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Éléments de réflexion concernant le public

3. Une politique éditoriale de service public véhiculée par le portail

3.3. Éléments de réflexion concernant le public

Le directeur de la stratégie explique que les collaborateurs de FTVEN visent principalement deux publics à qui adresser le nouveau visage de Culturebox : un public néophyte, curieux, qui ne se rend pas dans les lieux dédiés à la culture, et le

« public jeune », en mettant l’accent sur les possibilités d’enrichissements télévisuels et les outils de partage (Directeur

26 À ce sujet, voir notamment : Greil, 2000.

de la stratégie, 27 juin 2014). Ces dispositifs d’inscription sont en effet a minima présents sur le portail. Notons des changements significatifs liés aux possibilités de partage : en 2014, il n’y avait pas de « signes passeurs » vers les chaînes Dailymotion et YouTube de Culturebox ; en 2017, alors que les plateformes ont particulièrement leur place dans l’univers médiatique, le portail y renvoie.

Dans la lignée d’une volonté ministérielle telle qu’elle est visible dans, notamment, l’action de Jack Lang et visant à l’articulation des objectifs de démocratisation et de démocratie culturelles, Culturebox agit en faveur d’une mise en visibilité de tous les genres artistiques et pratiques culturelles. Mais notre observation nous suggère que la tonalité dominante du périmètre de la culture à l’œuvre sur le portail s’adresse plutôt à des personnes « cultivées a priori ». Depuis la fin des années 1990, la figure dominante du consommateur culturel est celle de l’« omnivore culturel » proposée par Richard A. Peterson (2004). Si le portail a pour ambition de s’adresser à tous les publics, les choix de traitement des contenus nous amènent à penser que seront touchées principalement des personnes déjà cultivées et qui sont susceptibles de s’intéresser à une diversité de genres et sous-genres culturels et artistiques.

En cela, Culturebox fait moins preuve de pédagogie qu’il ne répond à une mission de prescription telle que l’a initiée la critique littéraire dès le 17e siècle. Néanmoins, en s’adressant à

« tous les cultivés », Culturebox conserve, malgré tout, une vision de service public, permise par le principe d’éditorialisation sur le portail – dont un rubriquage – proche du magazine en ligne. Sur une plateforme, nous faisons l’hypothèse que les modalités de navigation relèvent davantage de la flânerie de lien en lien.

4. Conclusion

Ainsi, nous avons souhaité montrer que les formes d’organisation médiatique peuvent être appréciées au regard de leurs stratégies éditoriales. S’agissant de la programmation culturelle en ligne, FTV a préféré le modèle du portail afin d’insister sur sa « marque éditeur » et conserver un contrôle éditorial. Le groupe a donc opté pour l’inscription de formats

éditoriaux déjà connus dans une chaîne numérique. Au sein de ce portail cohabitent une culture médiatique et populaire et une culture institutionnellement consacrée, une culture grand public et fédératrice et une culture plus confidentielle et spécialisée.

Mais deux cultures prédominent : une culture marquée par les mécanismes de consécration institutionnelle et une culture dite

« premium ». Cette cohabitation se lit dans la mixité des sujets traités, mais également sur les différents supports médiatiques et modes de diffusion qu’implique le portail (vidéo en replay, vidéo en direct, article). Cette ligne éditoriale est proche de celle déployée sur l’antenne linéaire de France 2 et produit dès lors une « culture de service public » cohérente sur les antennes linéaire et délinéaire. FTV se positionne ainsi comme un énonciateur sur différents supports (format télévisé, magazine culturel en ligne) et, dans le même temps, il revendique une fonction médiatrice entre les phénomènes culturels et les citoyens qui s’inscrit dans la mission de service public.

