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Les émulsions, généralités

Partie I : État de l’art

1. Les émulsions, généralités

1.1. Phases, interfaces, et processus d’émulsification

Les émulsions sont des mélanges de phases non miscibles où l’une des phases est dispersée dans la seconde (Figure 19). La première est dite phase dispersée et forme des gouttes de tailles variables dans la seconde qui est appelée phase continue. Dans le cas de CLs dans une cellule, la phase dispersée correspond aux gouttes huileuses (CLs) et la phase continue à l’intérieur aqueux de la cellule, c’est-à-dire son cytoplasme.

Les émulsions sont relativement instables du point de vue thermodynamique. En effet, les phases sont non miscibles, ce qui indique que leurs constituants préfèrent avoir des interactions entre eux plutôt qu’avec ceux de la phase opposée. Cette interaction défavorable est à l’origine d’une tension de surface, c’est-à-dire une énergie par surface de contact entre les deux phases (Figure 19). L’Etat d’énergie la plus faible est donc celui qui présente le moins de surface de contact entre les deux phases, ce qui n’est absolument pas le cas avec la multitude de petites gouttes de phase dispersée dans la phase continue.

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Figure 19 – CLs : un problème de physique des émulsions. Les CLs peuvent être vus comme une émulsion d’huile dans l’eau. La stabilité des émulsions est contrôlée par la tension de surface provenant de l’interaction défavorable entre les molécules d’huile et d’eau.

Une émulsion à haute tension de surface aura donc tendance à minimiser la surface de contact et les gouttelettes se rassembleront par des processus activés par la tension de surface (Figure 20) tel que la fusion des gouttes entre elles (coalescence) ou le murissement d’Oswald 119. Le paramètre clé contrôlant la stabilisation des émulsions est donc la tension de surface qu’il est important de minimiser en vue de maintenir une émulsion. Ceci peut être réalisé à l’aide de molécules tensioactives qui, une fois localisées à l’interface, abaissent son énergie et donc sa tension (Figure 20). C’est ce que fait la cellule en couvrant ses CLs d’une monocouche des tensioactifs les plus répandus dans le vivant : des phospholipides.

Figure 20 – Stabilité des émulsions. Une émulsion est naturellement instable et a tendance à reformer une phase continue. Plus les gouttes présentent une haute tension de surface (gouttes nues) plus l’émulsion sera instable. La présence de surfactants, abaisse la tension de surface et permet la formation d’émulsions métastables à grande durée de vie.

Il faut noter que la présence de cette couche de phospholipides à la surface des noyaux huileux des CLs est une protection pour la cellule, car une interface à haute tension a tendance à abaisser son énergie en recrutant à sa surface toutes sortes de molécules. Dans la cellule, des gouttes d’huile nues auraient un effet dévastateur car elles agglomèreraient à leur surface les protéines du cytoplasme, empêchant alors le bon fonctionnement de la cellule.

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Cependant, si la tension de surface est régulée précisément, la cellule pourrait utiliser la propriété tensioactive de certaines protéines : si une énergie de surface trop grande pourrait agglomérer un grand éventail de protéines, une énergie de surface modérée pourrait favoriser le recrutement de certaines protéines spécifiques aux fonctions des CLs. La cellule a donc tout intérêt de réguler intelligemment la tension de surface de ses CLs, par exemple en jouant sur les types de phopholipides qui les recouvrent.

1.2. Les Phospholipides

Parmi les lipides qui entrent dans la composition de la structure de la cellule, les phopholipides sont les principaux constituants des membranes cellulaires 120.

Ce sont des molécules amphiphiles qui sont composées d’une tête polaire hydrophile et d’une queue apolaire hydrophobe, comportant une ou deux chaînes d’acides gras (Figure 21). Cette structure présentant deux parties aux propriétés physico-chimiques opposées permet aux phospholipides d’avoir un effet tensioactif important : dans le cas d’une interface eau-huile, la tête hydrophile va se positionner en direction de la phase aqueuse et la queue hydrophobe vers la phase huileuse. Les interactions tête-eau et queue-huile étant favorables, le phospholipide va ainsi écranter le contact eau-huile et donc diminuer l’énergie de surface de l’interface (Figure 21).

