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4.4 Discussion

4.4.1 Émergence d’un mécanisme de "meneur-suiveur"

Dans cette étude, nous avons cherché à savoir comment deux styles de marche différents pouvaient se conjuguer dans une dynamique de groupe. En effet, si l’on considère une situation asymétrique telle que colère-neutre, comment un marcheur dans un état neutre peut-il marcher avec un marcheur en colère qui marche plus vite ?

Dans le cas d’émotions non transitives et sans dialogue, les acteurs ont marché côte à côté lorsque les émotions étaient symétriques. Lorsque elles étaient asymétriques, nous avons pu observer plusieurs choses. Tout d’abord, en situation colère-neutre, nous avons montré que le mouvement du groupe est dirigé par l’acteur jouant la colère. Ce dernier marche au devant du groupe et impose son rythme de marche (vitesse plus élevée). Un comportement inverse est observé dans une situation peur-neutre : l’acteur jouant la peur semble suivre le marcheur neutre. En effet, dans cette situation, l’acteur expressif se place derrière l’acteur neutre et il laisse ce dernier imposer la vitesse du groupe (aucune diffé- rence entre la vitesse de groupe dans une situation peur-neutre par rapport à une situation neutre-neutre). Ces observations nous laissent penser qu’une situation émotionnelle symé- trique puisse induire de la coopération tandis qu’une situation émotionnelle asymétrique pourrait induire un mécanisme de meneur-suiveur. Des interactions meneur-suiveur ont déjà été décrites dans le cas d’interactions physiques. Par exemple, lors d’une tâche de locomotion en face à face, Ducourant et al. [DVKB05] ont montré que le suiveur coordon- nait sa distance interpersonnelle par rapport à la perception du déplacement global du meneur. De leur côté,D’Ausilio et al. [DBL+12] ont étudié l’efficacité de la communication dans un orchestre. Ils ont montré qu’en fonction de la cinématique du chef d’orchestre (meneur), les musiciens (suiveurs) jouaient et interagissaient de manière différente. On peut également rapprocher nos résultats à ceux obtenus par d’autres études portant no- tamment sur l’organisation spatiale lors d’interactions sociales. Ainsi, la position spatiale d’une personne dans un groupe semble être primordiale dans l’émergence d’un leaderhip à l’intérieur de ce groupe [Kna12]. Il a ainsi été montré que la manière dont on s’assoie autour d’une table avec quelqu’un d’autre dépend de la manière dont on veut interagir avec cette personne [Coo70,Arg13]. Par exemple, dans une telle situation, le fait de s’as- soir côte à côte est signe de coopération tandis que le fait de s’assoir face à face est signe de compétition. Dans notre expérience, nous avons demandé aux acteurs de marcher en- semble sans donner d’instructions quant aux rôles qu’ils devaient prendre. Nous qualifions les interactions observées dans notre étude d’interactions meneur-suiveur puisqu’au regard des résultats obtenus, il semble que les sujets ont prit des rôles de meneur ou de suiveur en fonction de l’émotion qu’ils devaient jouer. Dans le cas d’une interaction colère-neutre, l’acteur en colère semble meneur puisqu’il semble mener le mouvement du groupe : il se place devant l’autre acteur, le décalage de phase nous indique qu’il est en avance. Dans le cas d’une interaction peur-neutre, l’acteur jouant la peur semble avoir pris le rôle de suiveur puisque ses actions sont dirigées par l’acteur neutre : il est à l’arrière du groupe et a du retard (décalage de phase positif).

Aux vues de ces résultats, nous formulons l’hypothèse qu’une interaction meneur- suiveur peut émerger d’une situation d’interaction asymétrique. Cette hypothèse est prin- cipalement soutenue par les décalages de phase entre les marcheurs. L’analyse des décalages de phase d’une interaction entre une émotion de colère ou de peur par rapport à une émo- tion neutre montre qu’il existe un décalage significatif entre les deux acteurs. Ceci peut indiquer qu’une des émotions jouées par un des acteurs fait réagir l’autre acteur en consé-

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quence. D’après nos résultats, lorsqu’un des acteurs exprime la colère, celui dans l’état neutre prend du retard. Inversement, lorsque l’acteur joue la peur, c’est lui qui prend du retard par rapport à l’acteur neutre. On peut donc faire l’hypothèse que l’acteur en colère prend le rôle de meneur du groupe lorsqu’il interagit avec un acteur en état neutre. Il prend le rôle de suiveur lorsqu’il joue la peur et qu’il interagit avec un acteur en état neutre.

Lorsque les deux acteurs jouent la même émotion, le décalage de phase est très proche de 0s. De plus, l’écart-type entre les différentes situations est le même, avec des valeurs un peu plus élevées dans le cas de la peur. Ceci nous laisse penser que les effets de deux émotions identiques se compensent entre eux et que les deux acteurs assument ainsi un état de coopération.

Nous n’avons pas observé d’influence de la symétrie de l’émotion sur la distance inter- personnelle. En moyenne, la distance interpersonnelle (dans les situations non transitive et sans dialogue) est de 0.9m. Cette valeur est similaire à celle observée lorsque deux marcheurs (dans un état neutre et sans dialogue) se croisent [OMCP12]. Cette distance est à rapprocher de l’espace personnel défini dans le cadre de la locomotion comme étant une zone de protection entourant chaque individu et qui permet de planifier et d’exécuter des adaptations de la marche tout en préservant la sécurité de l’individu [Tem95]. Cette distance est influencée par les interactions sociales et peut être associée à la distance per- sonnelle lointaine allant de 50cm à 120cm définie par Hall [HH69] et qui représente une zone où les individus peuvent entrer en interaction.

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