3. 2. ÉLARGISSEMENTS DU CHAMP DE RECHERCHE : PERSPECTIVES
Cette étude ouvre de nombreux champs de la recherche tant sur le plan chronologique que sur le plan thématique, notamment sur les questions techniques pouvant être abordées de manière diachronique.
3. 2. 1. Chronologie de la construction aristocratique
Les questions en suspens se centrent principalement sur les périodes primitives, comme les développements postérieurs à la période que nous avons définie. La région est toujours mal documentée sur le plan de la genèse du phénomène castral. Les tentatives d’approche, dans notre propos, des époques « fondatrices » restent risquées et auréolées par de nombreuses zones d’ombre. Sur ce plan, notre travail a progressé par tâtonnements du fait de la faiblesse de la documentation disponible. D’emblée, la période d’émergence d’un habitat fortifié privé couvre une plage chronologique longue, depuis la fin de l’époque carolingienne jusqu’au second quart du XIIe siècle. Dans de nombreuses régions françaises et européennes, la
démonstration a été faite de l’existence de structures de pouvoirs et militaires depuis le Xe siècle. En Alsace, un regard croisé devrait être porté sur les sites
« anhistoriques », considérés comme des enceintes de refuges, d’une part, et sur des structures d’habitat turriformes découverts dans quelques agglomérations, d’autre part. Dans les deux cas, tous les champs de la recherche archéologique (fouilles du sol et bâti) sont mobilisés. Les pistes potentielles existent dans la région. Une programmation d’inventaires et de relevés topographiques, de sondages et de fouilles sur des sites pertinents est à envisager pour tenter d’apporter des réponses à ces questions.
À l’autre extrémité du champ d’investigation, l’étude met en évidence la progression dans une différenciation marquée entre construction résidentielle et militaire. Dans ce domaine, les améliorations ont‐elles été obligatoirement conditionnées par l’apparition des armes à feu, dont l’emploi a été généralisé à partir de la fin du XIVe
siècle. L’adaptation des techniques constructives a fait appel à une consommation de matériaux différents puisqu’il fallut épaissir les courtines, avant de les abaisser, et multiplier les postes de tirs pour la défense active. La réapparition de l’usage du bloc à bossage était parallèle à l’usage de l’arme à feu et Haut‐Koenigsbourg en est l’archétype reconnu depuis longtemps. Ces dernières sont toutefois attribuées à la fin du XVe siècle au plus tôt. En se basant sur les travaux menés en Bretagne318, par
exemple, nous pouvons nous interroger sur les prémices de cette « révolution »,
318 PROUTEAU (Nicolas), De CROUY‐CHANEL (Emmanuel), FAUCHERRE (Nicolas) sd. — Artillerie
et fortification 1200‐1600. Rennes : Presses universitaires de Rennes, Série Archéologie et Culture, 2011,
particulièrement sur leurs liens avec l’architecture défensive des villes. Cette période, marquée par l’insécurité liée aux passages des Armagnacs conduits par le dauphin Louis et les agissements de Charles le Téméraire, reste à élucider sur le plan régional, particulièrement sur la transition entre les timides adaptations d’archères par le creusement d’ouvertures circulaires et les ouvertures de tir de tous types, y compris horizontales, disposées dans les bastions du Haut‐Koenigsbourg. Sur un plan pratique, cette problématique est également tributaire de l’engagement de programmes d’études. 3. 2. 2. Les problématiques techniques : un champ d’études diachronique
La thématique de la construction en pierres ouvre de nombreuses perspectives diachroniques et transdisciplinaires liés aux aspects techniques et dépassant un champ chronologique précis. Dans le domaine du savoir‐faire, les pratiques peuvent être utilisées dans la durée car les gestes n’ont pas obligatoirement changé en fonction des évolutions stylistiques.
