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Les états du corps dans l’histoire de la psychothérapie corporelle: les origines

2 L’inscription corporelle de l’esprit en psychopathologie et en psychothérapie

2.1 Les états du corps dans l’histoire de la psychothérapie corporelle: les origines

Si la littérature attribut à Willehim Reich (1970, 1979) la réflexion approfondie sur le corps en psychopathologie, on ne doit pas oublier que déjà dans les expériences des premiers hypnotistes, le corps en action est une étape essentielle de l’induction, ainsi en est-il des pas de Mesmer ou de la fixation de Bred (Chertok, 1993). Freud même, dans ses premiers essais thérapeutiques, pratiquait lui-même des massages sur ses patients comme nous le constatons à la lecture du cas d’Emmy Von N : « J’ordonne des bains chauds et pratiquerai, deux fois par jours, des massages de tout le corps » (Freud & Breuer, 1967, p. 45). Outre les massages, Freud, utilise une technique, nommée Druckmethode (Freud & Breuer, 1967 ; Chertok,

1993), qui consiste à exercer une pression de la main sur le front du patient, ou à prendre son visage entre les deux mains, tout en l’exhortant à former des images à partir de ses symptômes. « J’informe mon malade que je vais, dans l’instant qui suivra, exercer une pression sur son front et lui assure que, tout le temps que durera cette pression, un souvenir surgira sous forme d’une image ou bien qu’une idée se présentera à son esprit. Puis j’exerçais pendant quelques secondes une pression sur le front du malade allongé devant moi lui demandai ensuite d’un ton assuré, comme si la déception était impossible : Qu’avez-vous vu ? Ou « À quoi avez-vous pensé ? » (Freud & Breuer, 1967, p. 89). Cette technique est destinée à lever la résistance afin de relancer la chaîne associative (Paumelle, 2001).

Wilhelm Reich (1970 ; 1979) semble prendre une direction opposée à celle de Freud. Ce dernier met l’accent sur les associations verbales et leur contenu, les représentations mentales et l’importance du transfert. Reich, par contre, à partir de son expérience de psychanalyste, va se méfier de l’activité intellectuelle souvent associée pour lui à une activité défensive. Il accorde, ainsi, beaucoup moins d’intérêt au contenu du discours et porte de plus en plus son intérêt sur les aspects formels, non-verbaux, de l’expression du patient : « il ne s’agit pas seulement d’interpréter les rêves, associations, actes manqués…, mais de prêter une attention soutenue à la manière dont il le présente. » (Reich, 1979, p.76).

Dans l’analyse caractérielle, il part de l’analyse des résistances comme « défenses caractérielles » qui, en se dénouant, libèrent les affects qui leur sont liés. L’expression de l’affect libère la « stase énergétique » et amène ainsi une expression musculaire et émotionnelle. C’est alors que pour accompagner, accentuer, ou provoquer ce processus, Reich a l’idée d’agir directement sur le corps. Reich utilise le terme « caractère » ou « structure caractérielle », là où nous parlerions plutôt, aujourd’hui, de « personnalité ». Il développe une compréhension structurale du fonctionnement humain, d’ailleurs essentiellement défensive, comme si tous les désordres émotionnels de chaque individu étaient les résultats d’une répression culturelle transmise par les familles (Paumelle, 2001). Les défenses sont donc à considérer, d’après Reich, comme des attitudes chroniques du Moi qui participent de l’économie énergétique globale du sujet. Ce sont des défenses psychologiques associées à des stases énergétiques qui en viennent progressivement à former la « cuirasse musculaire » ou « cuirasse caractérielle ». La cuirasse caractérielle est, d’une part, le résultat du conflit sexuel infantile et représente une façon de le résoudre. Elle est, d’autre part, le point de départ des conflits névrotiques ultérieurs et des névroses symptomatiques. Elle devient la base de

réactions névrotiques caractérielles (Reich, 1979). La cuirasse musculaire est liée à un fonctionnement énergétique, lui même en lien à un trait caractériel. Elle s’avère résulter de la cristallisation des mécanismes psychiques dans des tensions corporelles figées, qui une fois formées, ne peuvent être atteintes par une approche purement psychologique et verbale.

Les constats de Reich sont les suivants (1970 ; 1979) :

a) le corps a une mémoire qui retient sous forme de tensions, maladies, postures, des émotions et des traumatismes non-résolus. Ceux-ci sont encapsulés dans un ensemble de contractions musculaires, chroniques, développées pour survivre et qui sont l'inscription dans le corps des mécanismes psychologiques ;

b) l'énergie sexuelle et l'énergie psychique circulent dans le corps de façon ondulatoire : l'impulsion vient du bassin et se répercute jusqu'à la tête ;

c) la circulation de cette énergie à travers la sensation, l'émotion, la respiration et la vitalité peut être bloquée par des tensions musculaires ;

d) cet état de « blocage» peut empêcher l'abandon à l'orgasme, mais également à toute autre expérience: s'investir dans son travail, écouter de la musique, regarder une oeuvre d'art, être dans une relation d'intimité avec quelqu'un d'autre, jouer, etc. ;

e) les tensions musculaires sont installées en sept segments qui regroupent des muscles particuliers attachés sur le devant, les côtés et l'arrière du corps et forment ainsi sept anneaux (oculaire, buccal, cervical, thoracique, diaphragmatique, abdominal et pelvien). Quand les contractions sont fréquemment répétées (un réflexe programmé), elles deviennent chroniques et s'inscrivent profondément dans l'attitude du corps.

