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Le père de Zahra, mourant, appelle sa fille pour la libérer. Il lui demande son âge. Lorsqu’elle lui dit qu’elle a vingt ans, il se rend compte qu’il a menti pendant vingt ans. Il parle avec elle et lui avoue pourquoi il n’a jamais aimé sa mère.

TS : Excuse-moi, mais je voudrais te dire ce que je n’ai jamais osé avouer à personne, pas même à ta pauvre mère, oh! Surtout pas ta mère, une femme sans caractère, sans joie, mais tellement obéissante, quel ennui! Être toujours prête à exécuter les ordres, jamais de révolte, ou peut-être se rebellait-elle dans la solitude et en silence. (Ben Jelloun, 1987, p. 23)

TT (1) :

، ناسنا يلأ هب فارتعلاا يلع ادبأ ؤرجأ مل ام كل لوقأ نأ دوأ ينكل ، ينيحماس عضخت لب ، حرفت لا يتلا ، ةداجلا هأرملا هذه ، كمأ ةصاخ هآ . ةسئايلا كملأ يتح درمتت مل ، رماولاا ذيفنتل امئاد دادعتسا يلع تنك ، رجض يأ ، اهيف غلابم هقيرطب .تمصلا و هلزعلا يف درمتت تناك امبر وأ ، اقلطم )El Ashri, 1988, pp. 28-29)

Notre traduction du TT (1) :

Pardonne-moi, mais je voulais te dire ce que je n’ai jamais osé avouer à personne, même à ta pauvre mère. Ah, surtout ta mère, cette femme sérieuse, sans joie, mais qui se soumettait d’une manière exagérée, elle était toujours prête à exécuter les ordres, elle ne se rebellait jamais, ou peut-être qu’elle se rebellait dans la solitude et le silence.

TT (2) :

لاو ، ناسنا يلأ هب فارتعلاا يلع ؤرجأ مل ام كل لوقأ نأ تدرأ ينكل ، ينيحماس نكل ، ةحرفلا فرعت لا ،اهل ةيصخش لا ةأرما ، كمأ ةصاخ ! هآ ,ةنيكسملا كمأ يتح اهنأ امبر نكل ، ادبأ روثت لا امئاد رماولأا ذيفنتل ةدعتسم ! رجض يأ ،ةعاطلا ةديدش .تمصب ةدحولا ىف ترمذت (El Biali, 1993, p. 22)

Notre traduction du TT (2) :

Pardonne-moi, mais je voulais te dire ce que je n’ai jamais osé avouer à personne, même pas à ta pauvre mère. Ah! Surtout pas à ta mère, une femme sans personnalité, qui ne connaît pas la joie, mais qui est très obéissante, quel ennui! Toujours prête à exécuter les ordres, qui ne se révolte jamais; mais peut-être se plaignait-elle dans la solitude en silence.

Ce passage met en relief les rapports entre les hommes et les femmes. Il s’agit surtout de la situation des femmes, et de leur rôle en tant qu’épouses, liés à l’éducation conférée à celles-ci dès la naissance, c’est-à-dire à l’obéissance totale à l’homme, entre autres. Les conséquences d’une telle éducation se manifestent dans une réaction de refus, de mépris et d’insatisfaction et de la part des hommes, l’époux, et de la part des femmes, l’épouse.

Or, quelques éléments qui servent à faire transparaître le comportement de l’épouse, résultat de l’éducation de celle-ci dès la naissance, sont modifiés dans la première traduction : « une femme sans caractère » devient « cette femme sérieuse » («هذه ةداجلا ةأرملا »); « mais tellement obéissante » devient « se soumettait d’une manière exagérée » («اهيف غلابم ةقيرطب عضخت لب »). La transformation du premier élément « sans caractère » par

« sérieuse » réduit l’effet voulu dans l’original. Il s’agit de présenter la femme tel un être muet dans une société fondée sur la

suprématie totale de l’homme. La femme n’a aucune existence, ni pour son époux, ni pour elle-même, ni pour la société. Cette image montre le refus des hommes d’accepter la neutralité des femmes. Même si l’éducation des hommes va dans le sens d’une supériorité absolue sur les femmes, ceux-ci ne trouvent pas satisfaisante l’image d’une femme sans aucune existence, trop soumise, trop obéissante. Cela entraînera nécessairement une absence totale de dialogue. Ainsi la seconde transformation

« mais tellement obéissante » en « se soumettait d’une manière exagérée » (« اهيف غلابم ةقيرطب عضخت لب ») confirme-t-elle l’idée d’insatisfaction des hommes et leur mépris d’une soumission trop exagérée des femmes, telle qu’exprimée dans la première traduction. Cette transformation démontre également l’injustice infligée aux femmes dans la société. Celles-ci, de par leur éducation et de peur d’être répudiées, doivent être totalement soumises aux hommes, même en se faisant violence. Cette image constitue, d’après nous, une condamnation d’une société faite pour les hommes, qui relègue les femmes à un statut inférieur à celui des hommes.

