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D ÉSENCLAVEMENT ET MISE EN PLACE DE LA TRAME URBAINE

Dans le document Villes du Sahara (Page 36-43)

Les étapes de la construction du réseau routier donnent une idée de la massivité de l’intervention étatique. 2 000 kilomètres de routes sont construits entre 1970 et 1975, 5 000 entre 1980 et 1985 et seulement quelques centaines durant la décennie suivante. L’extension maximale s’effectue donc durant un laps de temps réduit, une dizaine d’années, puis le rythme des chantiers ralentit après l’effondrement des cours du baril de pétrole pour être interrompu lorsque, en 1987, le désengagement de l’Etat est officiellement annoncé.

L’importance des travaux menés n’en est pas moins spectaculaire (fig.4). Sebha, Houn et les sites d’exploitation d’hydrocarbures sont reliés à l’axe central littoral durant les années 1960, première étape vers l’intégration des trois entités qui forment la Libye. Durant la décennie suivante, les agglomérations sahariennes « peu » éloignées du littoral de Ghadamès, Awjila et Al Jaghboub sont reliées au réseau routier national. Entre 1980 et 1985, les axes de Tripoli vers Sebha et Ghat et d’Awjila vers Al Jawf, dans le groupe d’oasis de Koufra sont achevés. Disposant de moyens financiers inégalés, l’Etat libyen achève ainsi l’essentiel du réseau routier national.

Dans toutes les directions, les axes goudronnés atteignent la limite méridionale des zones peuplées mais jamais les frontières. L’extension du réseau routier saharien apparaît donc d’abord comme un acte politique. Sa mise en œuvre aurait évidemment été difficile, et de toute évidence plus longue, sans les revenus exceptionnels tirés de la manne pétrolière. On comprend mieux que le recours au transport aérien ait souvent constitué un préalable pour les destinations les plus isolées, telles Ghadamès et les oasis de Koufra, à tel point qu’un cabinet d’experts internationaux, Doxyades, prônait en 1965 son extension au détriment de la route. L’importance et la qualité du réseau routier ont néanmoins eu un effet déterminant sur le processus d’urbanisation du Sahara libyen, d’autant qu’il fut parallèle à la rénovation rurale des régions d’oasis.

Parallèlement à la construction d’un réseau routier, l’Etat libyen procède à la réorganisation et à la densification de la trame urbaine en privilégiant trois objectifs : tenter de rééquilibrer le territoire national en limitant le poids des principales villes libyennes, Tripoli et Benghazi, qui concentrent une part croissante des habitants et des fonctions après l’accession à l’Indépendance, en impulsant la promotion administrative de centres régionaux et micro-régionaux sur l’ensemble du territoire ; diversifier les structures économiques des villes petites et moyennes ; les doter en infrastructures de base, souvent de manière ambitieuse, dans les domaines de la santé, de l’éducation, des transports et des équipements (adduction d’eau et assainissement, électricité) (S.K. Qezeiri, 1986).

Dans un premier temps, cette politique conforte la hiérarchie urbaine du Fezzan selon une division en trois strates. Sebha voit son rôle de centre régional renforcé et est à ce titre dotée de fonctions administratives, économiques, universitaires et de transports importantes, quoique sans rapport avec celles des deux autres « capitales régionales » de Tripoli et Benghazi. Les centres principaux de chacun des quatre ensembles oasiens

du Fezzan, Brak, Oubari, Mourzouq et Ghat, sont dotés de vastes périmètres agricoles, de services administratifs et sociaux (hôpitaux, banques), culturels et culturels (mosquées, bibliothèques, écoles et collèges). Tous les autres villages et bourgs bénéficient d’au moins une école, une poste, un souk d’Etat et une mosquée.

