• Aucun résultat trouvé

État de l’art de l’utilisation de l’aluminium dans les ponts

2.3.1 Introduction

L’utilisation de l’aluminium dans les ponts peut être appliquée dans plusieurs domaines : les équipements de ponts, la rénovation ou le remplacement de platelages dégradés, l’agran- dissement de ponts existants, les ponts flottants et les passerelles piétonnes. Il convient alors de voir, dans cette partie, quels sont les intérêts et les limites des alliages d’aluminium pour les ponts, comment ce matériau a été utilisé jusqu’à présent dans cette optique, quelles sont les technologies à disposition pour cela, et quelles sont les normes et codes de calculs per- mettant de concevoir des structures en aluminium.

2.3.2 Intérêts et limites de l’aluminium dans les applications structurales

L’aluminium possède de nombreuses caractéristiques qui le rendent particulièrement adapté à la construction d’ouvrages d’art.

— Une faible masse volumique, environ trois fois inférieure à celle de l’acier, ce qui per- met de bâtir des structures plus légères et facilite le transport, la manutention et l’ins- tallation sur chantier.

— Une très bonne résistance à la corrosion, même dans des conditions sévères d’hu- midité ou de présence de sels de déglaçage. Cet avantage de l’aluminium sur l’acier permet de réaliser des économies d’entretien et de protection anticorrosion.

— Une solidité et une résilience élevées à basse température. La résilience est la capacité d’un matériau à se déformer plastiquement plutôt qu’à fissurer. Cette caractéristique

est intéressante car elle limite les risques de rupture fragile, que l’on peut connaître sur les ponts en acier. L’amélioration des propriétés physiques de l’aluminium à basse température constitue un grand avantage de l’aluminium sur l’acier dans un contexte nordique.

— Une bonne formabilité, notamment pour les alliages de la série 6000, ce qui permet la fabrication de pièces extrudées complexes, dont les sections sont optimisées de telle manière à obtenir un ratio performance/poids élevé.

— Une facilité de fabrication en usine des pièces d’aluminium, du fait de la légèreté du métal, ce qui facilite sa manutention. Cela permet un gain de productivité significatif, estimé à 25% par rapport aux constructions en acier (Guillot,2013).

L’utilisation d’alliages d’aluminium en tant que matériaux de construction est cependant limitée par plusieurs facteurs :

— Un coût important. En effet, il est estimé que le prix d’une pièce d’aluminium extru- dée peut être supérieur de 25% à 75% à celui d’une pièce en acier équivalente, selon les formes et les dimensions de la pièce (Roche Ingénieurs-conseil,2008). Ce coût est également fortement dépendant des capacités de production de pièces extrudées et de la facilité d’obtention de ces dernières à proximité du chantier. L’aluminium nécessite moins d’entretien que l’acier, notamment au niveau de la protection contre la corrosion, ce qui réduit les coûts d’exploitation.

— Une faible expérience dans le domaine des constructions en aluminium. Le peu d’ou- vrages érigés en alliages d’aluminium, le peu de recul sur ces constructions, le faible nombre de publications scientifiques à ce sujet, la nouveauté des codes de construc- tion, l’indisponibilité d’outils de conception adaptés, le manque de connaissances des ingénieurs sur l’aluminium structural, et les difficultés d’approvisionnement de pièces extrudées limitent considérablement l’expansion de l’utilisation de l’aluminium dans les ponts.

2.3.3 Historique de l’utilisation de l’aluminium dans les ponts

La première utilisation de l’aluminium sur un pont remonte en 1933, à Pittsburg, aux Etats- Unis : le tablier du pont Smithfield Street, en bois et acier, fut remplacé par un tablier en alliage d’aluminium 2014-T6, remplacé en 1967 par un tablier en alliage 6061-T6, plus résis- tant à la corrosion. L’utilisation d’aluminium a permis d’alléger la structure de 675 tonnes. Cette diminution du poids mort a autorisé une augmentation conséquente de la charge utile admissible de 4,5 à 16 tonnes (Siwowski,2006).

Le premier pont dont la travée est entièrement en aluminium a été érigé en 1946 : il s’agit du pont Grass River, à Massena, aux Etats-Unis. D’une portée de 30,5 mètres, ce pont a une

travée 43% plus légère qu’une travée équivalente en acier. Plusieurs autres ponts entièrement en aluminium ont été bâtis à la fin des années 1940 et durant les années 1950. Parmi ces ponts on compte notamment le pont d’Arvida, enjambant la rivière Saguenay, au Québec. Ce pont d’une portée centrale de 88,4 mètres, érigé en 1950 dans un alliage 2014-T6, est le pont en aluminium le plus long du monde (Das et Kaufman,2007). Ce pont illustre bien l’intérêt de l’aluminium dans les applications structurales puisqu’il n’a nécessité pour toute réfection que le remplacement de certaines membrures, bien que l’alliage 2014-T6 soit moins résistant à la corrosion que les alliages de la série 6000.

