu d‘une notation déclarative prise historiquement à l‘initiative de l‘agence. Ce changement est dû à un changement de rapport de force en faveur de ces agences avec le développement des investissements éthiques et l‘apparition des labels ISR. Illustrons cela par l‘exemple du label SR de Novethic. Il s‘agit d‘un label attribué sur candidature aux fonds éligibles qui remplissent les quatre critères exigés par l‘agence (voir annexe 1). Les critères font l‘objet d‘une évaluation à l‘issue de laquelle l‘agence décide de l‘attribution ou non du label en fonction du degré de respect des exigences par les fonds

candidats. Ainsi, sera évalué l‘engagement du fonds en matière d‘analyse ESG, le degré de transparence de son processus, ses rapports extra-financiers et la composition du portefeuille. Les fonds labellisés ISR disposent d‘un logo associé au label. Ce dernier peut être retiré suite à une non-conformité détectée à l‘occasion d‘un contrôle annuel, et l‘agence se réserve le droit de faire état publiquement de ce retrait.

2.2. Les régulateurs

Eu égard aux origines religieuses de l‘ISR, l‘intervention des régulateurs était limitée (De Brito et al. 2005). Dès le début des années 1990, les pouvoirs publics ont vu leur rôle s‘accroître suite à des initiatives internationales appelant à prendre conscience de l‘environnement notamment le rapport Brundtland en 1987 dont les recommandations ont été appliquées par les pouvoirs publics de différentes manières. Tout d‘abord, en incitant les entreprises et les gérants de fonds à prendre en considération les critères extra-financiers, puis en leur exigeant de rendre compte de leur engagement en la matière, ensuite en mettant en place des rencontres avec les différentes parties prenantes, le Grenelle de l‘environnement en est une illustration récente en France.

La mise en place de lois favorisant les placements éthiques est un autre moyen mis à la disposition des pouvoirs publics. La voie législative permet de stimuler l‘ISR et d‘encourager les investisseurs à opter pour ce type d‘investissement. L‘exemple de « la réglementation verte » au Pays-Bas, tel qu‘il a été évoqué par Le Maux et Le Saout (2003) est une manifestation du rôle que peut jouer l‘État à ce niveau. D‘autres pays ont adopté la même démarche notamment le Royaume-Uni en 2000 (Kreander 2001) et la France qui dispose d‘un environnement juridique favorable à l‘ISR depuis 2001 (Pagès 2006).

Quant aux autorités de marchés, elles interviennent également pour réglementer les pratiques ISR sur les marchés financiers. Ainsi, l‘AMF en France se charge d‘autoriser et faciliter l‘accès aux fonds qui se basent sur des critères extra-financiers. Aux États-Unis, la SEC (Security and Exchange Commission) réglemente les marchés financiers américains, elle fixe des exigences en matière des propositions déposées par les fonds éthiques dans le cadre des assemblées des actionnaires (Boutin-Dufresne 2002).

III. L’intégration de l’ISR dans les marchés financiers

1. Le fonctionnement

1.1. La légitimité

Pour intégrer l‘ISR en tant que segment dans les marchés financiers, il a fallu que les sociétés de gestion trouvent une légitimité (Déjean 2005) aux démarches SR de cet investissement. Il était également nécessaire que l‘ISR prenne position quant aux objectifs de ses clients : Sont-ils des investisseurs qui font de l‘éthique pour l‘éthique et qui n‘accordent aucune importance à la performance ? Cherchent-ils la rentabilité en utilisant l‘éthique comme prétexte pour justifier leurs choix ? Ou bien, acceptent-ils de sacrifier une partie de leurs rentabilités si leurs valeurs éthiques sont respectées ?

C‘est le degré de motivation éthique qui constitue un des éléments de réponse à ces questions. Cet indicateur est difficilement quantifiable vue l‘hétérogénéité des souscripteurs et les différences qui existent par exemple entre investisseurs institutionnels et individuels et à l‘intérieur même de chaque catégorie.

Si l‘industrie des fonds ISR est devenue l‘outil principal de la finance éthique (Serret 2003), c‘est parce qu‘elle a gagné en termes de légitimité et s‘est imposée comme une réponse à une demande préalablement existante (Déjean 2005 ; Salaber 2008) exprimée par des investisseurs individuels et institutionnels.

1.2. Le mode de fonctionnement

L‘investisseur éthique se donne le droit et les moyens lui permettant d‘intervenir dans la gestion des entreprises constituant le portefeuille. L‘exercice de cette responsabilité se fait de manière indirecte via les fonds éthiques. Et c‘est cela qui explique que ces fonds supportent des coûts d‘agence élevés (Déjean 2002). Ainsi, les gérants de fonds se voient confier une tâche supplémentaire, il s‘agit de s‘assurer de la conformité de leurs portefeuilles avec les considérations éthiques et morales. Cette nouvelle charge de travail suppose un engagement et une implication de la part des gérants de fonds.

En termes de pratique, toutes les sociétés de gestion impliquées dans cette démarche font appel à des critères financiers et non financiers, mais le processus diffère d‘une société à l‘autre. En effet, deux catégories peuvent être distinguées : la première concerne les sociétés

qui commencent par une analyse financière avant de filtrer les valeurs restantes sur la base de leur responsabilité environnementale en utilisant des critères extra-financiers. La société de gestion AXA Investment Managers est un exemple de cette catégorie. Cependant, la deuxième catégorie inverse le processus en appliquant un filtrage extra-financier avant de procéder à l‘analyse financière des valeurs retenues dans la première sélection. Tel est le cas par exemple de la société de gestion CDC IXIS AM.

2. La concurrence

2.1. Les types de concurrence

De façon classique, deux types de concurrence peuvent être distingués : la concurrence industrielle et la concurrence commerciale. La première se situe en amont de la transaction, elle désigne la capacité à créer une offre compétitive sur le marché. La seconde qui se situe en aval, désigne la capacité à s‘adapter aux attentes de la clientèle.

Morvan (2008) propose une application de ces deux types de concurrence aux sociétés de gestion de fonds éthiques. Ainsi, ces sociétés doivent maîtriser de plus en plus de techniques et de compétences afin de créer une offre compétitive et de répondre aux attentes de leurs investisseurs. Compte tenu de la complexité de jouer ces deux rôles à la fois, l‘auteur considère que la notation sociétale est une compétence clé à ce niveau. C‘est au gérant de l‘intégrer afin de mieux maîtriser le processus de sélection des fonds compatibles.

2.2. L’intensité de la concurrence

Si la confrontation de l‘offre et la demande sur le marché pousse des fonds d‘investissement SR à se démarquer par rapport à leurs concurrents classiques, Shleifer (2004) pense que la pression des marchés stimule des comportements non éthiques de la part des investisseurs, la pression est encore plus forte si la conformité aux critères éthiques se fait au détriment des profits (Renneboog et al. 2008).

Par ailleurs, Bagnoli et Watts (2003) estiment que les critères éthiques peuvent s‘imposer sur le marché et continuent d‘exister malgré la concurrence. Une explication est donnée par Statman (2005) lorsqu‘il estime que la fidélité des investisseurs éthiques aura comme effet que les fonds faisant partie de cette catégorie souffrent moins du risque de retrait de capitaux par rapport aux autres fonds non éthiques.