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5. CAMPAGNES ENVIRONNEMENTALES : UN GAGE DE SUCCÈS POUR LE MOUVEMENT ?

5.4 Étude de cas : SWITCH, l’Alliance pour une économie verte

La campagne SWITCH, l’Alliance pour une économie verte (annexe 9) adopte une forme quelque peu atypique, puisqu’il s’agit d’une campagne axée davantage sur les relations publiques que sur la mobilisation (K. Mayrand, entrevue téléphonique, 3 avril 2019). C’est essentiellement une campagne de lobbying adoptant des stratégies semblables à celles des lobbies économiques, soit des pressions externes directes et une participation institutionnelle à la décision politique. La campagne SWITCH a été analysée avec la participation de Karel Mayrand, directeur général pour le Québec et l’Atlantique à la Fondation David Suzuki. Sauf indication contraire, les informations exposées dans les cinq sous-sections suivantes sont tirées des deux entrevues réalisées avec Karel Mayrand les 18 février et 3 avril 2019.

5.4.1 Description de la campagne

SWITCH, l’Alliance pour une économie verte est née du constat que les groupes environnementaux font très souvent des batailles défensives (K. Mayrand, entrevue en personne, 18 février 2019). Cette campagne a été créée dans l’idée de promouvoir un nouveau cadre, une nouvelle vision de l’économie (K. Mayrand, entrevue en personne, 18 février 2019). SWITCH est un OBNL dont le conseil d’administration est composé de douze membres issus de chacune des organisations suivantes : la Fondation David Suzuki, l’Association de l’aluminium du Canada, le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement, Équiterre, Énergir, Cycle Capital Management, Desjardins, le Conseil du patronat du Québec, Enerkem, Écotech Québec et Réseau environnement (SWITCH, s. d.). Il s’agit essentiellement d’une alliance entre groupes environnementaux et groupes d’affaires ayant la mission suivante : « accélérer le virage vers une économie verte afin de contribuer à une société innovante, résiliente, concurrentielle qui réconcilie équité sociale, environnement et qualité de vie » (SWITCH, s. d.). L’idée à l’origine de cette alliance est de « faire entendre la voix de groupes provenant de différents horizons pour démontrer que l’économie et l’environnement peuvent aller de pair » (Rettino-Parazelli, 2018, 7 décembre). La vision sous- jacente de cette initiative se décline en deux points, à savoir de « créer une impulsion favorable au développement d’une économie verte » (SWITCH, s. d.) et que le développement économique, d’ici 2020, soit axé vers cette économie verte afin de contribuer « à la compétitivité du tissu économique du Québec et au développement d’une culture de l’entrepreneuriat vert » (SWITCH, s. d.).

Depuis le lancement de la campagne en 2013, SWITCH a réalisé des événements, des mémoires, des plans d’action et des analyses (SWITCH, s. d.). L’OBNL a trois priorités d’action : les technologies propres, l’innovation et l’entrepreneuriat; un plan d’action sur les changements climatiques et le marché du carbone; et la mobilité durable et le transport. La visée première de l’alliance est de stimuler l’action gouvernementale

(SWITCH, s. d.). Constatant que le virage vers une économie verte est difficile, SWITCH se concentre actuellement sur

« l’identification des barrières (freins) à l’action gouvernementale, et sur les manières de les contourner. Il ne s’agit donc plus tant de convaincre les gouvernements d’agir en faveur du développement d’une économie verte, mais de les aider à y parvenir. » (SWITCH, s. d.)

5.4.2 Objectifs de la campagne

Les objectifs de la campagne SWITCH ont été déterminés avant sa mise en œuvre. Ils consistent, dans un premier temps, à positionner l’économie verte comme principal axe de développement économique au Québec et, dans un deuxième temps, à accélérer le passage vers l’économie verte. Le but est de recadrer le modèle économique existant et de changer le discours sur les ressources naturelles pour en créer un axé sur l’économie verte. (K. Mayrand, entrevues en personne et téléphonique, 18 février 2019 et 3 avril 2019).

5.4.3 Points forts de la campagne

Les points forts de la campagne comprennent la proposition d’un projet, d’une vision, en lieu et place de la posture défensive généralement adoptée dans le mouvement environnemental. La promotion d’un nouveau cadre fait de cette campagne un projet mobilisateur et créatif. De plus, la coalition d’actrices et acteurs de différents domaines permet d’en renforcer la crédibilité, la visibilité et le potentiel. Karel Mayrand mentionne que la campagne conserve encore à ce jour son potentiel grâce aux alliances créées et au réseau de contacts constitué. Les alliances sont également un atout indéniable quand vient le temps de faire une proposition au gouvernement. Il est en effet plus difficile pour ce dernier de refuser un projet qui rassemble un grand nombre d’actrices et acteurs de secteurs tant environnementaux qu’économiques.