FIGURE2.4 – Pont d’Arvida, au Québec (crédit photo : Centre de recherche sur l’aluminium

- REGAL).

Au début des années 1960, l’apparition de nouveaux alliages plus adaptés aux procédés d’extrusion et de soudage ont élargi le champ des applications possibles de l’aluminium dans les ponts.

Le rapport de l’entreprise Roche Ingénieurs-conseil, Positionnement de l’aluminium dans la construction des ponts au Canada : répertoire, problématique et stratégie, de 2008 à l’Association de l’aluminium du Canada et au Centre québécois de recherche et de développement de l’alu- minium, fait un inventaire de 58 ponts en aluminium construits entre 1930 et 2008. L’histo- rique de ces constructions est représenté sur la figure2.5. On constate, sur cette figure, que la majorité de ces ponts a été érigée entre 1950 et 1979, période durant laquelle l’utilisation de l’aluminium était devenue avantageuse du fait de l’augmentation du coût de l’acier. Sur

les 58 ponts de l’inventaire, 21 sont des passerelles piétonnes. Les alliages majoritairement utilisés pour les ponts routiers et ferroviaires sont les séries 2014, 6061, 6063 et 6351.

FIGURE2.5 – Nombre de ponts en aluminium construits dans le monde par périodes, d’après Roche Ingénieurs-conseil(2008).

2.3.4 Différents types de platelage en aluminium

2.3.4.1 Le platelage Svensson (SAPA FRONT)

Ce platelage fut développé dans les années 1980, par l’entreprise SAPA, en Suède. Il est constitué d’extrusion d’aluminium 6063-T6, proposées en deux formats différents, en fonc- tion de leurs dimensions, comme on peut le voir sur la figure2.6.

FIGURE2.6 – Extrusions du tablier Svensson, d’aprèsRoy(1999).

Comme représenté sur la figure2.7, les extrusions sont montées transversalement sur les poutres principales de l’ouvrage, auxquelles elles sont liées par des extrusions d’ancrage et des boulons en acier inoxydable ou galvanisé. Les extrusions sont liées latéralement par emboîtement grâce à un système de formes complémentaires mâle-femelle aux bords des

extrusions. Les extrusions sont libres de se déformer latéralement, sous l’effet des contraintes thermiques, puisqu’elles ne sont retenues que par frottements. Ce type de platelage agit en tant que tablier non-composite

FIGURE2.7 – Système de fixation des extrusions Svensson, d’aprèsRoy(1999).

Deux types de revêtement peuvent constituer la surface de roulement du platelage Svens- son :

— L’acrydur, généralement utilisé sur des panneaux préfabriqués, est un matériau à base d’acrylique et de granules d’oxyde d’aluminium. Il est réalisé en usine et a une épais- seur d’environ 6 mm.

— L’enrobé bitumeux est un meilleur choix lorsque le revêtement est fait sur le chantier. Dans ce cas, on dépose au préalable une membrane imperméable élastomérique sur le platelage, puis on la recouvre d’une couche d’enrobé bitumeux d’environ 65 mm d’épaisseur.

Les avantages du platelage Svensson sont :

— Aucune soudure n’est nécessaire pour l’assemblage, ce qui est intéressant dans la me- sure où le soudage de l’aluminium demande un équipement onéreux et une main d’oeuvre spécialisée, l’aluminium ne se soudant pas comme l’acier. Cela permet égale- ment d’éviter la diminution des propriétés mécaniques liée à la présence d’une ZAT ; — Ce système est très rapide à installer, puisque les panneaux sont fabriqués en usine,

acheminés sur chantier par camions, et leur installation sur le site ne nécessite que des moyens classiquement présents sur un chantier : grue et camions. En comparaison avec la construction d’un tablier en béton, on économise le temps de mise en place des

coffrages, de coulée et de cure du béton. Cela permet de réduire fortement la période pendant laquelle la voie de circulation est inaccessible. En outre, le boulonnage est un procédé rapide à exécuter et maîtrisé par tous les ouvriers, contrairement au soudage.

