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B) Renouveler le processus de composition musicale

1. Une écriture imagée

Bien souvent, lorsqu’il est question de voir la musique, les premières idées qui viennent à l’esprit sont sans doute celles de partitions. Elles permettent à un musicien de lire la musique et pour la plupart des compositeurs occidentaux, l’acte d’écriture est essentiel à la mise en forme des idées musicales ainsi qu’à la réalisation d’une œuvre144

. Comme nous avons pu l’expliquer auparavant, lorsqu’il s’agit d’analyser et de décrire une musique

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Ian Clark, Def, Craig Michcombe and Rajinder Kochar, 2002

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Alan Light & Greg Tate, Hip Hop, Music and Cultural Movement Encyclopaedia Britannica, http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.britannica.com%2FEBchecked%2Ftopic%2F26 6545%2Fhip-hop consulté le 11/05/2018

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entendue, le recours à une transcription permettant de représenter visuellement le déroulement d’un événement musical est bien souvent incontournable. Imaginer des modes de représentation graphique de la musique est une préoccupation majeure des compositeurs de musique contemporaine, à la recherche de systèmes de notation adaptés au développement de leur langage musical145. Largement utilisé par les ethnomusicologues, le sonagramme permet de tracer sur papier des courbes plus ou moins denses qui rendent compte de la hauteur fréquentielle des sons, de leur composition harmonique et de leur intensité. Son utilisation est primordiale pour l’analyse de répertoires musicaux appartenant à des cultures qui ne font pas usage de l’écriture pour fixer sur papier le flux sonore. En jazz par exemple, il existe un système de notation partielle souvent composé en grilles où sont notées, par un système de lettres et de chiffres, les séquences d’accords sur lesquelles se fondent la composition de nouveaux thèmes et l’improvisation des musiciens.

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Idem

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Il existe de nombreuses manières de représenter la musique, par exemple, dans les expériences d’improvisation, les piano-rolls, des rouleaux de papier perforés, ont été utilisés pour actionner les pianos mécaniques. Grâce à des outils informatiques, Marc Chemillier génère des transcriptions dynamiques et animées permettant à un musicien d’improviser en interaction avec un ordinateur147. Certaines activités musicales laissent d’autres types de traces comme des trajectoires au sol pendant un rituel. Rosalía Martínez a analysé des musiciens instrumentistes pendant le carnaval des Tarabuco de Bolivie148. En jouant, les musiciens tournent lentement autour d’une croix érigée et de temps à autre, ils réalisent un tour en pivotant sur eux-mêmes, selon des parcours qui font surgir des formes visuelles plus ou moins complexes. Ainsi, en se déplaçant, les musiciens dessinent au sol des figures circulaires plus ou moins grandes, en forme de zigzag, des yeux… Certaines de ces figures nées de l’expression musicochorégraphique renvoient aux motifs retrouvés dans une expression esthétique différente et centrale de cette société : le tissage de « l’axsu », la pièce centrale de l’habillement féminin149

.

Christine Sun Kim explique lors d’un Ted Talk150

que le mouvement est, en langue des signes, un son. Un son qu’elle perçoit non pas par ses oreilles mais par l’intégralité de son corps. Elle a décidé d’écrire la langue des signes comme une partition de musique, où les portées ne contiennent pas de notes car les lignes comprennent elles-mêmes un mouvement.

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Marc Chemillier, « L’improvisation musicale et l’ordinateur. Transcrire la musique à l’ère de l’image

animée » (p. 66-83), Terrain n° 53, 2009

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Rosalia Martinez, « Musiques, mouvements, couleurs dans la performance musicale andine. Exemples

boliviens » (p. 84-97), Terrain n° 53, 2009

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Madeleine Leclair, loc. cit

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Christine Sun Kim, « The enchanting music of sign language », Ted Talk, YouTube, 19/11/2015 https://www.youtube.com/watch?v=2Euof4PnjDk, consulté le 10/05/2018