Karel Mayrand mentionne aussi l’agilité, ce qui comprend la couverture médiatique, les relations publiques gouvernementales, le nombre d’interventions et la visibilité. Les personnes impliquées dans l’alliance, grâce à leurs contacts et à leur propre visibilité, entraînent une amplification de la campagne. (K. Mayrand, entrevues en personne et téléphonique, 18 février et 3 avril 2019)

5.4.4 Points faibles de la campagne

La gouvernance d’une coalition peut poser problème. Dans le cas de SWITCH, la coordination de la campagne a d’abord été confiée à des consultants, tandis que la gouvernance initiale était peu élaborée. Cela s’est traduit par une plus grande agilité et flexibilité, mais a fragilisé l’organisme. En effet, des désaccords dans les façons d’envisager les choses ont créé des tensions et des conflits. Une réorganisation a dû être entreprise afin de pallier ces lacunes. Une meilleure structure de gouvernance permet aujourd’hui d’éviter les conflits, mais elle est synonyme d’une moins grande agilité pour les membres de l’alliance.

Le financement est un autre point faible. Les membres de l’alliance ont une cotisation annuelle à payer pour fournir des fonds à la campagne. Toutefois, Karel Mayrand souligne le fait que SWITCH est à la merci des diverses autres sources de financement pour l’organisation d’événements ponctuels. En effet, le financement par projet est parfois difficile à aller chercher et peut freiner l’étendue des activités de la campagne. (K. Mayrand, entrevue téléphonique, 3 avril 2019)

5.4.5 Évaluation de la campagne

Une telle campagne comporte beaucoup d’avantages, mais une coalition entre des acteurs de différents secteurs vient avec son lot de difficultés. Effectivement, alors qu’aux yeux de certains les écologistes peuvent paraître des traîtres quand ils abordent des thèmes économiques, les gens issus du monde des affaires sont victimes de perceptions semblables quand ils se positionnent en matière d’environnement. Au nombre de ses avantages, la coalition permet cependant de régler des différends et de faire avancer des enjeux plus rapidement et de manière plus pragmatique.

La campagne SWITCH a été construite autour d’objectifs clairs, quoique difficilement quantifiables. Il demeure que les indicateurs qui permettent d’évaluer l’atteinte des objectifs sont tangibles et facilement observables. Ceux-ci comprennent l’intégration du concept d’économie verte dans les discours et les objectifs du gouvernement et la mise en place de politiques qui vont en ce sens. Les indicateurs pointent vers l’atteinte du premier objectif (positionner l’économie verte comme principal axe de développement économique au Québec) : dans le discours du budget de Philippe Couillard en 2016, il était question d’économie verte. À cette même époque, le gouvernement libéral adoptait une politique de mobilité durable qui intégrait les recommandations de l’alliance (Gouvernement du Québec, 2018). Les changements de gouvernement posent toutefois un défi à l’atteinte des objectifs, puisque les gains ne sont jamais assurés à long terme. Le gouvernement de la CAQ, par exemple, parle peu d’économie verte, bien qu’une consultation soit en cours, au printemps 2019, sur ce sujet. Karel Mayrand estime que les objectifs, même si atteints à un moment donné, demeurent toujours en voie d’être atteints.

La campagne qui se voulait éphémère au départ en est, en 2019, à sa sixième année d’existence. C’est une preuve du succès de SWITCH, selon Karel Mayrand. Toutefois, le directeur général pour le Québec et l’Atlantique de la Fondation David Suzuki reconnaît que même si cette campagne et beaucoup d’autres se révèlent des succès, elles n’arrivent pas à influer à toutes les échelles afin de produire des gains plus globaux et profonds. Or, la mission d’une organisation comme la Fondation David Suzuki se situe à une plus grande échelle : changer le cours des choses et arrêter la dégradation de la Terre (Fondation David Suzuki, s. d.). Alors qu’une campagne comme SWITCH contribue à faire cheminer les mentalités, elle n’arrive pas à agir suffisamment en profondeur pour réaliser un objectif aussi absolu que celui-là. (K. Mayrand, entrevues en personne et téléphonique, 18 février 2019 et 3 avril 2019)