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2. DES POLITISATIONS EN CONCURRENCE SUR LA QUESTION DE L'ACCÈS DES ÉLÈVES

2.1 L'éducation sexuelle à nouveau au cœur des débats sur

Fin 1999, Ségolène Royal, alors ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire, s'empare du sujet de l'éducation sexuelle en annonçant la publication imminente d'un nouveau protocole qui autorise les infirmières scolaires à délivrer une contraception d'urgence aux élèves, aussi connue sous le nom de « pilule du lendemain » :

« ''Ma démarche est relative aux droits des femmes'', explique Ségolène Royal. ''L'école est restée muette sur les questions de sexualité et de contraception et doit désormais assumer ses responsabilités malgré les réticences. On a trop longtemps considéré que ces questions relevaient uniquement du cercle familial alors qu'elles relèvent de la santé publique et d'une mission éducative'' insiste la ministre » (Le Monde, 29/11/1999).

La question de l'accès des mineures à la contraception d'urgence est présentée par la Ministre comme un enjeu relevant à la fois du droit des femmes et de la santé publique, mais les réactions d'opposition ne tardent pas à remettre au cœur du débat une catégorie passée sous silence dans l'argumentaire de la Ministre : les « jeunes ». A la santé publique, les évêques de France répondent en effet que « s'il y a une priorité, c'est bien celle de la santé morale des jeunes, estime le porte-parole de la Conférence des évêques de France. Entretenir l'illusion qu'aux conséquences de comportements irresponsables on peut apporter des réparations médicales faciles, c'est tromper les jeunes et aller à l'encontre de toute véritable éducation » (Le Monde, 3/12/1999 [je souligne]).

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Quant aux droits des femmes, il est concurrencé par le droit des familles et la revendication d'une autorité parentale en matière d'éducation sexuelle, l'évêque ne manquant pas de souligner « la priorité du lien familial sur les autres liens sociaux » (Le Monde, 3/12/1999). La Confédération nationale des associations familiales

catholiques réaffirme de son côté que « les parents doivent demeurer les premiers

éducateurs de leurs enfants, surtout lorsqu'il s'agit de l'affectivité ou la sexualité » (Libération, 1/07/2000). L'association des Familles rurales considère également que la décision de la Ministre « oublie une nouvelle fois le rôle des parents dans leur mission d'éducation » (Le Monde, 3/12/1999).

Face aux critiques de la communauté religieuse et des associations familiales, Ségolène Royal met de côté le droit des femmes pour concentrer l'argumentaire sur la santé publique : « [Ce protocole] relève exclusivement des professionnels de la santé et a donné lieu à une consultation des autorités sanitaires » déclare Ségolène Royal. « J'assume mes responsabilités ministérielles. Il faut parfois savoir prendre une décision politique sans tergiverser, sinon on ne fait plus rien » (Le Monde, 15/12/1999). Le protocole autorisant les infirmières à délivrer la contraception d'urgence est publié le 6 janvier 2000 malgré les oppositions (BOEN, 2000a)1.

Des associations familiales et des associations de lutte contre l'avortement décident de faire recours au Conseil d’État pour annuler la décision ministérielle. Parmi elles, des associations fondées par des personnalités politiques : Famille et liberté, créée en 1995 et présidée par le député RPR Christian Vanneste, milite notamment pour « la protection de la jeunesse contre un certain nombre d'agressions (pornographie, drogue, Sida) »2 ; l'Alliance des droits de la vie (rebaptisée Alliance VITA) fondée en

1993 par la députée UDF Christine Boutin, lutte principalement contre l'euthanasie et l'avortement.

1

Bulletin Officiel de l'Éducation Nationale (BOEN) (2000a), Hors-série n°1 du 6 décembre 2000, « Protocole national sur l'organisation des soins et des urgences dans les écoles et les établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) ».

2 Source : <http://www.familleliberte.org/index.php/accueil/qui-sommes-nous> consulté

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La bataille juridique s'apparente alors à une bataille de désignations, au sens d'une « lutte par laquelle, face à une même réalité qui constitue un enjeu du débat, chacun des camps antagonistes cherche à imposer ses dénominations contre celles de l'adversaire » (Rennes, 2007 : 512). Le « droit des femmes » et l'impératif de « santé publique » avancés par la Ministre sont contrebalancés par une politisation concurrentielle en termes de « droit de la famille » dans l'éducation et de « protection de la jeunesse » par les associations familiales, de « protection de la vie » par les associations de lutte contre l'avortement. « La situation d'urgence » avancée par la Ministre pour justifier le nouveau protocole est renommée « situation de détresse » par la commissaire au gouvernement1 devant le Conseil d’État : « La situation d'une

adolescente qui s'adresse à une infirmière après un rapport sexuel non protégé, voire après un viol ou un inceste, est sans aucun doute une situation de détresse, mais elle n'est pas une situation d'urgence médicale au sens où l'entend le décret du 14 mars 1993 » (une situation dans laquelle sont en jeu la vie et l'intégrité physique du patient) » estime la commissaire au gouvernement dans son avis rendu au Conseil d’État (Libération, 17/06/2000)2. L'autorisation des infirmières scolaires à délivrer la

la contraception d'urgence dans leur établissement est finalement annulée par le Conseil d’État qui juge que le protocole entre en contradiction avec la loi Neuwirth « qui impose que les contraceptifs hormonaux soient délivrés en pharmacie sur prescription médicale »3. L’État est d'autre part condamné à verser 20 000 francs aux

associations qui ont fait recours au Conseil d’État – Choisir la vie, Union pour la vie,

Famille et liberté, Comité pour sauver l'enfant à naître et Pour la protection de la famille – ainsi que 15 000 francs à l'Alliance pour les droits de la vie.

Six mois avant l'annonce de Ségolène Royal, la contraception d'urgence avait pourtant été mise sur le marché en vente libre dans les pharmacies, sans nécessité de

1

Le commissaire du gouvernement, contrairement à ce que semble indiquer l'appellation, ne représente pas le gouvernement mais a un rôle de procureur.

2

Réveil difficile pour la pilule du lendemain. Blandine GROSJEAN, 17 juin 2000,

Libération

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présenter une ordonnance médicale : c'est le déplacement de l'accès à la contraception d'urgence de la pharmacie à l'infirmerie scolaire qui provoque la remise en question de la légalité de l'accès libre à cette pilule, et qui suscite la mobilisation des associations familiales et de lutte contre l'avortement.

Contre le « droit de la famille » et la « protection des enfants », les syndicats d'infirmières scolaires, l'association des parents d'élèves FCPE et le Mouvement

français pour le planning familial défendent de leur côté le « droit des femmes »

dans un communiqué commun : « Nous demandons au gouvernement de prendre toutes ses responsabilités pour qu'il n'y ait pas de retour en arrière car, tant sur la contraception que sur l'IVG, nous assistons à une véritable régression du droit des femmes à choisir leur maternité et à un déni de la sexualité des jeunes filles » (Libération, 1/07/2000).

L'association de l'éducation à la sexualité à un enjeu d'égalité est également de plus en plus mobilisée par les acteurs étatiques.

2.2 L'émergence des thématiques autour des violences sexuelles, sexistes et

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