Cependant, le platelage Svensson a un coût six fois plus important qu’un tablier en béton armé. Une étude de coût a été réalisée pour comparer l’investissement sur 40 ans pour un platelage en bois et un platelage Svensson (Arrien,1995). Cette étude démontre que le tablier Svensson est le plus avantageux des deux, même si l’investissement initial est plus impor- tant. Cependant, cette étude a été réalisée il y a plus de 20 ans, il faut donc considérer ces conclusions avec du recul, puisque les facteurs pris en compte pour l’étude peuvent avoir changé pendant cette période.

2.3.4.2 Le platelage d’AlumaBridge Présentation

ALUMABRIDGEest une entreprise américaine basée à Ann Arbor, Michigan. Cette so- ciété a conçu le tablier AlumaBridge, qui s’inspire du tablier AlumaDeck, conçu dans les années 1990 par les entreprises REYNOLDSMETALCOMPANY et HIGH STEEL STRUCTURES

(Beaulieu et Internoscia,2015). Ce tablier est développé à l’origine pour répondre aux be- soins du gouvernement de Floride, qui souhaite remplacer les tabliers en grillages métal- liques utilisés sur de nombreux ponts à bascule construits entre les années 1950 et 1970 en Floride (URS Corporation, Inc.,2012).

Ce platelage orthotrope est constitué d’extrusions de profilés d’alliage 6063-T6 soudés par MIG ou par friction-malaxage entre eux en usine. Il existe deux types d’extrusions : un modèle de 5 pouces (127 mm) de haut, représenté sur la figure2.8, et un modèle de 8 pouces (203,2 mm) de haut, représenté sur la figure2.9. Ce système permet de réaliser des panneaux dont la longueur est variable : il s’agit de la longueur d’extrusion, et dont la largeur dépend du nombre de profilés soudés entre eux. Du fait des capacités des extrudeuses actuellement utilisées , la longueur des extrusions est cependant limitée à 32 pieds (9,6 mètres) pour les modèles de 5 pouces et 33 pieds (9,9 mètres) pour les modèles de 8 pouces (Osberg,2015). De- puis 2012, le procédé de soudure utilisé est le friction-malaxage, ce qui permet une soudure à travers des épaisseurs d’aluminium variable sans perte de propriétés mécaniques signifi- catives. L’intérêt des extrusions de 5 pouces, par rapport à celles de 8 pouces, est qu’elles sont plus larges et nécessitent donc moins de soudures. Cela permet de réduire les temps et les coûts de fabrication, ainsi que de réduire le nombre de zones de faiblesse.

FIGURE2.8 – Vue en coupe d’un tablier constitué d’extrusions type AlumaBridge. On dis-

tingue trois extrusions principales et deux extrusions d’extrémité (crédit photo : ALUMA-

BRIDGE).

La surface de roulement sur le tablier ALUMABRIDGEest constituée d’une couche d’en-

viron 10 mm d’épaisseur d’époxy et de pierre basaltique déposée en usine. La masse surfa- cique de ce revêtement est d’environ 25 kg/m2.

Connexion entre le platelage et le système porteur

La connexion entre le platelage d’aluminium et les poutres en acier est problématique : la difficulté la plus grande est que l’accès physique à l’intérieur des extrusions est difficile, ce qui pose des problèmes pour la mise en place des boulons et leur maintien lors du serrage. Plusieurs technologies sont envisagées pour réaliser la connexion :

— un bras magnétique a été conçu pour positionner les boulons dans les cavités des ex- trusions. Cependant cette solution n’est pas jugée satisfaisante actuellement ;

— boulonner en usine, avec des boulons ASTM F3125 grade A325, le platelage à des lon- gerons, puis boulonner sur chantier les longerons aux poutres principales ;

— pour le pont de Saint-Ambroise, le platelage est relié aux poutres principales par le biais de glissières boulonnées sur la face inférieure du platelage, au moyen de boulons aveugles Hollo-Bolt (connecteurs présentés à la section2.4.6.3), comme illustré sur la figure2.9. Cependant, cette solution ne permet pas de développer l’action composite entre le platelage et les poutres. En effet, ces boulons ne développent pas une résistance en traction suffisante pour être précontraint (Lindapter,2017).

FIGURE2.9 – Détail de l’assemblage du pont de St Ambroise, sur une demi-coupe du tablier (crédit photo : MMM GROUP).