Figure 21 – Phospholipides structure et effet tensioactif. A, Les phospholipides sont des molécules amphiphiles présentant deux parties distinctes : la partie hydrophile, la tête, et la partie hydrophobe, la queue. La structure du DOPC (1,2-dioleoyl-sn-glycero-3-phosphocholine), ici donnée en exemple, possède une queue formée de deux acides gras. B, Le recrutement des phopholipides à l’interface de contact entre deux phases (hydrophile et hydrophobe) permet d’écranter les interactions défavorables et réduit l’énergie de surface, i.e. diminue la tension de surface. Les phopholipides sont donc des molécules tensioactives.

1.3. Organisation des phospholipides.

Les phospholipides sont donc des molécules tensioactives qui seront naturellement recrutées aux interfaces, et plus particulièrement à la surface d’une émulsion d’huile dans l’eau telle que les CLs (Figure 22).

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Figure 22 – Représentation schématique des structures formées par les phopholipides : bicouche plane, micelle, micelle inverse et vésicule. Ces structures se forment en milieu aqueux de manière à protéger au maximum leurs parties hydrophobes du milieu aqueux. Les micelles inverses ne permettent cette protection que lorsqu’elles s’agencent entre elles et forment un réseau de micelles inverses, les parties hydrophobes se mettant en contact et l’eau se trouvant au centre de la micelle inverse.

Quand les phospholipides sont mis en milieux aqueux, ils peuvent aussi former une grande variété de structures selon l’amplitude relative de leurs forces hydrophobe et hydrophile et leur géométrie (Figure 22). La structure la plus répandue dans les cellules est la bicouche phospholipidique qui compose l’essentiel des membranes cellulaires. On peut aussi trouver des micelles directes, des micelles inverses et des vésicules de tailles variables (Figure 22). La formation de telles structures peut aussi être modulée par la nature du solvant, la concentration d’un sel ou la température 121.

1.4. Déformation d’une interface

La déformation d’une interface, comme c’est le cas lors du bourgeonnement d’un corps lipidique, est régulièrement accompagnée d’une augmentation de surface de l’interface et de la création de zones courbées (Figure 23, A).

Augmenter la surface d’une interface expose de plus en plus les constituants des deux phases et multiplie ainsi les interactions défavorables. Pour augmenter la surface d’une quantité ∆!, il faudra fournir une énergie ∆!=!∗∆!, où ! est la tension de surface de l’interface (Figure 23, B). On comprend alors qu’une interface présentant une basse tension de surface sera plus aisée à déformer.

Courber une interface provoque des contraintes latérales sur les molécules présentes à la surface. Le module de courbure est une grandeur qui reflète la propension d’une surface à se courber sous une action extérieure : plus le module est petit, plus il sera facile de courber l’interface ; plus il est grand, plus cela sera énergétiquement défavorable. Un autre paramètre décrit la courbure que la surface adopterait si aucune contrainte ne lui était appliquée : la courbure spontanée de l’interface. Plus l’état de courbure de l’interface sera proche de la courbure spontanée, plus son énergie sera basse (Figure 23, B). Le coût énergétique par unité de surface pour courber une interface de module de courbure !, ! =! 2∗ !−!" !+

!!!!, avec != (!

!+ !

!)/2, la courbure imposée, !" la courbure spontanée de l’interface,

!! le module de courbure gaussien et !! =!

!!

! la courbure gaussienne où !

!et !

! sont les courbures principales de l’interface. La structure des molécules présentes à l’interface

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influencera directement l’énergie de courbure de l’interface en modifiant par exemple le terme de courbure spontanée !" ou la valeur des modules de courbure.

Figure 23 – Déformation d’une interface et énergies mises en jeux. A, La déformation d’une interface peut produire deux effets principaux : une augmentation de sa surface et la formation de zones courbées. B, Augmenter la surface d’une interface a un coût énergétique qui est directement proportionnel à la tension de surface de l’interface (γ). C, Courber la surface a aussi un coût énergétique dépendant du module de courbure (K) de l’interface et de sa courbure spontanée Co.