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TBD signifie « To Be Decided », TBC « To Be Continued » et TBA « To Be Announced », chacune de ces portées représente une ligne temporelle en fonction des emplacements corporels : le haut pour la tête où naissent les futures décisions à prendre, le milieu pour le buste, là où le cœur gère la durée des sentiments, puis le bas pour le ventre, un emplacement qui peut annoncer la naissance d’un futur enfant. A présent, intéressons-nous plus précisément à la notation employée : comme nous pouvons le constater, il n’y a que quatre lignes qui constituent la portée (au lieu de cinq) car en langue des signes, le signe pour [Portée], ne s’effectue qu’avec quatre doigts. Autre exemple, toujours de Christine Sun Kim :

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Ici, nous retrouvons le même système de notation de portée à quatre lignes, mais cette fois-ci, avec variation du rythme, variation du style et du sens. Elle note également si le signe nécessite l’utilisation des deux mains ou d’une seule : « 1H » signifie « one hand » et « 2H » signifie « two hands ». Ainsi, en lisant ce type de partition, nous pouvons observer, différents styles d’expression plus ou moins lyriques.

L’écriture des signes que Christine Sun Kim nous propose est imagée, mais tout de même différente de celle du « Sign writing153 », qui lui aussi est un système d’écriture universel de langue des signes. En 1972, Valerie Sutton, une danseuse développe le « DanceWriting » puis le « Sign writing » deux ans plus tard. Elle enseignait le DanceWriting au Ballet royal danois et faisait des recherches sur la langue des signes à l'Université de Copenhagen, pensant qu'il serait utile d'employer une notation semblable pour la conservation manuscrite des langues des signes. Sutton a basé « SignWriting » et

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Marc Renard, « Écrire les signes », La Mimographie ou essai d'écriture mimique réédition de Roch- Ambroise Auguste Bébian,

« DanceWriting » et finalement amélioré le système au répertoire complet de « MovementWriting ». Cependant, seules les deux premières ont été plus développées. Comparons par exemple ces formes d’écritures à celle de Christine Sun Kim, voilà respectivement un exemple de « SignWriting » et de « DanceWriting » :

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Nous pouvons au premier coup d’œil, observer une similitude entre le « DanceWriting » et le système d’écriture de Christine Sun Kim, au niveau de l’utilisation de la portée musicale, à la seule différence que Valérie Sutton conserve bien les cinq lignes qui la constitue.

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Valérie Sutton, Contact, Les leçons de SignWriting, 1974

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De plus, chaque ligne correspond également à un emplacement corporel, partant des pieds cette fois-ci, jusqu’à la tête, ce qui est plus logique pour l’écriture de chorégraphies, même si, ne l’oublions pas, la langue des signes utilise l’intégralité du corps. C’est donc en ce point que nous déterminons une première limite au système de Christine Sun Kim et étonnamment c’est également en ce point de défaut de situation dans l’espace, que le « SignWriting » le rejoint. Or, il parait paradoxal que Valérie Sutton ait pu penser à spatialiser son système d’écriture de danse mais pas celui de signes. Nous l’avons compris, écrire les chorésignes et les chansignes pourrait être possible si ces systèmes fusionnaient et s’amélioraient. Cela dit, l’utilisation de la portée est un élément qui me paraît, à mon sens, plutôt efficace et logique, dans la mesure où le corps est la plume qui vient inscrire les notes sur la partition corporelle, dont les repères spatiaux sont pris en compte des pieds à la tête. La question que nous devrions plutôt nous poser, c’est : est-ce qu’un système d’écriture de signes en deux dimensions est réellement adapté pour écrire les signes ou plutôt est-ce que l’outil de captation vidéo, qui lui, prend en compte les quatre dimensions de la langue des signes, peut être considéré comme un réel système d’écriture ? Il existe de nombreux débats là-dessus, mais notons tout de même que l’IVT a publié quatre tomes de dictionnaires bilingues français/LSF, ce qui signifie que le système d’écriture de signes en 2D a plutôt bien été entretenu.