Avantages et inconvénients

Les avantages du platelage d’ALUMABRIDGE, par rapport à un tablier classique en béton ou en bois, sont les suivants :

— durabilité, notamment grâce à la résistance à la corrosion de l’aluminium, ainsi qu’à la résistance à la fatigue du platelage, surtout depuis les récentes améliorations du procédé de soudage par friction-malaxage ;

— poids inférieure à celui des tabliers classiques, ce qui permet d’augmenter la charge vive admissible ;

— rapidité d’installation, puisqu’il suffit de poser les panneaux produits en usine sur le système porteur, puis de réaliser la connexion. Cela permet de réduire les temps d’interruption de trafic routier.

Ce tablier a néanmoins certains défauts, qui constituent des défis à relever pour la société ALUMABRIDGE, parmi lesquels :

— un coût élevé, estimé par ALUMABRIDGEà 120 $US par pied carré, soit environ 1655 $CA par mètre carré1;

— les phénomènes de corrosion galvanique et de différence de dilatation thermique entre l’acier et l’aluminium, ainsi que l’inaccessibilité à l’intérieur des extrusions posent pro- blème pour réaliser l’assemblage avec les poutres en acier ;

— la nouveauté de ce produit peut freiner les clients et les investisseurs, pouvant préférer les solutions plus traditionnelles, dont le comportement est bien documenté.

Exemple d’application : le pont de Saint-Ambroise, au Québec

Le tablier ALUMABRIDGEa été utilisé au Québec pour la première fois en 2015, pour

la réfection du pont de Saint-Ambroise, dans la région de Saguenay. Ce pont comporte deux panneaux constitués d’extrusions de 8 pouces de hauteur, soudées en usine par friction- malaxage. Chaque panneau a une longueur de 10,4 m et une largeur de 3,75 m. Les deux panneaux furent boulonnés entre eux sur le chantier. La connexion entre le platelage et les poutres principales s’est fait par le biais de glissières boulonnées au platelage. En effet les se- melles n’étaient pas assez larges pour pouvoir accueillir une connexion boulonnée. Il s’agit donc d’un pont à action non composite (Beaulieu et Internoscia,2015). La liaison entre les panneaux consiste en un système d’emboîtement (visible sur la figure 2.11) au bas du pla- telage et une liaison boulonnée pour le haut du platelage (la ligne de trous est visible sur la figure 2.10). Les boulons utilisés pour la liaison boulonnée sont des boulons aveugles à douille expansible (voir figure2.12).

FIGURE2.10 – Installation du platelage ALUMABRIDGEsur les poutres de support du pont de Saint-Ambroise (Beaulieu et Internoscia,2015).

FIGURE2.11 – Détail du joint boulonné entre les deux panneaux du pont de Saint-Ambroise (Crédit photo : Centre de recherche sur l’aluminium - REGAL).

FIGURE 2.12 – Détail de la connexion boulonnée entre les panneaux du pont de Saint- Ambroise (crédit photo : MMM GROUP).

2.3.4.3 Pont de la Nippon Light Metal Company

La société japonaise NIPPONLIGHTMETALCOMPANYa conçu, de 2008 à 2010 et construit

en 2011 un pont à platelage orthotrope en aluminium dans la ville de Shizuoka, à proximité de Tokyo. Ce pont est constitué d’extrusions d’aluminium soudées par friction-malaxage. Il fait 4,56 m de long et 12,82 m de large. (Nippon Light Metal Company, Ltd,2011). La liaison entre le platelage est les poutres est assurée par des goujons ; cela permet d’obtenir une action composite.

FIGURE2.13 – Pose du platelage en aluminium japonais. (crédit photo :Nippon Light Metal

Company, Ltd(2011)).

2.3.5 Normes de calcul pour les ponts en aluminium

Le calcul des structures d’aluminium dans les ponts est entré dans la norme canadienne CAN/CSA-S6-2014 en 2011, avec l’ajout de la section 17. Cette section a été élaborée par le sous-comité technique 17. Cet ajout se base sur les ouvrages suivants :

— le chapitre 10 de la norme CAN/CSA-S6-2014 Ouvrages en acier ; — la norme CAN/CSA-S157-05 Strength design in aluminium ; — la norme européenne Eurocode 9 Design of aluminium structures ;

— la section Specification for aluminium structures du Aluminium Design Manual publié par The Aluminium Association ;

— le livre Calcul des charpentes d’aluminium, D. Beaulieu, PRAL, 2003.

Le chapitre 17 de la norme est similaire à celui sur les structures en acier. Il n’existe ce- pendant pas encore de manuel de la construction métallique, comme le Handbook of Steel Construction, publié par l’Institut canadien de la construction en acier.