Le recours aux modèles socioéconomiques des industries culturelles nous a permis de mettre en évidence le fait que s’agrègent différents modèles de diffusion de la culture et des natures de contenus différents sur le portail. Celui-ci hybride ainsi une logique de programmation linéaire issue d’un

« modèle de flot » (avec l’idée de rendez-vous télévisuel et de contenus audiovisuels programmés sur le site) : un emprunt au modèle de la presse avec une périodicité affirmée dans la publication des articles, avec le nombre important d’articles publiés et avec une domination de l’écrit ; et une inspiration des modes de fonctionnement de la presse en ligne avec la présence des blogues. À cela s’ajoute une logique d’accès temporaire au contenu telle qu’on la trouve sur les plateformes de vidéos à la demande. Dans le dispositif, l’usager peut donc jongler avec les différentes modalités de consommation des contenus auxquelles la télévision, la presse et le Web l’ont déjà habitué.

Dans Le Levain des médias. Forme, format, média, Guillaume Soulez et Kira Kitsopanidou (2015) expliquent que la

« convergence numérique » et l’émergence des écrans connectés ont bouleversé les pratiques de consommations médiatiques. Dans ce cadre, la télévision, tout comme le cinéma, traverse une « zone de turbulences intermédiales »

(p. 241) et une métamorphose de ses formats. Ils amènent l’idée d’un « levain des médias », « c’est-à-dire [l’idée] d’une force interne qui agit, au sein d’un média donné, sur la dimension morphologique de ce média, le médium » (p. 241).

Le média, en tant qu’organisation sociale, reconfigurerait le médium, c’est-à-dire le matériau formel. Il s’agit donc « de penser la part du média dans les formes, voire le média comme source formelle » (p. 241).

Autrement dit, ce concept de « levain des médias » est particulièrement pertinent pour montrer comment un média agit en son propre sein sur ses formes propres ou bien sur des formes empruntées à un autre média. Nous avons montré que le dispositif Culturebox, conçu pour donner accès à la vidéo, s’est progressivement positionné comme un magazine culturel en ligne. Le portail s’appuierait finalement sur des formats déjà employés : le groupe audiovisuel public, en déployant son offre sur Internet, s’adapte aux formats éditoriaux répandus sur celui-ci.

Les différentes analyses des formes sur l’écran ont montré que la forme de Culturebox participerait de cette transformation morphologique du média télévision. Par exemple, la multiplicité des « signes passeurs » conduit à repenser le zapping télévisuel sur Internet. Philippe Marion (1997) évoque ainsi une pratique de « surfing » (p. 70). Juxtaposé aux articles, un publicité entrecoupent les émissions, plusieurs espaces sont dévolus aux annonceurs – l’analyse architextuelle de l’écran d’accueil de Culturebox l’a montré. Des messages publicitaires sous forme de vidéos en « pré-roll » apparaissent également avant le visionnage des spectacles ou des concerts. Être face à de la publicité devient habituel au sein de nos pratiques de lectures sur le Web. Cela participe d’une banalisation de cette hybridation de contenus sur l’écran : publicité et objets culturels

s’appréhendent au sein d’un même espace visuel. La publicité aurait finalement une dimension « infra-ordinaire27 » (Souchier, 2007) sur le Web. Or ce n’est pas sans constater que ces usages, devenant implicites et inconscients jusqu’à disparaître à nos yeux, s’inscrivent dans la lignée de ceux de la presse.

Que ce soit par l’approche par les modèles socioéconomiques, par la théorie des écrits d’écran ou à travers cette conception d’un « levain des médias28 », nous voyons que les formats éditoriaux procèdent par altération, tout en s’inscrivant dans des généalogies médiatiques.

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27 Le concept d’« infra-ordinaire », dans l’approche de Souchier, s’inspire de celui de Georges Perec et se rapporte aux « petites choses, à des détails infimes qui nous fondent et qui, à force de petitesse, disparaissent à nos yeux inattentifs » (Souchier, 2012, paragr. 3). Ceux-ci contribuent néanmoins de façon cruciale aux processus communicationnels.

28 Nous tenons à préciser, toutefois, que ces trois perspectives sont très éloignées les unes des autres, voire divergentes. Cependant, elles nous permettent toutes de penser la généalogie médiatique.

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