Lors de notre présentation des stratégies du transfert des faits culturels, nous avons constaté que, pour Berman et pour Venuti, la traduction pose la question du rapport à l’étranger et à l’étrangeté. Or, le texte de Ben Jelloun est déjà, dans ce sens-là, une traduction mentale des faits culturels, puisqu’il présente en français une culture étrangère. Lorsque ce texte retourne vers l’arabe, se produit une neutralisation – du moins partielle – de l’effet d’étrangeté, même si la culture d’arrivée n’est pas en tous points équivalente à la culture de départ. Comme l’affirme Paul St-Pierre, la traduction est une transformation de l’original selon des normes et des critères ainsi que selon des conditions sociales et historiques qui permettent à la traduction d’exister, d’être reproduite ou d’être remplacée. Il démontre qu’une traduction n’est pas une reproduction d’un texte original; elle est la transformation réglée de celui-ci, et dans cette transformation, le traducteur se sert de critères gouvernant les relations entre textes et cultures,

« critères (qui) lui sont dictés non par le texte à traduire mais par son époque » (St-Pierre, 1990, p. 122).

Conclusion

Dans cet article, nous n’avons présenté que quelques exemples de la traduction des faits culturels dans La nuit sacrée et dans ses deux traductions en arabe, mais notre comparaison détaillée des deux traductions arabes avec l’original a révélé des stratégies différentes.

Dans la première, beaucoup d’éléments ont été changés ou omis (des passages complets, allant parfois jusqu’à deux ou trois pages).

Dans la deuxième traduction, il y a peu de modifications. En fait, la différence entre les deux traductions peut être attribuée à des éléments différents  : la maison d’édition des deux traductions – l’une est officielle et l’autre privée –; la différence de sexe (la deuxième traduction a été faite par une femme); les conceptions différentes eu égard à la responsabilité du traducteur – l’un se sent responsable à l’égard du lecteur et l’autre à l’égard de l’auteur; et, enfin, des tendances contradictoires existant au sein de la société égyptienne.

Dans la traduction des faits culturels, des éléments culturels disparaissent de la langue/culture source pour laisser apparaître de nouveaux éléments culturels dans la langue/culture cible; d’autres éléments culturels sont différemment traduits selon la visée de la traduction et d’autres non rendus sans raison valable.

En fait, pour que les cultures interagissent les unes avec les autres, s’enchevêtrent, s’enrichissent et s’ouvrent les unes aux autres, il faut que les deux cultures, source et cible, soient présentes dans un même texte. Il faut, dans chaque cas de traduction, situer le passage par rapport aux relations que les cultures et sociétés entretiennent entre elles, et par rapport aux pratiques spécifiques des traducteurs. C’est justement cette obligation de contextualiser les pratiques culturelles de traduction, et les traductions elles-mêmes, qui constitue l’intérêt primordial d’une analyse des traductions.

Université de Montréal

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RÉSUMÉ : Traduction de quelques faits culturels du français vers l’arabe : retour de l’original à son point d’origine ― L’article examine la traduction des faits culturels et les transformations opérées lors du passage d’une langue/culture à une autre. Les stratégies préconisées par certains théoriciens pour la traduction des faits culturels seront abordées afin de déterminer la stratégie à privilégier. Pour déterminer le contexte et les circonstances du choix d’une solution traductionnelle au détriment d’une autre, nous examinerons La nuit sacrée de Tahar Ben Jelloun publié en 1987, et ses deux traductions en arabe réalisées en Égypte en 1988 et en 1993.

ABSTRACT: Translating Aspects of Culture from French to Arabic: Returning Originals to their Origins ― The article examines the translation of cultural elements, as well as the changes that occur from language to language, from one culture to another. We will study strategies employed by authors for translating cultural elements, in order to identify a preferred strategy. To determine the context and circumstances necessary to choose one strategy over another we will examine La nuit sacrée, a novel by Tahar Ben Jelloun, published in 1987, and two Arabic translations undertaken and published in Egypt in 1988 and 1993.

Mots-clés : éthicité, faits culturels, transformation, voie du centre, retour à la culture d’origine

Keywords: ethnicity, cultural elements, transformation, the spaces in-between, return to original culture

Manal Ahmed El Badaoui

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