Pour faciliter la formation d’un corps lipidique, il est donc préférable que les modules de courbure et la tension de surface soient relativement faibles et que la courbure spontanée soit favorable à la déformation souhaitée.

1.5. Diffèrent types de phospholipides

De manière à former un CL, il faut être capable de déformer une interface et d’agir sur sa tension de surface et son énergie de courbure. Pour cela, il se trouve que les tensioactifs tels que les phopholipides sont des outils très efficaces.

La cellule possède un très grand éventail de phospholipides à sa disposition dont les têtes peuvent varier de composition, de taille (encombrement stérique) et de charges et dont les queues peuvent varier de longueur de ramification et de nombre d’insaturations 122.

Ces paramètres permettent d’influencer directement le pouvoir tensio-actif des phospholipides mais aussi leur géométrie propre 123. On peut ainsi avoir des phospholipides ayant une géométrie cylindrique, si la section de la tête hydrophile est de taille comparable à celle de la partie hydrophobe, une géométrie conique, si la section de la tête plus grande que celle de la queue, ou bien une géométrie trapézoïdale, si la section de la queue plus grande

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que celle de la tête (Figure 24). Suivant ces géométries, les phospholipides auront tendance à former des structures différentes : des bicouches planes pour la géométrie cylindrique, des micelles directes pour la géométrie conique, et des micelles inversées pour la géométrie trapézoïdale. A noter que pour les micelles inversées, il faut que la phase huileuse se trouve à l’extérieur de la micelle.

Figure 24 – Influence de la géométrie des phospholipides. Les phospholipides peuvent présenter des géométries différentes suivant leur structure moléculaire : cylindriques (haut), coniques (milieu) et trapézoïdaux (bas). Selon leur géométrie intrinsèque, ils auront tendance à former des structures différentes : des bicouches pour les cylindriques, des micelles pour les coniques et des micelles inverses pour les trapézoïdaux. Les topologies adoptées reflètent directement la courbure favorisée par ces molécules : les phospholipides cylindriques ont une courbure intrinsèque nulle, les phospholipides coniques une courbure intrinsèque positive et les phospholipides trapézoïdaux une courbure intrinsèque négative. La géométrie des phospholipides influence aussi directement leur capacité à couvrir une interface et donc leur pouvoir surfactant.

Si les différents types de phospholipides forment naturellement de telles structures, c’est que leurs géométries les prédisposent à favoriser un arrangement présentant des courbures différentes. Les phospholipides cylindriques favorisent les courbures nulles, les phospholipides coniques les courbure positives et les phospholipides trapézoïdaux les courbure négatives (Figure 24). C’est pour cela que l’on parle de la courbure intrinsèque des phospholipides pour décrire leur géométrie.

La présence de phospholipides de géométrie variable pourra donc directement influencer la courbure spontanée de l’interface (!") et son module de courbure. Par exemple, des phospholipides coniques favoriseront la déformation de la surface dans le sens positif, c’est-à-dire dans le sens du bourgeonnement présenté en Figure 23.

Comme il en était question précédemment, la tension de surface de l’interface peut aussi être diminuée par la présence de phospholipides. Ces derniers écrantent les interactions défavorables entre les deux phases. Plus leur densité est grande, moins les défauts de couverture laissent interagir les deux phases et plus la tension est faible. (Figure 21).

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Ainsi, les différents types de phospholipides peuvent aussi affecter la tension de surface car, suivant leur géométrie, ils sont plus ou moins capables de fournir une couverture homogène à l’interface. Par exemple, les phospholipides cylindriques sont de très bons surfactants qui permettent d’atteindre de basses tensions 44,55,103,124 alors que les phospholipides trapézoïdaux ou coniques laissent de plus nombreux défauts, ce qui en fait de moins bons tensioactifs (Figure 24). Il faut cependant nuancer en précisant que des mélanges de ces phospholipides de géométries différentes pourront sûrement fournir de très bonnes couvertures grâce à des effets de complémentarité de forme.

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