L’inventaire sommaire des fonctions dont chaque agglomération du Fezzan bénéficie laisse entrevoir l’artificialité d’une telle organisation. En effet, jusqu’à la moitié des années 1970, la population active correspond à près d’un quart de la population totale dont 80 % dans l’agriculture, 13 % seulement dans l’industrie et le restant dans l’administration. La large majorité des agriculteurs occupe déjà un second emploi car leur activité principale ne leur permet pas de subvenir aux besoins du ménage, même si l’artisanat reste très répandu (M. Alawar, 1982). Or, à partir de la seconde moitié des années 1970, le processus d’urbanisation est mené parallèlement à la nationalisation des activités économiques. En conséquence, l’ensemble des agglomérations dépend des subsides de l’Etat, autant pour leur construction et leur équipement que pour la dotation en emplois de la population active. Or, le développement des secteurs productifs se limite souvent à la modernisation du secteur agricole et l’industrie se résume au développement du secteur de la construction et à la mise en place de quelques unités de production (céramique à Brak, pâtes alimentaires et boissons gazeuses à Sebha), dépendante de la maintenance de services techniques qui se trouvent au mieux à Tripoli, au pire hors de la Libye.

Le second temps de la politique de dotation en équipement pousse pourtant la logique de déconcentration plus avant. Ainsi, si logiquement, Sebha est dotée d’un aéroport international et Ghat d’un aéroport national, en revanche, Brak, Oubari et Mourzouq, pourtant proche, et même Al Qatroun, modeste bourgade excentrée, bénéficient de liaisons avec Sebha. C’est pourtant le système universitaire qui connaît la plus forte extension, étroitement corrélée à la poursuite de la promotion administrative de nouveaux centres. A Sebha se trouve la plus importante université, Oubari, Brak et Mourzouq sont équipées de centres notables, regroupant quelques milliers d’étudiants et durant les années 1990, presque toutes les bourgades exerçant quelque rayonnement à l’échelle d’une portion de vallée, comptent une antenne universitaire. Ainsi, actuellement, on ne dénombre pas moins de dix sites universitaires dans le Fezzan, qui sont pour la plupart d’entre eux très dégradés. En revanche, ils sont suffisamment

l’université tout en demeurant chez elles, constitue la condition sine qua non d’accès à l’enseignement supérieur.

Créer des villes et les doter en équipement impose des choix et des arbitrages. En tentant de considérer le Sahara comme le reste du territoire national, les autorités libyennes ont mené à son terme leur vision de l’aménagement du territoire. C’est peut-être dans ce cadre que le traitement égalitaire du territoire et de ses habitants a montré ses limites avec plus de force que dans le reste de la Libye, la distance et la faiblesse des densités de peuplement rendant la maintenance d’un tel système plus difficile qu’ailleurs et par là plus sensible à la chute de la rente pétrolière.

L’URBANISATION GÉNÉRALISÉE, UNE DYNAMIQUE EN DEUX TEMPS

L'intensité de l'urbanisation se traduit par la croissance rapide du nombre d'agglomérations dans l'ensemble du Sahara (tab.2 et 3). Leur répartition s'explique différemment selon la période et la localisation. En 1973, on ne dénombre que 26 agglomérations dans l'ensemble du Sahara libyen mais en 11 ans, jusqu'au recensement suivant, leur nombre est multiplié par deux et demi. Il n'évolue guère par la suite, passant de 66 en 1984 à 77 en 1995. La multiplication rapide du nombre d'agglomérations confirme donc la relation étroite entre l'action de l'Etat et l'urbanisation en même temps que sa brièveté.