L’approche systématique des carrières serait à engager dans une optique diachronique afin de voir les évolutions techniques et de les mettre en perspective sur un plan diachronique. Dans ce domaine, la couverture d’un périmètre défini par la détection au Lidar ouvre de nouvelles perspectives. Moins que la réalisation d’un plan des vestiges maçonnés, cette technique d’enregistrement des reliefs facilite la reconnaissance des fossés, des chemins d’accès anciens ou des carrières éloignées. De même, la finalisation d’une étude sur les marques lapidaires est loin d’être aboutie dans notre région. Il faudrait pour cela disposer d’un corpus exhaustif rassemblant les signes lapidaires visibles dans l’architecture castrale et religieuse. La permanence de certaines formes à travers plusieurs sites pourrait orienter le débat vers des ateliers pérennes, présents sur la scène régionale pendant plusieurs décennies. Cette question qui est à considérer avec beaucoup de réserves dans l’état actuel de nos connaissances pourra évoluer facilement. Par extension, l’étude systématique des marques lapidaires dépasse rarement le stade de l’inventaire. Beaucoup d’inconnues demeurent par rapport à nos connaissances sur les mortiers et la chaux en particulier. Les analyses réalisées ouvrent des perspectives d’études plus systématiques et posent les limites en termes méthodologiques (qualités des échantillons, nombres disponibles, choix des sites). En ce sens, une étude exhaustive d’un seul site apporterait des réponses plus affirmatives, mais les analyses réalisées démontrent la difficulté du choix et aucun château n’est idéalement conservé dans la région319. De même, les structures de combustion des calcaires restent méconnues,
car probablement situées en‐dehors des chantiers de construction et le cas du Warthenberg constitue, dans l’état actuel de nos connaissances, une exception.
3. 2. 3. Méthodologie et moyens de la recherche
La richesse des informations présentées dans le mémoire découle directement d’une certaine systématisation des suivis de travaux pendant les restaurations conduites dans les années 1990. Ce socle de connaissances a été basé sur la considération apportée à chaque cas particulier, considéré comme un unicum.
Sur un plan purement méthodologique, les technologies récentes offrent des possibilités extensives pour la documentation des sites, avant toute entreprise de fouilles du sous‐sol. Pour la recherche sur le terrain, le cas idéal pourrait se décomposer de la manière suivante :
‐ dans un premier temps, le site et sa périphérie, sur un territoire élargi, sont couverts par une détection aéroportée au Lidar. Cet outil enregistrera toutes les variations du relief et facilitera la reconnaissance des structures anthropiques : chemins ou carrières. Ces dernières sont potentiellement localisées sur la base de la carte géologique ;
‐ dans un second temps, les vestiges maçonnés, débarrassés de leur gangue végétale sont enregistrés par photos redressées ou par scanner, outils qui sont actuellement à l’essai par l’INSA de Strasbourg. Ces techniques minimisent les marges d’erreur du « relevé d’élévation », mais n’oblitèrent en rien une approche de terrain par l’archéologue ;
‐ ces supports préparent d’éventuelles interventions sur le sous‐sol.
La pratique de l’archéologie nationale bénéficie de l’avantage de ne pas séparer le bâti du sous‐sol, même si la loi est en dessous des exigences de la discipline dans le premier domaine. La démarche est donc nécessairement pluridisciplinaire et ouverte à la collaboration entre diverses entités de recherches320. Le financement par des
crédits de programmation reste la solution optimale. Elle permet de baser la recherche sur des critères scientifiques et non purement opportunistes, comme cela fut le cas dans notre région. Les programmes de restaurations répondaient avant tout au (titanesque) besoin de finances pour la mise en sécurité de sites, choisis pour leur valeur paysagère, en‐dehors de toute considération de leur représentation scientifique et patrimoniale321. Bénéficiant de l’attention du public et des élus pour ce
patrimoine, la recherche sur le thème du « château‐fort » a encore de beaux jours devant elle dans la région. Il appartient à ses acteurs à s’affranchir de ces considérations externes et de proposer les pistes à suivre. 320 De l’absence de financements découle la multiplication des pratiques adaptées au coup par coup, en fonction des ressources disponibles de manière très aléatoire. 321 Cette question reste de toute manière insoluble au vu du nombre de ruines.