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Chapitre 2 : Recension des écrits

2.5 L’usage non médical des médicaments opioïdes (UNMMO)

2.5.2 Épidémiologie de l’UNMMO au Canada

Le Canada est le deuxième consommateur mondial d’opioïdes sous ordonnance (CCLT, 2013). C’est plus de 26 380 doses thérapeutiques normalisées d’opioïdes qui ont été consommées de 2008 à 2010 (Organe international de contrôle des stupéfiants, 2011). Cela représente une augmentation de 203 % par rapport aux 8713 doses prises de 2000 à 2002. De plus, cette hausse est encore plus forte que celle observée aux États-Unis (Fischer et Argento, 2012). Cette augmentation dans les taux de prescription a pour impact d’augmenter la disponibilité des MO dans la population, créant malheureusement un environnement propice à l’UNMMO. Après l’alcool, le tabac et le cannabis, les médicaments opioïdes ont été classés comme la quatrième substance d’abus la plus prévalente chez la population canadienne. Sa prévalence étant même plus élevée que celles de la cocaïne et de l’héroïne (Fischer et Rehm, 2009; Fischer et Rehm, 2011a). Selon l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues (ECTAD) de 2015, le taux de consommation d’opioïdes d’ordonnance dans la dernière année chez la population générale (15 ans et plus) était de 13 % ce qui représente une baisse par rapport au taux de 15 % enregistré en 2013. Parmi ces consommateurs de MO, 2 % (0,3 % de la population générale) ont déclaré en avoir fait l’abus (Statistique Canada, 2017). Dans cette enquête, l’abus était désigné comme l’usage de MO à des fins autres que l’usage thérapeutique prescrit, c’est-à-dire pour l’expérience, l’effet qu’il cause, pour se « geler », pour se sentir mieux (améliorer son humeur) ou pour composer avec le stress ou les problèmes. De plus, plusieurs exemples de MO étaient fournis aux répondants de l’enquête afin d’augmenter le taux de réponse. Toutefois, comme l’enquête est menée à partir d’un échantillon de numéros de téléphone, il n’est pas possible de joindre les ménages (et par conséquent les personnes qui en font partie) si tous les numéros de

téléphone d’un ménage sont absents de la base de sondage, ou si le ménage n’a pas de numéro de téléphone y étant associé. Cela signifie que les membres de ces ménages n’ayant pas de service téléphonique par ligne terrestre ou de téléphone cellulaire ne sont pas considérés et sont exclus de la population de l’enquête. Similairement, les populations vulnérables (comme les sans-abris, les utilisateurs de drogues par injection, les autochtones et les détenus) ne sont pas rejointes par l’ECTAD ce qui représente une limite majeure puisque ces populations sont grandement susceptibles de rapporter l’UNMMO.

Certains groupes spécifiques présentent une prévalence de l’UNMMO et des méfaits associés qui sont supérieurs à ceux de l’ensemble de la population canadienne. Il s’agit des jeunes étudiants, des Premières Nations et Inuits et des usagers de drogues de rue (Fischer et Argento, 2012).

Les jeunes sont plus susceptibles que les adultes de subir des méfaits associés à la consommation en général. Ainsi, ils représentent un groupe à risque élevé en ce qui concerne l’abus de MO et aux méfaits de ces derniers. À l’adolescence, le cerveau connaît un développement rapide et intensif qui peut être affecté par la consommation d’alcool ou de drogues, en particulier à un jeune âge (CCLT, 2007). L’usage précoce de drogues est également associé à une augmentation du risque futur de toxicomanie, de polyconsommation et possible de consommation de drogues plus dangereuses (CCLT, 2007; Chen et al., 2009). Plusieurs enquêtes provinciales mettent en évidence l’ampleur des méfaits associés aux MO chez les jeunes. Un sondage mené auprès d’élèves ontariens de la 7e à la 12e année a révélé que 14,0 % d’entre eux avaient consommé des MO à des fins non médicales en 2011 (Paglia- Boak et al., 2011). Les résultats de l’Alberta Youth Experience Survey de 2008 indiquaient quant à eux que presque un élève de la 7e à la 12e année sur cinq (17,2 %) avait consommé des médicaments d’ordonnance sans prescription au cours des 12 mois précédant l’enquête (Alberta Health Services, 2009). Plus récemment, Roy et al. (2015) ont effectué une analyse secondaire de l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire (EQSJS) 2010– 2011. Les auteurs ont établi que la prévalence de l’UNMMO chez les adolescents consommant des drogues illicites était de 1,9 %.

Selon l’Enquête régionale sur la santé des Premières nations de 2008–2010 réalisée auprès d’Autochtones âgés de 18 ans et plus vivants dans des réserves ou dans des

communautés nordiques, 4,7 % d’entre eux ont déclaré avoir consommé, au cours de la dernière année, des opioïdes illicites (héroïne) ou d’ordonnance, dont la morphine, la méthadone et la codéine, sans avoir d’ordonnance (CGIPN, 2012). Chez les Autochtones âgés de 12 à 17 ans, 1,3 % ont déclaré avoir pris des opioïdes illicites ou d’ordonnance, sans avoir d’ordonnance, dans les 12 derniers mois (CGIPN, 2012). De plus, l’UNMMO a été rapporté jusqu’à 50 % de la population dans de nombreuses communautés de la Nation Nishnawbe Aski du nord de l’Ontario (Katt et al., 2012).

La phase II du système de surveillance I-Track (2005 à 2008) a examiné les comportements de consommation de drogues des UDI provenant de dix sites sentinelles répartis à travers le Canada. Au cours des six mois précédant l’entrevue, les participants ont rapporté s’être injecté de la morphine non prescrite (40,4 %), de l’oxycodone (39 %) et de l’hydromorphone (26,5 %). Ils ont aussi rapporté avoir fait l’usage non médical, autrement que par injection, de TylenolMD avec codéine (26,4 %), d’oxycodone (22,4 %), d’hydromorphone (22,4 %) et de morphine (21,4 %) (Murphy et al., 2015). De plus, l’étude OPICAN réalisée dans sept grandes villes canadiennes (Vancouver, Edmonton, Montréal, Québec, Fredericton et St. John) a révélé que les opioïdes obtenus sous ordonnance, et non l’héroïne, représentaient la plus importante forme d’utilisation illicite d’opioïdes (Fischer et al., 2008a). Au moment où ce projet de recherche a été entrepris, les données québécoises de surveillance épidémiologique et de recherche auprès des UDI confirmaient une augmentation marquée de l’injection de MO, tant à Montréal qu’ailleurs au Québec (Bruneau et al., 2012; Leclerc et al., 2013; INSPQ, 2015). Dans un sondage réalisé auprès des personnes UDI de la région de Montréal en 2011 (Leclerc, 2011), le produit de formulations pharmaceutiques les plus fréquemment rapportés étaient l’hydromorphone sous forme de comprimés à libération immédiate (DilaudidMD, 94 %) et sous forme de capsules contenant des granules micro-encapsulées à libération prolongée sur 12 heures (Hydromorph ContinMD, 69 %). En 2014, près du deux tiers (62,8 %) des usagers du réseau SurvUDI avaient rapporté s’être injecté des médicaments opioïdes dans les six derniers mois. De plus, les données du réseau SurvUDI indiquent que la proportion de participant qui s’est injectée du DilaudidMD au cours des six derniers mois est passée de 27,4 % en 2003 à 54,0 % en 2014.