Tableau 2 : Nombre d’agglomérations par strate (1973-1984-1995)

1973 1984 1995 Total dont Fezzan Total dont Fezzan Total dont Fezzan De 1500 à 3500 18 11 50 30 41 27 De 3500 à 6000 5 1 6 5 21 15 De 6000 à 10000 2 - 6 1 5 2 De 10000 à 30000 - - 3 1 8 2 Plus de 30000 1 1 1 1 1 1 Total 26 13 66 38 76 47 Source : RGP 1973, 1984, 1995

Dès 1973 (fig.5), la trame urbaine du Sahara libyen diffère nettement de celle du reste du Sahara maghrébin. Du Maroc à la Tunisie, on observe vis-à-vis des régions sahariennes la persistance d’un gradient nord-sud marqué. L’urbanisation y est intense sur les piémonts puis elle devient discontinue au fur et à mesure que l’on s’avance vers les parties méridionales des territoires nationaux. Elle se confond alors avec les sites des régions d’oasis anciennes. En Libye, au contraire, l’absence d’une limite montagnarde aussi marquée entre le littoral et le désert a limité les effets de gradient. Le Fezzan, composante historique de la Libye, concentre, par contre, aujourd’hui la plus importante part de ces agglomérations. Une structure de peuplement ancienne se conforte donc.

Entre 1973 et 1984, les réseaux s’étoffent avec la multiplication des petits centres liés à la fixation des nomades et à la croissance démographique. La fixation est particulièrement active entre Ghadamès et Nalout au nord-ouest, entre Mizda et la Joufra au centre-ouest, le long des marges méridionales avec les villages d’Al Awaynat et Al Qatroun et dans la dépression de Mourzouq, notamment autour de Tsawa. Dans les principales régions oasiennes, le Fezzan, la Joufra, Koufra et Jalou, tous les villages connaissent des taux d’accroissement naturel élevés auxquels s’ajoute l’installation d’immigrés sur l’ensemble du territoire national.

Tableau 3 : Mesures de l’urbanisation dans le Sahara libyen Recensements Croissance annuelle

(en %) 1973 1984 1995 1973-1984 1984-1995 Population agglomérée* 111062 291492 445475 9.2 4 dont Fezzan 87354 181623 268440 Population totale 172756 324795 486378 5.9 3.7 dont Fezzan 111349 208313 310992 Taux d’urbanisation 64.3 89.7 91.5 Tx urb. Fezzan 78.5 87.2 86.3 Nombre d’agglomérations 26 66 76

Source : RGP, 1973, 1984, 1995 * agglomérations de 1 500 habitants et plus

ensembles oasiens, les agglomérations comptent désormais plus de 1 500 habitants ou bien ont totalement périclité, ce qui est loin d’être le cas au Fezzan. Mais plus que les taux de croissance, la multiplication du nombre d'agglomérations est un indicateur de tendance pertinent.

Figure 5 : Les agglomérations du Sahara libyen en 1973

Une évidence s'impose, l'urbanisation du Sahara libyen est une micro-urbanisation. En effet, en 1995, une agglomération sur deux compte moins de 3 500 habitants et huit sur dix moins de 6 000. En conséquence, la multiplication du nombre d’agglomérations durant les années 1970 et 1980 est avant tout celle des petits centres dont la répartition reflète le tropisme des axes routiers. Au recensement de 1995, le système urbain du Fezzan

restitue une image paradoxale puisque quatre personnes sur dix vivent dans une agglomération, Sebha, et cinq sur dix dans un semis régional composé de plus de quarante centres. Le réseau urbain fezzanais, à la fois macrocéphale et éclaté, permet de rappeler que ce que l’on considère comme un déséquilibre ailleurs est ici la norme. C’est sans doute l’une des plus fortes spécificités des systèmes urbains sahariens actuels.

Figure 6 : Les agglomérations du Sahara libyen en 1995

En fin de compte, l'urbanisation n'est pas en Libye de nature à remettre en cause la répartition de la population saharienne. Les dissymétries

totale du Sahara libyen oscille de 63 à 64 % entre 1973 et 1995. Bel exemple de l’inertie qu’un système de peuplement ancien oppose au volontarisme étatique même si c’est à l’initiative de l’Etat que le Sahara sort d’une longue période de « décadence ».

LES MIGRATIONS INTERNES, PRODUITS ET RESSORTS DE LA

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