En continuant ses recherches cliniques, Reich en arrive finalement à la conclusion que c’est l’inhibition de la respiration qui est le principal mécanisme physique de la répression et du refoulement. Il observe que les mécanismes de rétentions musculaires-émotionnelles sont étroitement associés à différents mécanismes de rétentions respiratoires. Contenir la respiration, et surtout l’expiration, équivaudrait ainsi à retenir les émotions en retenant le processus naturel de relâchement de l’organisme. Il insiste alors sur l’importance de l’abandon à la respiration chez ses patients et, parfois, pour faciliter cet abandon, il trouve utile d’agir directement sur le corps en accompagnant l’expiration par une douce pression sur l’abdomen supérieur. Ainsi, « Plaçant le bout des deux mains au milieu, entre l’ombilic et le sternum, je demande au patient de respirer profondément. Pendant l’expiration, j’exerce une

pression sur l’abdomen, progressivement et doucement » (Reich, 1970, p.120).

Alexander Lowen qui fut d’abord analyste reichien nous a décrit l’évolution de la thérapie reichienne vers une action de plus en plus directe sur le corps du patient pour libérer les tensions musculaires (Lowen, 1979). Il proposera des techniques très précises pour transformer les tensions musculaires en liberté du sentir, agir et moduler. Ses réflexions cliniques fonderont l’Analyse Bioénergétique (Lowen, 1976 ; 1977). Reich et Lowen seront le point de référence de différents courants de psychothérapie centrées sur le corps : l’intégration posturale (Painter, 1992) et la psychologie fonctionnelle du Soi (Rispoli, 1993)19.

Ces modèles de psychothérapie à implication corporelle naissent de l’observation clinique des auteurs et manquent d’études expérimentales (Downing, 1995) qui articulent finement et confirment le rapport entre les troubles psychopathologiques et la « cuirasse caractérielle » (Reich, 1979) ou les tensions corporelles (Lowen, 1979). Le rapport entre « refoulement » et « tension musculaire » qui s’appuie sur l’idée que les émotions et les expériences s’inscrivent dans un corps vu comme un texte à lire, d’où dérivent les traits de personnalité spécifiques, suscite beaucoup de perplexité car l’organisation de cette « inscription corporelle » n’est pas claire. Les expériences humaines qui « s’incarnent » dans les muscles sont à démontrer avec des méthodologies de recherches plus contrôlées.

Par contre, il existe différentes études expérimentales sur l’importance des états du corps et du contact physique dans l’organisation de la personnalité. En 1958, paraît un premier article dont l’auteur, Harry Harlow, présente ses observations sur la déprivation maternelle chez les singes : séparés de leur mère, de jeunes macaques choisissent de préférence un substitut maternel constitué de linge doux plutôt que d’un treillis grossier. La même année, un autre article est publié par John Bowlby (1958) qui aborde les liens privilégiés entre le bébé et sa mère. Coïncidence historique entre deux champs disciplinaires différents, celui de l’éthologie et celui de la psychanalyse, qui arrivent à la même conclusion : la proximité physique (voire la disponibilité) de la mère (ou de son substitut) satisfait un besoin primaire du jeune, essentiel à son développement mental et à l’éclosion de sa sociabilité (Pierrehumbert, 2003).

Une approche prometteuse pourrait être l’étude rigoureuse des relations entre théories de

l’attachement et défenses corporelles ; en effet Downing (1995) commence à faire une liste complémentaire des défenses classiques (White & Gilliland, 1977), qu’ il appelle les défenses corporelles :

- les schémas affectivo-moteurs à développement incomplet (par exemple, un arrêt évolutif- corporel dans la construction des patterns agressifs) ;

- les schémas affectivo-moteurs déformés (par exemple, une évolution d’un schéma mais dans une direction pathologique, une agressivité exagérée).

- la contre-activation (par exemple, un mouvement produit en opposition à un mouvement précédent) ;

- la désactivation (par exemple, la réduction du tonus musculaire dans des situations spécifiques).

- la contracture chronique (est similaire à la contre-activation mais est statique, une condition musculaire permanente) ;

- l’hypotonie chronique (c’est l’opposition de la contracture chronique, une zone corporelle ou un spécifique groupe de muscles qui restent dans un tonus inférieur à la norme) ;

- l’affaiblissement de la respiration (il renvoie aux mécanismes de rétentions respiratoires dont Reich a parlé dans son œuvre du 197020) ;

- l’évitement cénesthésique (par exemple, la fuite de l’attention aux sensations internes) ; - l’hyper-concentration cénesthésique (une concentration élevée sur des sensations spécifiques et un évitement pour tout le reste) ;

- les images visuelles du corps (par exemple, concentrer l’attention sur la perception visuelle du corps, du corps-vu, toujours en évitant de sentir la globalité de l’expérience corporelle).

Ruggeri ajoute à cette liste des « mécanismes à carence de stop » (1995), où l’inhibition est interdite, par exemple dans les cas d’hyperactivité.

2.2 L’organisation des marqueurs physiologiques dans les conditions de stress post-