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5.3 Réseau d’aires protégées

5.3.3 Établir des aires temporaires

La dernière recommandation de cette thématique concerne un nouveau type d’aires protégées adapté au déplacement de la biodiversité associé aux changements climatiques. Un des principaux problèmes que toutes les aires protégées au Canada rencontrent face aux impacts des changements climatiques est leur caractère géostationnaire. La fixité dans l’espace des aires protégées deviendra un problème lorsque les espèces visées par les buts de conservation de l’aire protégée se déplaceront à la suite des impacts des changements climatiques. Ces espèces, en changeant d’aire de répartition, ne seront plus protégées par l’aire et celle-ci pourrait devenir désuète. Trois solutions s’offrent alors aux gestionnaires d’une de ces aires protégées désuètes : a) l’aire protégée demeure à son emplacement actuel et protège les espèces toujours présentes (ou nouvellement arrivées) dans l’aire, b) l’aire protégée est abolie et un nouveau processus d’implantation est lancé, ou non, et c) l’aire protégée est planifiée de manière à « suivre » l’aire de répartition de l’espèce nécessitant de la protection. Cette dernière solution sera le point principal de la présente recommandation. Ceci répond au premier, au deuxième et au quatrième principes d’ECCC. Bien que l’aspect stationnaire des aires protégées soit un problème majeur en ce qui concerne le déplacement de la biodiversité à protéger, très peu de solutions sont présentées et développées dans la littérature (Berteaux, 2014). C’est là tout l’intérêt d’introduire le concept d’aire protégée temporaire. Le concept de déplacer des aires protégées déjà établies dans le temps a été présenté par David Welsh en 2005. Sa conclusion envers ce concept s’est révélée comme étant négative et que PC ne devrait pas considérer cette option afin de mitiger les impacts des changements climatiques. Cependant, celui-ci se concentre seulement sur les parcs nationaux sans prendre en compte le potentiel de changements dans le fonctionnement des aires protégées et toutes les possibilités que les différents types d’aires protégées au Canada pourraient offrir à la lutte contre les impacts des changements climatiques sur la biodiversité. (Welsh, 2005)

Le concept d’aire protégée temporaire présenté dans les prochaines lignes dérive principalement de la possibilité unique qu’offre la Loi sur la conservation du patrimoine naturel de la province de Québec, discutée au deuxième chapitre, soit le statut d’aire protégée projetée. Cependant, contrairement aux aires

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protégées traditionnellement issues de cette loi, l’aire protégée temporaire n’est fixe dans l’espace que pour une durée donnée, ne devenant jamais permanente. Au terme de l’échéance, l’aire protégée temporaire est déplacée suivant le mouvement de l’espèce visé par le but de conservation. Ce nouvel emplacement est étudié et déterminé à l’avance, grâce à des recherches et un suivi du déplacement de la population. Cette approche permet alors de contrer le caractère géostationnaire des aires protégées tout en assurant la conservation efficace de la biodiversité. L’aire protégée temporaire serait établie en vertu d’une loi, par exemple la Loi sur les espèces sauvages du Canada pour les aires protégées terrestres et la Loi sur les océans pour les aires protégées marines et demandera des modifications majeures à ces lois fédérales, afin que le concept soit établi nationalement. Ceci demandera un travail important de la part des entités responsable de l’application de ces lois, cependant, il importe de se rappeler la recommandation à la sous- section 5.2.2 qui traite de la gouvernance partagée et du partage de territoire au bénéfice de la conservation de la biodiversité et des habitats naturels. D’ailleurs, le partage de territoire entre les gouvernements fédéral et provinciaux et territoriaux pourrait être grandement favoriser le fonctionnement de l’aire protégée temporaire.

Ce type d’aire se base sur deux concepts : l’espace temporaire et la durée fixe. L’espace temporaire signifie que l’aire protégée est implantée sur des terrains de façon non permanente et sera déplacée éventuellement. Pour ce qui est de la durée fixe, cela signifie que la durée de l’établissement de l’aire sur les terrains est fixe dans le temps, avec une date de début et une date de fin. Un mécanisme de transplantation permet à l’aire protégée d’être déplacée à échéance, selon les besoins des espèces protégées et les nouvelles connaissances acquises entretemps. Le temps fixe se mesure en un certain nombre d’années suffisamment long pour que l’aire protégée devienne désuète et doive être déplacée afin de suivre les espèces pour lesquelles elle a été implantée. Pendant ces années de protection « fixes », des recherches sur le déplacement des espèces à protéger et les impacts des changements climatiques sur l’environnement et les espèces devront être entreprises. Ces recherches, combinées aux suivis des populations, serviront, lorsque le temps sera venu, à trouver un nouvel emplacement pour l’aire protégée temporaire selon les besoins des espèces visées. Le nouvel emplacement de l’aire protégée temporaire devra être déterminé quelques années à l’avance afin que celle-ci puisse être déjà établie lors de l’échéance de la précédente, ce qui veut dire que les ententes avec les propriétaires de terrains devront être conclues pendant que subsiste la première aire protégée. Ceci permettra de toujours avoir en place une aire protégée destinée à la conservation des espèces visées et de prévenir l’utilisation du territoire à l’encontre des objectifs de conservation sur le prochain emplacement de l’aire protégée temporaire, comme par exemple, l’exploitation forestière ou l’exploitation minière intense. Néanmoins, avec ce concept d’aire protégée temporaire, le but de conservation ne change pas dans le temps, seulement la localisation de celle-ci.

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Les prochains paragraphes sont consacrés à un exemple fictif détaillé afin de démontrer le possible fonctionnement du concept de l’aire protégée temporaire.

La figure 5.1a représente la distribution, en 2018, d’une espèce avec un statut vulnérable qui requiert une protection sous forme d’aires protégées pour conserver ses sites rares de reproduction. Le cercle dans la figure 5.1a représente l’emplacement de l’aire protégée temporaire, pour les 30 prochaines années, ayant pour but de conserver lesdits sites de reproduction. Des suivis de l’état de l’espèce ainsi que des projections de déplacement de l’espèce sont réalisés régulièrement.

Après 20 ans d’implantation, les recherches et les suivis démontrent une tendance de déplacement de l’espèce vers le nord de la zone de répartition (figure 5.1b). Selon cette tendance, l’emplacement de l’aire protégée temporaire ne profitera plus à l’espèce et ne remplira plus ses objectifs de conservation à la date d’échéance de cette aire. Suite à cette constatation, les gestionnaires de l’aire étudient les endroits potentiels pour déplacer l’aire protégée vers un nouveau site de reproduction de l’espèce. Des ententes sont prises avec les propriétaires des terrains convoités pour le nouvel emplacement et l’aire protégée est déplacée en 2048 à son nouvel emplacement pour les 30 prochaines années. La nouvelle aire protégée est représentée par un carré à la figure 5.1 b. Par la suite, le cycle continue sachant que si l’aire de répartition de l’espèce n’a pas changé après 30 ans, il serait possible de renouveler les ententes avec les propriétaires de terrains.